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Jours tranquilles à Paris
2 octobre 2020

Laïcité : comment Macron a imposé le séparatisme dans le débat

Par Cécile Chambraud, Louise Couvelaire - Le Monde

Le chef de l’Etat doit présenter aux Mureaux (Yvelines), ce vendredi, son plan d’action qui va faire l’objet d’un projet de loi.

Après plusieurs reports, Emmanuel Macron doit présenter vendredi 2 octobre, aux Mureaux (Yvelines), son action contre « les séparatismes », une priorité revenue au premier plan cet été et qui doit faire l’objet d’un projet de loi d’ici à la fin de l’année. Le texte est longtemps resté dans les limbes. « Il est trop tôt pour parler du contenu », avait ainsi indiqué mi-septembre Jean Castex aux représentants des cultes, reçus un à un à l’Hôtel Matignon.

Le gouvernement, lui, en parle beaucoup. Jean Castex l’a annoncé lors de son discours de politique générale, le 15 juillet, Emmanuel Macron l’a confirmé le 4 septembre. Quant au duo formé au ministère de l’intérieur par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa, il en a fait une des clés de sa ligne politique. Mais ce qu’en a dit jusqu’à présent l’exécutif est jugé bien faible, voire « à côté de la plaque » par les acteurs de terrain.

Pendant tout l’été, le ministre de l’intérieur a préparé cette mobilisation par un discours alarmiste. « Le pays est malade de son communautarisme et désormais d’un islam politique qui veut renverser les valeurs de la République », a-t-il lancé dans La Voix du Nord le 18 juillet, avant de présenter le futur projet de loi comme un rempart contre « la guerre civile ». Puis, il a dénoncé quelques jours plus tard « l’ensauvagement d’une certaine partie de la société ».

Dans sa ligne de mire : les quartiers populaires, qu’il dépeint comme gangrenés tantôt par les intégristes musulmans, tantôt par les trafiquants. Le ton est donné. Certains le jugent glissant. Entre « ensauvagement » et « séparatisme », les banlieues sont l’objet d’un « jeu politicien dangereux » au nom d’un calcul « électoral court-termiste », analyse François Cornut-Gentille, député (Les Républicains, LR) de Haute-Marne et coauteur d’un rapport parlementaire sur la « faillite de l’Etat » en Seine-Saint-Denis, publié en mai 2018.

Changement de pied

Ce branle-bas de combat au secours de la République en danger arrive comme le point d’orgue d’une évolution du discours d’Emmanuel Macron depuis un an. Conscient de l’intrication de différentes dimensions qu’il ne souhaitait pas confondre – tentation radicale, fondamentalisme, influences étrangères, organisation du culte, discriminations –, le président de la République avait jusqu’alors marché sur des œufs. Mais après avoir pointé du doigt le « communautarisme » pendant plusieurs mois, il a introduit le mot « séparatisme » dans le débat public à la suite de l’attentat à la Préfecture de police de Paris, en octobre 2019, pour cibler un islam en rupture avec les règles sociales et politiques.

« [EMMANUEL MACRON] A LONGTEMPS DÉNONCÉ LES AMALGAMES. AUJOURD’HUI, IL LES FABRIQUE », ESTIME AURÉLIEN TACHÉ, DÉPUTÉ EX-LRM DU VAL-D’OISE

Ce changement de pied a surpris et déçu certains anciens élus de La République en marche (LRM). « En 2017, il avait un discours beaucoup plus mesuré, estime ainsi Aurélien Taché, député du Val-d’Oise. Il a longtemps dénoncé les amalgames. Aujourd’hui, il les fabrique. On termine le quinquennat avec un président qui n’aura pas prononcé le nom de George Floyd [un Afro-Américain asphyxié lors de son arrestation par un policier blanc le 25 mai à Minneapolis] et qui charge ses deux ministres (Darmanin et Schiappa) d’assumer un virage néoconservateur. Avec ce type d’approche, on n’aura pas réussi à éliminer un extrémisme – islamiste – et on aura réussi à renforcer un autre – d’extrême droite. »

