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Jours tranquilles à Paris
26 septembre 2020

«Les Apparences», enjeux de dupes

Les-Apparences-de-Marc-Fitoussi-la-critique

Par Julien Gester 

Faute de faire décoller sa part de farce ou de thriller, le film de Marc Fitoussi sur une histoire d’adultère dans un couple d’expatriés à Vienne reste assez monocorde.

Il en va des apparences comme des clichés, on peut sans mal s’en satisfaire dès lors que s’y laisse deviner quelque chose d’une réalité plus secrète ou profonde logée derrière. Un peu de chair, de boue, de venin ou de vertige, une matière humaine médusante ou ordinaire, mais un rien plus frappante que ce que les dehors convenus ou convenables laissent paraître. Quelles essences plus habitées que les surfaces qui les couvent recèlent les Apparences matoises de Marc Fitoussi ? Auteur jusque-là de comédies soucieuses d’élégance et de délicatesses, toujours très finement écrites, castées, et parfois mises en scène à l’avenant (tel l’exquis la Ritournelle, avec Isabelle Huppert en fermière bovarienne), le cinéaste s’essaie à un registre autrement acide de satire des faux-semblants et arrangements dont s’orne par convenance la conjugalité bourgeoise.

Mesquinerie

En l’espèce, le couple que forment et affichent faraudement Eve (Karin Viard) et Henri (Benjamin Biolay), au centre d’une communauté d’expatriés à Vienne, portant tous plus haut les uns que les autres, de salons de manucure en mondanités, une mesquinerie aisée et cancanière en foulard de soie. Eve, qui ne méconnaît rien des rouages de sa classe d’adoption pour s’y être hissée avec gourmandise depuis une extraction plus modeste qui lui répugne - mais à laquelle ne manque jamais de la renvoyer sa mère -, trouve son brillant chef d’orchestre de mari un peu plus évaporé et grognon qu’à l’accoutumée à l’approche de son prochain concert triomphal. Et ainsi va-t-elle en concevoir, sans se le formuler tout à fait, l’intuition que celui-ci la trompe, puisque c’est là, n’est-ce pas, la fatalité du cliché qui régente les existences alentour, et qu’il n’est pas de cliché sans fond de vérité, comme il n’est pas d’adultère moderne sans mots coquins traînant éhontément dans un tiroir, à deux clics de souris, voire sur la table de nuit.

Le film brode d’abord avec malice une sorte de jeu de faux dupes où héroïne et spectateurs peuvent se griser de démêler les poncifs qu’ils projettent à l’écran de ceux que le récit rejoue, tandis qu’Eve tournicote autour de l’évidence cruelle jusqu’à s’y cogner - jolie scène où elle bute sur un meuble tandis qu’elle espionne l’homme qu’elle aime, radieux de la délaisser un instant et guère ému de la voir se blesser, même lorsque son cri de douleur le rappelle à elle. Puis Eve met le nez dans la liaison de son mari avec l’institutrice de leur bel enfant adopté au bout du monde (Lætitia Dosch, qui offre sa silhouette la plus subtilement duplice à un film tout de figurines trop monocordes), et s’ingénie à la saboter à la faveur d’un invraisemblable hacking de boîte mail.

Rictus

L’affaire s’avérant d’une scabrosité effroyablement quelconque, le scénario de Fitoussi y parachute un érotomane sous bracelet électronique qui poursuit Eve de ses assiduités, faisant soudain de la protagoniste une femme non seulement trompée mais traquée. Hélas, que le danger survienne ainsi de pareille greffe exogène, plutôt que de germer du couple ou de son biotope, trahit combien l’intrigue, à trop s’écrire par demi-tons et semi-teintes, oscillant entre thriller et farce sans s’engager où que ce soit, demeure sur le seuil de chacun de ses enjeux pour s’en tenir à un vague rictus et une valse d’artifices. Malgré une très belle scène d’adieux, à la tonalité réconciliatrice trop tardive, manque au film un peu de l’aménité avec laquelle la Ritournelle pouvait disposer même de ses personnages les plus imbuvables, aux protagonistes de ces Apparences cette part toute chabrolienne de banalité du tragique qui nous les rendrait moins univoquement antipathiques, et à l’ensemble cet horizon de décomposition où les objets, les lieux et les signes de la vie chère ne seraient plus seulement un décor de signes mais des miroirs, des pièges, ou les deux.

Les Apparences de Marc Fitoussi avec Karin Viard, Benjamin Biolay… 1 h 50.

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