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Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2020

L’acteur franco-britannique Michael Lonsdale est mort

lonsdale99

Le comédien, qui a brillé aussi bien au théâtre qu’au cinéma, notamment chez Buñuel, Duras, Welles, Costa-Gavras ou Beauvois, est mort lundi à l’âge de 89 ans.

Par Mathieu Macheret - Le Monde

Comédien excentrique et sophistiqué dont le maintien britannique lui permettait tous les dérapages possibles, Michael Lonsdale, mort le 21 septembre à Paris, à l’âge de 89 ans, a offert au cinéma français de ces cinquante dernières années l’une de ses présences les plus fascinantes et insaisissables. On se souvient de sa haute silhouette légèrement voûtée, plantée comme un point d’interrogation, de son visage aux bajoues plongeantes, mais surtout, peut-être, de sa voix sinueuse et grésillante, infiniment souple et capable de voler en éclats tonitruants.

Cette labilité corporelle et émotionnelle est précisément ce qui l’autorisait à passer d’un rôle à l’autre en restant exactement lui-même, comme tous les grands acteurs. Habitué à ces seconds rôles marquants qui volent la vedette aux premiers par leur force drolatique dans les films de Luis Buñuel, Jean-Pierre Mocky, Marguerite Duras, François Truffaut ou Orson Welles, il fut surtout un homme de théâtre chevronné et assidu, ayant joué sous la direction de Claude Régy, Peter Brook ou Jean-Marie Serreau.

Il est né le 24 mai 1931, dans le 16e arrondissement de Paris, d’une passion intempestive de sa mère, une Française d’ascendance bourgeoise, pour un officier de l’armée britannique, ami de son mari. L’enfant, qui tirera son bilinguisme de sa double nationalité, grandit sur l’île de Jersey, où ses parents tiennent un hôtel, puis quelques années à Londres, avant d’arriver, en 1939, au Maroc, où son père prend un emploi de représentant en engrais chimiques.

Ce dernier, soupçonné de traîtrise, est fait prisonnier par les autorités vichystes, après la destruction de la flotte française par les Britanniques lors de l’attaque de Mers el-Kébir, en Algérie, du 3 au 6 juillet 1940. Il ne sera libéré que deux ans plus tard, en novembre 1942, à la suite du débarquement des Alliés en Afrique du Nord : revenu à la maison, il n’est plus que l’ombre de lui-même. L’acteur confiera s’être inspiré de son apathie pour incarner le personnage du vice-consul, dans India Song, de Marguerite Duras.

Choc avec Strindberg

C’est dans le sillage de cette libération que, à Casablanca, le jeune Michael Lonsdale découvre le cinéma, grâce aux films américains projetés dans les casernes pour les GI’s. Il voit les films de Howard Hawks, John Ford, George Cukor, qui lui font éprouver pour la première fois le désir de devenir comédien.

En 1947, il revient en France seul avec sa mère, désormais séparée de son second mari. Ils s’installent d’abord à Meudon, dans une maison où l’adolescent s’initie à la musique et à la littérature, à travers les ouvrages de Sacha Guitry, Mark Twain et Gustave Flaubert. Ils reçoivent régulièrement la visite d’un oncle, l’écrivain Marcel Arland, pilier de la NRF et Prix Goncourt (1929), qui présente son jeune neveu à tout le petit milieu de la littérature. Lui et sa mère emménagent définitivement à Paris, dans un grand appartement que leur laisse son grand-père.

Lire notre entretien publié en 2006 : Michaël Lonsdale et le métier d'acteur

Le jeune Lonsdale tourne alors autour des écoles de théâtre, mais n’ose en franchir le seuil. C’est en voyant La Sonate des spectres, d’August Strindberg, mis en scène par Roger Blin, qu’il reçoit un choc et décide de se lancer. Au début des années 1950, il intègre le cours de Tania Balachova, au Studio des Champs-Elysées, « professeure de génie » dont il dira qu’elle était « capable de révéler à ses élèves une dimension d’eux-mêmes totalement insoupçonnée », mais aussi qu’elle « travaillait les comédiens comme un matador, jusqu’à ce qu’ils succombent. »

Double orientation

Il reçoit une seconde révélation en 1955, celle du théâtre de Bertold Brecht, devant Le Cercle de craie caucasien joué au Théâtre des Nations par le Berliner Ensemble. Il passe alors une audition auprès de Raymond Rouleau, metteur en scène de boulevard, en même temps qu’il rejoint la troupe de Laurent Terzieff, portée vers des aventures théâtrales novatrices. Il joue Chers zoiseaux, de Jean Anouilh, avec le premier, et L’Echange, de Paul Claudel, avec le second.

