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Jours tranquilles à Paris
25 septembre 2020

Après cinquante jours de bras de fer, « VGE » et Jospin font plier Chirac

A l’Elysée en 2000, l’ancien chef de l’Etat (Jacques Chirac) craignait une présidentialisation du régime, mais il avait fini par se rallier à une réforme voulue par les Français

RÉCIT

Et maintenant, le quinquennat ! » Dans une tribune publiée à la « une » du Monde, le 11 mai 2000, Valéry Giscard d’Estaing (« VGE ») lance l’offensive en faveur d’une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. L’ex-président argue d’une opinion publique « massivement acquise » au quinquennat et d’un personnel politique quasi unanime. « Le moment est venu… », écrit-il, en annonçant le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle.

Un an plus tôt, le vieil adversaire de Chirac avait fait une tentative infructueuse, pressant ce dernier d’instaurer le quinquennat et de se l’appliquer, en provoquant une présidentielle anticipée en 2000. Cette fois-ci, il attend que Jacques Chirac, élu en mai 1995, ait fêté ses cinq ans à l’Elysée. Et précise que la réforme ne s’appliquera pas au mandat en cours. Mais à droite, où l’on connaît l’animosité de Valéry Giscard d’Estaing pour Jacques Chirac, personne n’est dupe. « Giscard repêche la rancune qu’il avait jetée à la rivière », observe François Baroin.

L’ancien président sait en effet que Chirac, hostile à la présidentialisation du régime, n’est pas favorable au quinquennat. Une « erreur » qu’il n’approuvera pas, a-t-il répété un an plus tôt, le 14 juillet 1999. Pourtant, la réduction du mandat présidentiel, serpent de mer de la vie politique française, fait alors l’objet d’un relatif consensus. A l’été 1999, 71 % des Français y sont favorables. Paré de toutes les vertus, le quinquennat est censé redonner souffle à la démocratie. On juge aussi que c’est le meilleur moyen de mettre fin aux cohabitations, alors que Chirac, deux ans après son arrivée à l’Elysée, a dû laisser Matignon à la gauche, après la dissolution de 1997. Mais le principal argument invoqué est celui de la modernité. « C’était ma conviction, explique Lionel Jospin au Monde. Je pensais que le septennat était la survivance d’un esprit monarchique et qu’il était souhaitable que le peuple s’exprime plus souvent. »

Installé depuis trois ans à Matignon, Lionel Jospin est depuis longtemps un ardent défenseur de la modernisation de la vie politique. Mais le premier ministre s’interdisait d’ouvrir ce débat pour ne pas envenimer la cohabitation. L’offensive de Valéry Giscard d’Estaing ouvre une voie. « Un piège politique est en train de se refermer sur Chirac, une alliance objective entre “VGE” et Jospin », rappelle Jean-Louis Debré, alors patron des députés RPR. Vingt ans plus tard, M. Jospin assure qu’il n’y a pas eu de « connivence » entre l’ancien président, qui jouait « cavalier seul », et lui-même. Mais il reconnaît qu’il a « utilisé l’occasion » créée par M. Giscard d’Estaing.

A l’Elysée, les proches de Chirac, dont son bras droit Dominique de Villepin, et son ancien premier ministre Alain Juppé, qui estiment que le septennat « n’est plus un temps démocratique dans un univers fortement médiatique », l’incitent à bouger. Revenu en grâce au Château, Nicolas Sarkozy exprime tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « En 2002, vous aurez 69 ans. A la fin d’un septennat, cela fera 76 ans. Les gens font le calcul : il vous sera impossible d’être réélu. » Même s’il redoute qu’on l’accuse de versatilité, Chirac sent qu’il n’a guère le choix. Il ne veut pas non plus laisser à Lionel Jospin le bénéfice d’une réforme électoralement payante. « Je comprends que Chirac va finalement vouloir décider librement ce qui lui est imposé, raconte l’ex-premier ministre. Je suis prêt à jouer le jeu. »

Les gaullistes divisés

Chirac met en scène son ralliement. Le 5 juin, il tente d’expliquer aux Français pourquoi il soutient une réforme qu’il refusait il y a moins d’un an. Mais il plaide pour un quinquennat « sec », non assorti d’une limitation à deux mandats par exemple, comme le propose Valéry Giscard d’Estaing. Soucieux de minimiser son revirement, le président explique que cette réforme ne changera rien au fonctionnement des institutions.

Chirac n’entend pas non plus laisser au Parlement – et à son ancien rival – l’initiative d’une réforme qui touche au fondement de sa fonction. Il se met donc d’accord avec Lionel Jospin sur un projet de loi constitutionnelle, qui sera présenté par le chef du gouvernement « au nom » du président. Ce qui permet aux deux adversaires de revendiquer chacun la paternité de la réforme.

Le processus de révision constitutionnelle est lancé. Evoquant le futur référendum, le chef de l’Etat considère que si les Français votent oui, « c’est très bien », s’ils répondent non, « c’est très bien aussi ».« Ce qui rend son intervention incompréhensible », juge a posteriori M. Jospin.

Si le Parti socialiste approuve une réforme qui comptait déjà parmi les cent dix propositions de François Mitterrand, les gaullistes se montrent plus divisés. François Baroin, député RPR de l’Aube, est chargé de « faire atterrir le groupe RPR », à l’Assemblée. « Mon boulot est de trouver des arguments acceptables par nos troupes, raconte-t-il. Le rejet de la cohabitation a fini par emporter l’adhésion. » Les parlementaires adoptent le projet de loi sur le quinquennat, le 29 juin 2000, ouvrant la voie au référendum. « Mission accomplie », se réjouit « VGE », à l’issue d’une bataille de cinquante jours.

Mais la campagne n’intéresse pas les Français, à qui personne n’explique vraiment les tenants et les aboutissants de la réforme. Lionel Jospin admet qu’il n’y a « pas eu de véritable débat ». « Quand de Gaulle a proposé la Constitution de 1958, était-il sûr de toutes ses implications ? », interroge-t-il.

Le 24 septembre, l’instauration du quinquennat est approuvée par 73,15 % des Français. Avec un niveau d’abstention sans précédent : 69,68 %. Aussitôt, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer un changement du calendrier électoral, afin que les législatives se tiennent après la présidentielle. La loi du 15 mai 2001 acte « l’inversion » du calendrier afin de donner au président une majorité parlementaire cohérente. Les deux réformes s’appliquent pour la première fois en 2002. Sans que l’électorat ait réellement pris la mesure du changement.

A la veille du référendum, le politologue René Rémond avait prévenu, mettant en garde contre une « réforme en trompe-l’œil ». « Quels en seront les effets ?, se demandait-il alors. On nous a rassurés en nous promettant qu’elle ne changerait rien au régime sous lequel nous vivons depuis quarante ans. N’en croyez rien ! »

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