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Jours tranquilles à Paris
24 septembre 2020

« Antoinette dans les Cévennes » : Laure Calamy en duo comique avec un âne

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La réalisatrice Caroline Vignal signe un récit d’émancipation hilarant, dissimulé sous un vaudeville en milieu rural.

Par Clarisse Fabre – Le Monde

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

C’est le grand bol d’air de la rentrée, la surprise d’une comédie populaire et décalée, à l’humour dérangeant, dont les rebondissements emmènent le spectateur bien au-delà du vaudeville annoncé. Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, nous conte l’épopée comique et pathétique d’une femme qui part à la recherche de son amoureux dans les Cévennes, parcourant le chemin des randonneurs aux côtés d’un âne qui n’en fait qu’à sa tête.

L’homme en question est marié : Vladimir, interprété par Benjamin Lavernhe, de la Comédie-Française, tout en demi-teinte, a une liaison avec Antoinette (Laure Calamy), la maîtresse d’école de sa fille, pleine de fantaisie et prête à tout pour déclarer sa flamme. Le film s’ouvre sur la fête de fin d’année, pour laquelle l’enseignante a concocté une surprise. Sur scène, dans sa robe lamée argent, la voici qui entonne avec ses élèves un tube de Véronique Sanson, Amoureuse (1972) – « Une nuit je m’endors avec lui/Mais je sais qu’on nous l’interdit… » – les yeux plantés dans ceux de son amant, lequel ne sait plus où se mettre. Les autres parents sont sidérés, partagés entre le sourire amusé et le malaise…

Puis c’est la douche froide pour Antoinette, qui guettait le début des grandes vacances pour passer du temps avec son homme : au dernier moment, celui-ci lui annonce qu’il doit partir dans les Cévennes avec femme (Olivia Côte) et enfant. N’écoutant que son cœur, Antoinette prend un billet de train. Elle se lance sur les traces de Vladimir, à corps perdu, sur le GR70 qui relie Le Monastier-sur-Gazeille (Haute-Loire) à Saint-Jean-du-Gard, comme le fit en 1878 l’auteur écossais Robert Louis Stevenson, lui aussi à cette époque en plein chagrin d’amour – il en tira l’ouvrage devenu culte, Voyage avec un âne dans les Cévennes, publié en 1879. Avec son âne prénommé Patrick, Antoinette va former un « couple » explosif et hilarant. La réalisatrice et scénariste Caroline Vignal, qui signe avec Antoinette… son deuxième long-métrage, ne pouvait rêver meilleure actrice que Laure Calamy pour incarner une clown au charme irrésistible.

Le film tire sur les ressorts comiques jusqu’au point de rupture, envoyant son héroïne en zone périlleuse avant de la récupérer sur le terrain plus connu du burlesque, où Laure Calamy n’a plus à prouver qu’elle excelle. A 45 ans, la comédienne tient enfin son premier grand rôle au cinéma, la subtilité du récit lui permettant de travailler le registre tragi-comique à la manière de Michel Serrault dans La Cage aux folles (1978) – un acteur que Laure Calamy aime citer.

Parcours intérieur

L’arrivée au gîte dans les Cévennes donne le ton. A la grande table où les marcheurs partagent leurs repas et font connaissance sans chichis, Antoinette se retrouve assez vite « obligée » de déballer sa vie. Que vient-elle faire ici, est-elle seule, rejoint-elle un ami ?, cherche à savoir la douce et curieuse Claire, incarnée par Marie Rivière – l’héroïne du Rayon vert (1986), d’Eric Rohmer, film fétiche de Caroline Vignal. Savoureux, le petit jeu de questions-réponses installe Antoinette comme un personnage à part. La Parisienne rigolote et sexy devient l’attraction : les uns la regardent avec sévérité ou commisération, d’autres l’envient et admirent son courage. Car elle est bien la seule à s’aventurer avec un âne, et d’ailleurs elle ne sait pas ce qui l’attend.