On reconnaît ici la double orientation qui présidera à toute la carrière de Michael Lonsdale : complice irréductible des avant-gardes et des auteurs contemporains, il semble s’être fait connaître du grand public par ricochets – notamment pour son apparition dans Hibernatus (1969), au côté de Louis de Funès, et son rôle de méchant nazi, Sir Hugo Drax, dans le volet Moonraker (1979) de la saga James Bond.

Au théâtre, il devient le compagnon de route du metteur en scène Claude Régy, maître du silence et de la suspension, sous la direction duquel il jouera 18 pièces, interprétant les textes de Marguerite Duras, Peter Handke ou Luigi Pirandello.

Avec un autre dramaturge, Jean-Marie Serreau, il travaille au défrichage scénique des textes d’Eugène Ionesco et de Samuel Beckett, encore fraîchement accueillis en ce mitan des années 1960. Sa rencontre avec Beckett est déterminante : en 1966, l’écrivain supervise en personne une mise en scène de Comédie, où Lonsdale se retrouve aux côtés de Delphine Seyrig et Eléonore Hirt. Il restera fidèle à Beckett tout au long de sa carrière, portant lui-même sur scène certaines de ses pièces, telles que Dis Joe, L’Impromptu d’Ohio, Berceuse et Catastrophe.

Autre rencontre déterminante, celle de Marguerite Duras qui assiste aux répétitions de L’Amante anglaise, mise en scène par Claude Régy en 1968. Duras se souviendra du comédien et l’invitera à jouer dans trois de ses films : Détruire, dit-elle (1969), son tout premier long-métrage, où l’acteur joue Stein, personnage récurrent de son œuvre, Jaune le soleil (1971) et, surtout, l’inoubliable India Song (1975).

Michael Lonsdale y incarne un vice-consul languissant, dont la silhouette fantomatique se traîne dolemment à travers les salons et courts de tennis d’une propriété abandonnée. Sur la bande-son, audacieusement désynchronisée de l’image, il pousse de terribles hurlements d’amour et de désespoir (précédemment enregistrés lors d’une représentation radiophonique du texte en 1974).

Dérision magistrale

Son premier grand rôle au cinéma avait eu lieu quelques années auparavant, dans Snobs (1961), de Jean-Pierre Mocky, où il jouait déjà avec une dérision magistrale de cette affectation guindée qui lui semblait si naturelle. Mais le film fut interdit pendant deux ans pour outrage à l’armée et à l’Eglise. La suite de la carrière cinématographique de Michael Lonsdale est majoritairement faite de seconds rôles et d’apparitions ponctuelles, à chaque fois si puissamment drolatiques ou étranges, qu’ils en viennent souvent à voler la vedette.

« J’ai toujours eu horreur du copinage entre les comédiens, de ce rire franc et massif qui peut réunir les uns et les autres sur un tournage », déclarait Michael Lonsdale

Dans Le Procès (1962), d’Orson Welles, d’après Kafka, il pousse une harangue inquiétante, dans un anglais parfait, sous la défroque d’un prêtre. Dans Baisers volés (1968), de François Truffaut, il interprète un marchand de chaussures comme un petit commerçant étriqué et hautain. Dans Le Fantôme de la liberté (1974), de Luis Buñuel, il incarne un chapelier sadomaso, qui se fait fouetter les fesses devant une assemblée outragée.

Il faut évidemment ajouter à tout cela sa participation à des expériences de cinéma hors du commun, comme les douze heures du ciné feuilleton Out 1 (1970) de Jacques Rivette, où il se livre à de longues séances d’improvisation théâtrale en roue libre, ou encore au magnifique cycle des « Quatre Saisons », de Marcel Hanoun, où il incarne le double du cinéaste à l’écran.

