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Jours tranquilles à Paris
26 septembre 2020

Sur Google, l’heure des recherches à « zéro clic »

google clic

Par Alexandre Piquard - Le Monde

Séances de cinéma, résultats de football, météo, Bourse… le moteur de recherche propose toujours plus de réponses directes aux internautes. Certains sites s’inquiètent de cette concurrence.

Si on tape « séances Tenet » dans Google, le moteur de recherche ne se fait pas prier : il affiche tout de suite une boîte avec les horaires du film de Christopher Nolan, aujourd’hui et les jours suivants, dans les cinémas des alentours – en effet, vertige du profilage, Google sait en général où on se trouve. En prime, une seconde boîte montre l’affiche du film, son casting, un court résumé de l’intrigue…

Si on préfère s’intéresser à « PSG-Nice », Google dégaine un cartouche résumant le dernier match entre les deux clubs de football : le score, les buts, la date du match retour… Et pour « météo Marseille » ? Un pavé donne la température, l’humidité, le vent et les prévisions pour la semaine. Pour « cours Bourse BNP Paribas » ? Un tableau résume l’évolution de l’action sur la journée ou même sur cinq ans, avec la capitalisation, etc.

Tout cela est visible en restant sur le célèbre moteur de recherche, sans avoir à cliquer sur un des liens vers des sites externes listés dans la page de résultats.

En effet, Google a lancé ces dernières années, sur certains thèmes, des boîtes de « réponses directes ». Et celles-ci sont placées en « position zéro » : un emplacement en or, au-dessus de la très convoitée position numéro un de la page de résultats. Au point que certains y voient une concurrence peu loyale.

« NOUS CONSTATONS UNE BAISSE DE 30 À 40 % DU TRAFIC VENANT DE GOOGLE SUR LES PAGES CALENDRIER ET CLASSEMENT DE LA LIGUE 1 », EMMANUEL ALIX, DIRECTEUR DU NUMÉRIQUE DE L’« EQUIPE »

Ces incursions de Google ont des conséquences pour les sites leaders sur les territoires concernés. « Nous avons constaté une baisse de 30 % à 40 % du trafic venant de Google sur les pages calendrier et classement de la Ligue 1 de football, déplore Emmanuel Alix, directeur du numérique de L’Equipe. Google nous dit qu’il nous apporte de l’audience mais, là, il se comporte moins comme un moteur de recherche que comme un média. » Google a un accord global payant avec le fournisseur de statistiques sportives Opta, pour le football, le basket, le baseball… Mais le moteur propose aussi des contenus copiés gratuitement sur des sites, avec un lien : le classement du Tour de France, celui des joueurs ATP en tennis…

A La Chaîne météo, l’audience du site Web a baissé dans une fourchette de « 12 % à 25 % » depuis que le moteur de recherche propose sa boîte de prévisions : « L’évolution de Google prive une partie des sites de leur audience », dénonce Marc Feuillée, directeur général de la maison mère Groupe Figaro. Pour la météo, le moteur de recherche achète ses données au fournisseur américain Weather.com.

Chez Boursorama, on a senti un effet mais le directeur marketing, Xavier Prin, s’affiche stoïque : « L’offensive de Google n’a pas affecté l’audience générale de notre site, qui offre une information plus complète et en temps réel. Toutefois, nous avons suivi attentivement leur arrivée sur la verticale boursière, qui peut répondre aux internautes s’intéressant ponctuellement à la Bourse et se contentant d’une simple requête pour consulter un cours d’action ou de devise. »

Depuis 2015, Google a lancé des « réponses directes »

Allociné a lui subi « 10 % à 15 % » de baisse sur ses pages de séances de cinéma, mais a trouvé une parade originale : l’entreprise française est devenue le fournisseur de Google pour les horaires des films au niveau mondial… En effet, elle a noué un accord par l’intermédiaire de Box Office Pro, une filiale américaine rachetée en 2015 grâce à l’appui de sa maison mère Webedia. « Avec les grandes plates-formes numériques comme Google, nous souhaitons entrer en complémentarité, plutôt que de chercher un affrontement. Il n’y a pas d’autre choix, vu leur puissance », pense Cédric Siré, directeur général de Webedia.

