Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
26 septembre 2020

Attaque près des anciens locaux de « Charlie » : chez Premières Lignes, « la foudre a frappé deux fois au même endroit »

charlie88

Par Aude Dassonville, Lorraine de Foucher - Le Monde

Après le 7 janvier 2015, les dirigeants de la société de production avaient choisi de ne pas changer d’adresse. Son fondateur demande aujourd’hui qu’elle soit sanctuarisée.

Vendredi 25 septembre, il n’est pas encore midi. A son bureau du deuxième étage du 10 rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, Louis (le prénom a été modifié), salarié de l’agence de presse Premières Lignes, entend des cris. Il ne réagit pas tout de suite, il y a souvent des personnes qui hurlent dans la rue. Jusqu’à ce qu’il entende : « Attention ! Attention ! Il a un couteau ! »

Cinq ans et demi après l’attentat du 7 janvier 2015, c’est encore à cette adresse, devant le bâtiment gris et bordeaux qui accueillait la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, qu’une attaque sanglante a eu lieu.

Alors que sur le trottoir, Pierre-Adrien et Lucie – respectivement chargé de postproduction et responsable des plannings chez Bocode, qui dépend de Premières Lignes – s’effondrent sous les coups de hachoir de l’assaillant, à l’intérieur « les gens gardent leur sang-froid, agissant comme par réflexe. On sentait que les gestes avaient déjà été faits », raconte Louis.

Les portes sont fermées et barricadées avec des tables. Dans le calme, tout le monde prend la direction du toit, ce même toit duquel les journalistes avaient filmé les frères Kouachi criant « on a vengé le prophète Mohamed » en janvier 2015. « Je ne comprends toujours pas pourquoi on va sur le toit à chaque fois. Je veux dire si quelqu’un rentre, on fait comment ? On saute ? Peut-être que ça nous rassure d’être à l’extérieur », explique-t-il.

Elise Lucet : « C’est lourd, c’est violent pour nous »

Même toit, mêmes images d’épouvante depuis la balustrade d’où ils voient Pierre-Adrien blessé au sol. Puis la même attente des secours, qui semble interminable. « Je me suis dit “putain ça recommence, c’est pas possible, la foudre peut pas frapper deux fois au même endroit”. Et si. Quand on est dans les [anciens] locaux de Charlie Hebdo, c’est possible. »

La police arrive, et c’est la même exfiltration vers le théâtre d’à côté, le Comédie-Bastille. Puis la cellule psychologique, cette fois-ci à la mairie du 11e. Et les mêmes interrogations sur la survenue d’un événement comme celui-là.

Après l’attentat de 2015, Charlie Hebdo avait déménagé dans un bunker à une adresse tenue secrète. Premières Lignes, elle, était restée dans la rue endeuillée. Une adresse à la sonorité devenue familière, à force d’avoir été répétée depuis cinq ans. Une adresse martelée à l’occasion du procès des assassins des journalistes et dessinateurs, et dont « on aurait dû penser qu’elle allait réveiller les fragiles du bulbe qui ne demandent qu’à mourir le plus vite possible au nom de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]», laisse tomber Paul Moreira, reporter et fondateur de Premières Lignes. En son for intérieur, il est persuadé que « le type ne savait même pas qu’il n’y a plus Charlie Hebdo ici ».

« C’est lourd, c’est violent pour nous, abonde Elise Lucet, la présentatrice de « Cash Investigation » sur France 2, produite par l’agence spécialisée dans l’investigation. Il y a beaucoup de gens dans la société qui sont encore extrêmement choqués par ce qui s’est passé il y a plus de cinq ans. Même si ce qui est arrivé aujourd’hui est moins dramatique, parce que personne n’est mort, nos équipes revivent un traumatisme. »

« Un bâtiment symbolique et une cible »

En général, la rue attire les curieux, « à 99 % bienveillants », et ceux qui viennent se recueillir devant le Charlie Hebdo Memorial, cette grande fresque de street-art représentant les visages des victimes du 7 janvier 2015. « C’est aussi l’endroit où on fait nos pauses clopes », décrit un journaliste de TV Presse, une agence de reportages et de documentaires voisine. Mais « Le 10, rue Nicolas-Appert, c’est un bâtiment symbolique et une cible, une cible molle », ajoute Paul Moreira, qui demande désormais que les lieux soient sanctuarisés.

Premières Lignes a joui d’une protection policière « pendant deux mois à peu près » après le 7 janvier 2015. Puis plus rien. « Là, pour le procès, on n’avait rien réclamé. On s’est laissé ramollir. Je suis en colère parce que [le ministre de l’intérieur Gérald] Darmanin et [le premier ministre Jean] Castex [qui se sont déplacés sur les lieux de l’attaque vendredi après-midi], comme nous, auraient pu y penser. Mais c’est inimaginable, un truc pareil. Comme ce qu’ont fait les frères Kouachi était inimaginable. »

Avec le procès et la republication des caricatures dans le journal satirique, Louis avoue l’avoir imaginé lui aussi, et s’être inquiété de la sécurité des lieux. « Quand tu tapes “Charlie Hebdo” dans Google Maps, tu arrives rue Nicolas-Appert. N’importe quel mec un peu débile, c’était sûr qu’il allait atterrir là », a pensé le salarié de l’agence de presse. « Quand on a revu la façade passer en boucle sur les écrans à l’occasion du procès, ça a renforcé notre sentiment d’inquiétude », confirme Elise Lucet.

Déménager ? Jusque-là, il n’en a pas vraiment été question. En 2015, Paul Moreira et son associé, Luc Hermann, avaient loué des locaux en face de la rédaction de l’agence, « pour ceux qui ne se sentaient pas de rester au 10, explique le journaliste. Mais petit à petit, les gens avaient préféré y revenir. » Cette fois, « on va en parler entre nous », promet-il.

Publicité
Commentaires
Publicité