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Jours tranquilles à Paris
29 septembre 2020

Jugé « trop pharaonique », le chantier du Grand Palais abandonné

Par Cédric Pietralunga, Isabelle Regnier, Harry Bellet - Le Monde

La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a pris la décision d’engager à la place des travaux de rénovation pour le même coût de 466 millions d’euros.

Cette fois, c’est officiel. Après des semaines de rumeurs, l’abandon du projet de « restauration et d’aménagement » du Grand Palais, mené par le cabinet d’architectes Local Architectures Network (LAN), a été confirmé par le ministère de la culture, samedi 26 septembre.

« On abandonne le projet initial car sa philosophie paraît aujourd’hui inadaptée », explique l’entourage de la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, réagissant à une information du Figaro. La rénovation du bâtiment situé dans le 8e arrondissement de Paris, lieu d’expositions mais aussi de défilés de mode ou de salons, n’est pas abandonnée mais sera moins radicale. « On sera plus dans la restauration que dans la transformation », explique-t-on Rue de Valois.

Conçu en 2013, le projet de LAN prévoyait de transformer en profondeur le Grand Palais, construit pour l’exposition universelle de 1900 et aujourd’hui morcelé entre différents espaces et activités (Palais de la découverte, Galeries nationales, nef centrale, restaurant…), afin d’en faire une « machine à culture » à deux pas de l’avenue des Champs-Elysées.

Les architectes comptaient notamment excaver l’espace central des 72 000 mètres carrés du bâtiment, détruire les galeries en surplomb, rendre les toits accessibles ou encore tracer une rue traversante. Objectif : accueillir jusqu’à 4 millions de visiteurs par an, contre moins de 3 aujourd’hui. La nef devait notamment doubler sa capacité et recevoir jusqu’à 11 000 personnes.

Un projet jugé aujourd’hui « trop pharaonique » par les pouvoirs publics. « Cela aurait été une destruction massive, explique un proche de Roselyne Bachelot. Plus les années passaient et plus le projet semblait daté. Le confinement a donné le coup de grâce : il faut aujourd’hui davantage prendre en compte les considérations écologiques, avoir des espaces de circulation plus importants, plus Covid-compatibles… »

« Nous avons profité du confinement pour réfléchir à ce que seraient nos besoins dans un monde qui vit une pandémie, laquelle met en question l’idée même des grandes expositions. La situation à notre réouverture en 2024 reste une inconnue. L’avenir des institutions culturelles pose question », abonde Chris Dercon, président de la Réunion des musées nationaux (RMN)-Grand Palais.

La crise sanitaire rebat les priorités

Le coût final du projet inquiétait également au sommet de l’Etat, alors que la crise sanitaire rebat les priorités du pays. Selon le ministère de la culture, le budget de 466 millions d’euros ne tenait qu’au prix de renoncements de plus en plus importants.

« Le programme initial était déjà infaisable avec l’enveloppe prévue au départ, il avait fallu rogner sur plusieurs choses. L’extérieur du bâtiment se dégrade aussi beaucoup plus vite que prévu, notamment les statues, ce qui impliquait d’intégrer un poste de restauration supplémentaire », explique-t-on Rue de Valois. Selon les services de l’Etat, le projet de LAN comportait également des risques techniques, liés notamment à la proximité de la Seine. « Mieux vaut en rabattre dans l’ambition du projet plutôt que de se retrouver avec un chantier au coût exponentiel », approuve-t-on à Bercy.

Pas question néanmoins d’en rester là. Non seulement le bâtiment doit être rénové d’urgence du fait de sa vétusté – « nous sommes sous le coup d’un arrêté de fermeture », affirme le ministère –, mais la France s’est engagée à y accueillir des épreuves des Jeux olympiques de 2024. Comprendre : il n’y a plus de temps à perdre.

A pied d’œuvre depuis le 31 juillet, François Chatillon, l’architecte en chef des monuments historique chargé du Grand Palais, s’est installé la semaine dernière avec ses équipes dans l’enceinte même du bâtiment, « pour ne pas perdre une minute ». En se fondant sur le travail accompli depuis trois ans – modélisation des espaces en 3D, plus de 3 000 plans d’architecte réalisés, connaissance très poussée de la structure et des matériaux… – ses équipes ont déjà produit une première image du projet.

Un camouflet à la profession

Sourd aux critiques qui fusent pour dénoncer tout à la fois le renoncement de l’Etat à toute ambition architecturale, un camouflet à la profession tout entière et un passéisme manifeste, François Châtillon défend la sobriété de son approche contre « la chirurgie invasive » que représentait selon lui le projet précédent : « On est en train de changer de paradigme. Peut-être que l’époque des grands projets, c’est fini, et peut-être que c’est nécessaire… ». L’architecte dit vouloir rendre au bâtiment sa modernité d’origine.

« Ce bâtiment qui a été mal aimé, parce qu’il était mal connu, qu’il a été bricolé pendant des siècles, offre énormément de possibilités qu’on n’arrive pas à imaginer aujourd’hui. Restaurer plutôt que transformer, ça veut dire qu’on ne casse plus la structure, qu’on ne décaisse plus dans la nef, qu’on prend le bâtiment tel quel sans renoncer à l’ambition, et qu’on travaille avec lui. ». Autrement dit, comme le résume Chris Dercon : « Nous renonçons à la rue, qui devait relier les Champs-Elysées à la Seine, car nous avons déjà trois espaces existants, actuellement sans affectation, qui tiennent plus des places que de la rue, et qui, une fois reliés, permettront de la faire à moindres frais ».

Le coût de ce nouveau projet a été fixé lui aussi à 466 millions d’euros. Mais ses partisans assurent qu’il sera plus facile à maîtriser qu’avec le projet LAN. La contribution de 25 millions d’euros de Chanel, attribuée à la condition que le Grand Palais soit profondément transformé, n’est pas remise en cause, assure le ministère de la culture. Reste à savoir quel sera le montant du dédit que l’Etat devra nécessairement verser à l’agence d’architectes, qui aura travaillé « pour rien » pendant près de sept ans. Contacté par Le Monde, Umberto Napolitano, le fondateur italien de LAN, ne souhaite pas s’exprimer pour l’instant. Il se dit lié par un devoir de réserve tant que son contrat n’a pas été résilié.

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