Le jeu de Michael Lonsdale se caractérise à chaque fois par une forme de distance envers le personnage, dans laquelle peuvent aussi bien se loger l’ironie que la réflexivité. L’acteur est capable de passer de l’onctuosité la plus suintante à une forme de dureté brute, voire à d’impressionnants coups de colère. Il sera également voyeur des toilettes publiques chez Jean Eustache (Une sale histoire, 1977), érotomane patenté chez Alain Robbe-Grillet (Glissements progressifs du plaisir, 1973) et collaborateur vichyste chez Costa-Gavras (Section spéciale, 1975).

L’un des rares films où il occupe le premier rôle est une merveille méconnue tournée pour la télévision : Bartleby (1976) de Maurice Ronet, d’après Herman Melville, où il joue un notaire troublé par l’un de ses employés qui se refuse à tout. Dans les dernières années de sa carrière, on l’avait retrouvé en sublime patriarche prostré, dans Gebo et l’ombre (2012), du Portugais Manoel de Oliveira, ou en double de fiction du cinéaste Eric Rohmer, dans Maestro (2014), de Léa Fazer.

La foi chrétienne

Une part plus secrète de sa filmographie concerne les rôles ecclésiastiques qu’il a ponctuellement interprétés au fil des années, fondés sur son aisance à incarner l’obséquiosité, le dédain, la dissimulation ou plus simplement l’aménité.

Michael Lonsdale a joué un abbé bibliophile dans Le Nom de la rose (1986), de Jean-Jacques Annaud, d’après Umberto Eco, le cardinal Barberini, dans Galileo (1974), de Joseph Losey, et surtout le frère Luc Dochier, dans Des hommes et des dieux (2010), de Xavier Beauvois, sur l’assassinat des moines de Tibéhirine. Un rôle qui lui vaudra la reconnaissance ainsi que le César du meilleur acteur de second rôle. Il raconte toutefois avoir refusé de jouer un évêque de Rome dans Amen. (2002), de Costa-Gavras, pour son parti pris « anti-papiste ».

Derrière ces choix et ces refus pouvait se lire en filigrane l’adhésion de Michael Lonsdale à une foi chrétienne dont il ne s’est jamais caché, et qui ne l’a surtout jamais empêché d’accepter des rôles transgressifs ou anticléricaux. Il confiait à ce sujet : « Certaines personnes, dans le métier, se sont détournées de moi parce que le seul mot de “religion” leur donne des boutons… La peur d’être rejeté, de ne plus travailler, en a muselé plus d’un, et loin de moi l’idée de les juger ! »

Cette foi assumée fut peut-être moins une marque d’anachronisme que d’anticonformisme suprême, de la part d’un artiste qui est toujours resté « à part » et ne s’est jamais vraiment fondu dans le milieu artistique. Situation d’isolement qu’il évoquait lui-même en ces termes : « Ah, cette grande famille des acteurs… Je m’y sens parfois si décalé, n’ayant pas du tout l’esprit blagueur, pas le moindre goût pour la grosse farce, au point de me sentir parfois très mal à l’aise. J’ai toujours eu horreur du copinage entre les comédiens, de ce rire franc et massif qui peut réunir les uns et les autres sur un tournage. »

Michael Lonsdale restera pour toujours ce comédien extraterrestre, cet acteur venu d’ailleurs qui semblait incarner une certaine condition humaine tout en posant un regard extérieur sur elle, comme s’il ne lui appartenait pas vraiment. Et sans doute faut-il voir là le véritable secret de son génie.

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Michael Lonsdale en dates

24 mai 1931 Naissance à Paris

1966 Interprète de la pièce « Comédie » de Samuel Beckett

1968 Interprète de la pièce « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras

1975 Acteur dans le film « India Song » de Marguerite Duras

1979 « Moonraker » de Lewis Gilbert

1986 « Le Nom de la rose » de Jean-Jacques Annaud

2010 « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois

2012 « Gebo et l’ombre » de Manoel de Oliveira

21 septembre 2020 Mort à Paris

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