Le cinéma, la météo, le sport ou la Bourse ne sont que des exemples : depuis 2015, Google a lancé des « réponses directes » pour la définition de mots du dictionnaire, la traduction, les paroles de chansons, la réservation d’hôtels, les annonces d’emploi ou la culture générale, de la mort d’Albert Einstein à la taille de la tour Eiffel… Celles-ci sont tirées de partenariats payants ou du Knowledge Graph, une encyclopédie interne compilant des milliards de faits. A cela s’ajoutent des réponses à des questions courantes, tirées d’articles du Web : « Pourquoi le ciel est bleu ? » « Comment calculer les indemnités kilométriques ? » Baptisées « extraits optimisés », elles sont accompagnées d’un lien. Enfin, il faut ajouter les boîtes copiées de l’encyclopédie à but non lucratif Wikipedia, que Google soutient avec des dons.

PLUS DE LA MOITIÉ DES RECHERCHES SUR GOOGLE NE GÉNÈRENT AUCUN CLIC SUR LES LIENS LISTÉS DANS LES RÉSULTATS, SELON L’ENTREPRISE DE RÉFÉRENCEMENT SPARKTORO

Désormais, plus de la moitié des recherches sur Google ne génèrent aucun clic sur les liens listés dans les résultats, selon les calculs menés en juin 2019 aux Etats-Unis par Rand Fishkin, PDG de l’entreprise de référencement SparkToro. Trois ans plus tôt, ce taux de recherches « zéro clic » n’était que de 43 %. Sur les écrans mobiles, plus petits, le taux monte à 61 %. Conséquence : entre 2016 et 2019, le nombre de clics envoyés par Google aux sites extérieurs aurait baissé de 20 % aux Etats-Unis, pour les recherches sur navigateurs, selon SparkToro. « Le moteur de recherche de tout le monde est devenu le concurrent de tout le monde », estime M. Fishkin dans un billet.

Pour sa défense, Google rappelle que le « zéro clic » a des causes diverses, comme une requête mal formulée. « Et, depuis sa création, Google apporte chaque année davantage d’audience au Web », assure Danny Sullivan, chargé des relations extérieures pour le moteur de recherche. Une telle hausse en valeur absolue est possible malgré l’essor du « zéro clic » car l’audience globale de la plate-forme augmente (et que son application mobile n’est pas prise en compte par SparkToro). Toutefois, le géant du Web ne donne pas de chiffres.

Google conteste une méthodologie « trompeuse »

En outre, Google consacre désormais 41 % de la surface de la première page de ses résultats à ses contenus ou aux réponses directes, a calculé le média américain The Markup en juillet. Google conteste une méthodologie « trompeuse » mais ne fournit pas de contre-statistiques.

Enfin, la présence d’« extraits optimisés » ferait baisser d’un quart le taux de clics vers les liens listés dans les résultats de Google, selon la société de référencement Ahrefs. « Les extraits optimisés envoient pourtant beaucoup de trafic vers les éditeurs concernés, qui cherchent d’ailleurs à y figurer », rétorque M. Sullivan. En effet, le lien choisi par l’algorithme de Google comme « extrait optimisé » reçoit plus de clics que s’il était en 4e ou 5e position des résultats. Mais cela n’empêche pas une baisse des clics vers l’ensemble des sites extérieurs, pointe M. Feuillée. Pourquoi ne pas alors refuser d’apparaître dans les « extraits optimisés », comme le permet Google ? S’en priver serait une « perte de chance », argue le dirigeant du Figaro.

