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Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2020

Entretien - Karin Viard : « J’aime beaucoup maltraiter les bourgeoises, comme actrice »

Par Clarisse Fabre - Le Monde

Diabolique dans « Les Apparences », de Marc Fitoussi, la comédienne incarne une femme trompée qui, pour sauver la façade, manigance un plan redoutable.

Karin Viard ne nous avait pas habitués à ce regard qui brûle d’une lueur inquiétante. Dans Les Apparences, de Marc Fitoussi, la comédienne a le sourire aux lèvres et des flammes logées au fond des yeux. Elle joue une femme trompée, mariée à un chef d’orchestre (Benjamin Biolay), à Vienne, en Autriche. En secret, elle échafaude un plan visant à « cramer » la jeune amante (Laetitia Dosch) et à sauver la façade de son couple devant les amis expatriés. L’actrice, née en 1966, est la pièce maîtresse de ce film noir, tirant les ficelles dans un mélange de puissance et d’égarement. Bientôt, on la verra incarner un autre type de bourgeoise, drôle et convertie au chamanisme dans L’Origine du monde, premier long-métrage de Laurent Lafitte (en salle le 4 novembre).

Comment cette première collaboration avec Marc Fitoussi s’est-elle nouée ?

Jusqu’à présent, j’avais refusé les rôles qu’il me proposait. Avec beaucoup d’humour et d’autodérision, il m’a envoyé le scénario de son dernier film, persuadé que je dirais non une fois de plus. Et là, j’ai accepté. J’avais le sentiment de n’avoir jamais joué ce rôle, j’ai senti que je pouvais mettre beaucoup de subtilité dans l’interprétation. Que fait-on de l’humiliation, de la peine, qui a tort, qui a raison dans ce genre de situation ? Marc Fitoussi a été ouvert à mes propositions, et je pense avoir un tout petit peu déplacé le curseur. Je lui ai suggéré que mon personnage vienne d’une origine assez modeste. Ça rend encore plus cruel le fait qu’elle puisse dégringoler socialement. Elle a tout à perdre, son homme et son rang. De même, je ne voulais pas simplement qu’elle « encaisse » et reste muette, mais qu’elle puisse exprimer à un moment son animalité. Pauvre Benjamin Biolay, il n’a pas oublié la scène ! Il a été délicieux. Quant à Marc Fitoussi, il est sorti de sa zone de confort dans ce film.

Comment avez-vous travaillé l’expression du sentiment de jalousie ?

La jalousie, je pense qu’on connaît, non ? Ce n’est pas la peine de lire des essais ou des thèses… C’est un sentiment ultra-archaïque que l’on éprouve depuis l’enfance. Ce n’est pas plus réservé aux femmes qu’aux hommes. C’est un très bon moteur pour les histoires, et c’est un sentiment excessivement négatif, qui n’amène que du malheur. C’est simple à jouer.

Mais il y a des variantes, et vous n’êtes pas votre personnage…

Je ne me pose jamais la question de qui je suis par rapport à mon rôle, ou comment j’aurais fait à la place du personnage. C’est une question vaine, en tout cas pour moi. En revanche, je dois comprendre mon personnage et ce qu’elle fait. Elle découvre qu’elle est trompée mais elle ne montre rien. Moi, il est vrai, j’aurais réveillé l’autre au milieu de la nuit et je lui aurais demandé : « C’est quoi ce bordel ! »

Le film est terrible sur les femmes d’expatriés, lorsque celles-ci n’ont pas de carrière. L’une dit qu’elle est la « boussole » de son mari.

C’est vraiment la bourgeoisie dans toute sa splendeur : on se raconte des histoires auxquelles on croit, on gagne de l’argent, les enfants sont bien habillés, on fréquente des gens qui pensent exactement comme nous… Le film pose un regard assez caustique sur ces femmes. C’est vrai que j’adore jouer ça. J’aime beaucoup maltraiter les bourgeoises, comme actrice. C’est toujours très porteur, la bourgeoisie qui se casse la gueule.

Mais votre personnage n’est pas une victime, cette femme mène même la danse jusqu’à un certain point…

En reprenant le pouvoir, elle le donne à un autre. Dans la mise en scène de Marc Fitoussi, il y a l’idée d’une valse, une espèce de danse inexorable qui ne s’arrête jamais, nous emmène de plus en plus vite… Le film lorgne du côté de Chabrol, c’est aussi une critique sociale et un thriller, car parfois je fais peur.

Vous avez tourné en août un autre film, « Fantasmes », avec Stéphane et David Foenkinos. Comment le tournage après le confinement s’est-il passé ?

On a travaillé avec des contraintes fortes, bien sûr. Toute l’équipe était masquée, même nous, sauf lorsqu’on jouait. Avec Jean-Paul Rouve, on forme un couple qui assume le fantasme d’être regardé quand il fait l’amour. C’était extrêmement drôle.

Ces conditions de tournage ne sont-elles pas perturbantes ?

C’est comme ça. Il faut faire sienne la contrainte et s’en affranchir. Ce confinement m’a confirmé le désir intact que j’ai d’exercer ce métier, si nécessaire à ma vie, à mon équilibre.

Etes-vous inquiète pour l’avenir du cinéma ?

Je ne suis pas la mieux placée pour en parler, je suis actrice, mais je vois qu’il y a de la peur, que le cinéma change. Que les séries, les plates-formes prennent beaucoup de place. Il faut pouvoir à tous les niveaux s’adapter. Regretter « comme c’était avant » ne sert absolument à rien. Il y a un mouvement dans le cinéma qui paraît inéluctable, il faut aller avec ce changement. Je pense que les films ne bénéficieront plus du même argent, les acteurs aussi vont être moins payés, parce qu’on ne prendra pas les mêmes risques.

Avez-vous déjà pensé à réaliser un film ?

Non, car j’envisage toujours les films du point de vue de l’acteur. Quand je lis un scénario, je ne le vois pas en tant que mise en scène, mais en termes d’enjeux intimes, d’interprétation, de lignes de force. En même temps, on ne sait pas de quoi demain sera fait, alors pourquoi pas ? Si le cinéma change, s’il ne m’offre plus les rôles que j’aime tant, peut-être que j’aurai envie de les écrire moi-même.

Quel rôle aimeriez-vous interpréter ?

J’aimerais jouer un enfant. Vous voyez, ce n’est pas réaliste ! Mais du point de vue de l’interprétation pure, jouer un enfant à mon âge m’intéresserait. J’adore la vérité qui s’exprime chez eux, la jalousie, le dépit, la joie, le chagrin, la solitude. J’aimerais aussi rencontrer la nouvelle génération de cinéastes, je ne vais pas citer de noms, mais je sens une force vive arriver.

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