La réalisatrice elle-même a fait le « chemin de Stevenson », s’inspirant de ses rencontres pour nourrir le scénario

Cette attention à la psychologie n’est pas un détail pour la cinéaste, qui s’intéresse davantage au parcours intérieur de son personnage qu’à sa passion dévorante – la réalisatrice elle-même a fait le « chemin de Stevenson », s’inspirant de ses rencontres pour nourrir le scénario. Démarrant son périple avec Patrick, cherchant Vladimir comme une aiguille dans une botte de foin, Antoinette met ses nerfs à rude épreuve et se trouve démunie face à cet animal qui lui résiste. C’est une mine de gags, à jet continu, jusqu’à ce qu’Antoinette apprivoise l’âne. Pour qu’il consente à avancer, elle doit lui parler, tout le temps, sans s’arrêter.

L’âne Patrick devient l’alter ego d’Antoinette (Laure Calamy), elle finit par lui parler.

Deux ânes ont été utilisés pour le tournage, l’un nerveux pour les scènes de pétage de plomb, l’autre plus doux, faisant office de confident, voire de « psych-âne-alyste ». Il faut voir Laure Calamy raconter à Patrick ses déboires amoureux, ses désirs, ou laisser exploser devant lui sa colère. A force de déambuler dans ses pensées, Antoinette finit par se perdre et passe la nuit à la belle étoile. Deviendrait-elle une femme des forêts, autosuffisante ? Ou bien est-elle Blanche-Neige se réveillant entourée de gentils animaux, un lapin, une biche, etc. ?

Citadins en mal de nature

Le film amorce plusieurs pistes, et surtout évacue celle du prince charmant. Le sort des amants est scellé au milieu du film. Car ils finissent bien sûr par se croiser. Alors que se profile un suspense de théâtre de boulevard, le gîte rural en guise d’appartement bourgeois, Caroline Vignal bascule sur un autre registre, plus féroce, lors d’un plan-séquence décisif durant lequel Eléonore, la femme trompée, vient marcher au côté d’Antoinette. Sans rien dévoiler, disons simplement qu’Eléonore trouve les mots pour éloigner cette maîtresse encombrante de son mari. Le tout avec le sourire et la bonne humeur, sans jamais paraître pour une victime – Olivia Côte est magistrale.

Avec ses montagnes un peu trop colorisées, « Antoinette dans les Cévennes » est une peinture grinçante de la néo-ruralité, nouvel eldorado avec son côté attrape-touristes

Dès lors, dans sa deuxième partie, le film s’installe plus profondément dans le territoire, dans sa beauté farouche et sauvage, confrontant son héroïne à des personnages dits secondaires et néanmoins déterminants : le couple de patrons de l’auberge qui jamais ne jugera Antoinette, une femme médecin à cheval qui viendra à son secours, une grappe de motards qui fera une escale dans sa vie… Avec ses montagnes un peu trop colorisées, Antoinette dans les Cévennes est aussi une peinture grinçante de la néo-ruralité, nouvel eldorado avec son côté attrape-touristes, ses tarifs pour citadins en mal de nature, dont certains sont capables de traiter un âne comme une voiture de location. On l’utilise pour une semaine et, quand on a fini avec lui – et qu’on l’a copieusement engueulé, voire gratifié de quelques coups de bâton –, on le laisse attaché à sa corde, dans l’attente de son prochain client.

Antoinette est différente, elle est un trésor d’humanité. Patrick devient son alter ego, elle finit par lui parler avec autant de douceur que le personnage de Marie (Anne Wiazemsky) s’adressant à un autre âne illustre de l’histoire du cinéma, Balthazar, dans Au hasard Balthazar (1966), de Robert Bresson. Quand arrive la fin du parcours, le moment où elle récupère sa valise à roulettes pour reprendre le train, Antoinette fait une pirouette, un non-choix, laissant ouverte l’issue du film, que l’on peut imaginer conventionnelle ou joyeusement sauvage.

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