Google trahit-il sa promesse originelle ? Au tournant des années 2000, à l’époque des portails comme AOL ou Yahoo!, Google tranchait avec sa mise en page dépouillée : une liste de « liens bleus », classés par pertinence avec un principe nouveau, valorisant le nombre de pages qui pointent vers une source. « Nous voulons vous faire sortir de Google et vous amener au bon endroit le plus vite possible », résumait en 2004 le fondateur Larry Page, dans une interview au magazine Playboy. Il ajoutait même : « La plupart des portails montrent leur propre contenu au-dessus des liens vers le contenu hébergé ailleurs. Nous pensons que c’est un conflit d’intérêts. » Selon ses critiques, Google était alors une passerelle vers le Web ouvert mais, depuis, se rapproche d’un « jardin fermé ».

« NOUS VOULONS VOUS FAIRE SORTIR DE GOOGLE ET VOUS AMENER AU BON ENDROIT LE PLUS VITE POSSIBLE », RÉSUMAIT EN 2004 LE FONDATEUR LARRY PAGE, DANS LE MAGAZINE « PLAYBOY »

M. Sullivan rejette la comparaison : « Y a-t-il une autre entreprise qui envoie autant d’audience vers des sites Web extérieurs que Google ? C’est un drôle de jardin fermé. » Envoyer les internautes vers l’extérieur comme en 2004 n’aurait plus de sens quand Google peut leur fournir une réponse rapide, sur des « savoirs communs ». « C’est cohérent avec la philosophie de Google depuis ses débuts : organiser l’information du monde et la rendre accessible à tous, pas simplement organiser des liens et vous faire cliquer dessus », selon M. Sullivan, qui fait le parallèle avec l’horloge ou le service météo pré-installés sur les smartphones.

Et maintenant ? Google peut-il voir son évolution contestée ? En 2017, le moteur de recherche s’est vu infliger 2,42 milliards d’euros d’amende par la Commission européenne pour avoir accordé un traitement préférentiel à son comparateur de prix Google Shopping. Depuis, la Commission a ouvert une enquête préliminaire sur son service d’annonces d’emploi mais n’a pas reçu d’autres plaintes.

En février, quarante acteurs du voyage, dont Expedia ou TripAdvisor, ont toutefois écrit à Bruxelles pour protester contre le comparateur de séjours d’hôtels installé en position zéro en 2019. Google défend cette interface et son comparateur de vols, qui déplairaient aux « intermédiaires » mais pas aux hôtels ou aux compagnies. Pour toutes ces initiatives, le moteur met en avant la satisfaction des utilisateurs. Mais est-ce un argument suffisant si des concurrents sont affectés ? C’est l’un des débats en cours partout sur la régulation du numérique.

Bras de fer

Aux Etats-Unis, le soupçon de favoritisme de ses services par Google.com pourrait faire l’objet d’une plainte spécifique des procureurs des Etats, après la présidentielle, selon le New York Times. Par ailleurs, la commission antitrust de la Chambre des représentants des Etats-Unis a interrogé la société sur le « zéro clic ».

En Europe, des médias – dont L’Equipe ou Le Figaro – ont fait voter en 2019 un « droit voisin » leur permettant de demander une rémunération pour les extraits de contenus. Mais sa mise en place a depuis tourné au bras de fer.

Plus largement, le Digital Services Act, projet européen de régulation des plates-formes, envisage des règles pour éviter que celles-ci favorisent leurs services. Google a déjà commencé à riposter auprès de Bruxelles : avec une « interdiction large et absolue des traitements inégaux », le moteur n’aurait pas pu lancer des « innovations bénéfiques » comme les boîtes avec des extraits de cartes de Google Maps. La bataille sera rude. Et longue. Les « extraits optimisés » fournissent souvent les réponses de Google dans un domaine d’avenir de la recherche : la commande vocale, sur smartphone ou enceinte connectée mais aussi en voiture.

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