Au départ, le « séparatisme » vise sans détours et exclusivement certaines conceptions et pratiques de l’islam. « Dans certains endroits de la République, affirme Emmanuel Macron sur RTL le 28 octobre 2019, il y a un séparatisme qui s’est installé, c’est-à-dire la volonté de ne plus vivre ensemble, de ne plus être dans la République, au nom d’une religion, l’islam, en la dévoyant. » En février, à Mulhouse (Haut-Rhin), ce séparatisme devient même le « séparatisme islamiste ». Cet été, après la parenthèse de la crise sanitaire, le séparatisme est revenu en force en gagnant au passage le « s » du pluriel. Une subtilité sémantique qui ne dupe personne, les cibles principales restent musulmanes.

« Intérêts court-termistes dangereux »

« En optant pour cette approche, le gouvernement veut donner des gages à la droite, son électorat, et défend ainsi des intérêts court-termistes dangereux qui risquent de susciter des vocations », alerte Mohamed Bajrafil, linguiste et imam à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Il n’est pas le seul à craindre des effets contre-productifs. « J’ai peur que ce genre de discours omniprésent pousse les plus vulnérables dans les bras de personnes mal intentionnées », prévient Yacine Hilmi, président de l’association Hozes, qui propose des sessions de formations – apprentissage du français, découverte des institutions… – aux imams dans toute l’Ile-de-France.

« J’AI PEUR QUE CE GENRE DE DISCOURS POUSSE LES PLUS VULNÉRABLES DANS LES BRAS DE PERSONNES MAL INTENTIONNÉES », PRÉVIENT YACINE HILMI, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION HOZES

Dans un entretien au Parisien, le 7 septembre, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa n’ont pas masqué cette orientation en évoquant l’interdiction des « certificats de virginité ». Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui, conteste cette association avec l’islam. D’autres jugent cette pratique si « anecdotique » qu’ils ne comprennent pas qu’elle soit ainsi montée au rang de priorité. « On nage en plein délire, tempête Driss Ettazaoui, adjoint au maire d’Evreux et vice-président de l’association des maires Ville et Banlieue. Ça représente quoi, ces certificats ? Il doit probablement y avoir quelques cas, mais les enjeux ne sont pas là. Tous ces propos inconséquents sèment la confusion et créent un climat de haine et de défiance qui fracture le pays. »

Autre piste évoquée : pour recevoir des subventions publiques, les associations devraient signer un « contrat » présenté tantôt comme un « engagement sur la laïcité », tantôt sur « les valeurs de la République », dont l’égalité hommes-femmes. Le contenu reste flou. Pour le Planning familial, par exemple, il est hors de question de contraindre ses membres à la neutralité vestimentaire. « Nous pratiquons l’accueil inconditionnel de toutes les femmes. Salariées et militantes s’habillent comme elles veulent », rappelle Véronique Séhier, ancienne coprésidente.

Mesures de contrôle et sanctions

Telle qu’elle ressort des discours ministériels actuels, la lutte contre « les séparatismes » se résume à des mesures de contrôle et de sanctions. Il ne reste plus grand monde pour défendre la dimension sociale de cette politique. « Au nom d’un problème qui existe mais qui n’est pas aussi massif qu’on veut bien le présenter, on stigmatise toute une communauté, se désole Yacine Hilmi. Qui sont ces séparatistes ? Combien sont-ils ? Où sont-ils ? Tout ça est très vendeur, mais cela ne pose pas les bonnes questions. Le vrai sujet, il est social : quels moyens est-on prêt à investir pour sortir ces habitants des difficultés ? »

Amputé du logement, et donc de sa principale source de financement, le ministère de la ville est devenu un « ministère accessoire », dénonce François Cornut-Gentille. « Ce ministère n’a plus les moyens de mener une politique publique ambitieuse et la nouvelle ministre, Nadia Hai, même si c’est une dame respectable, n’a pas la dimension pour peser sur la ligne du gouvernement. » L’élu parle d’un « déni de réalité sur les quartiers » : « Tous ces faux débats sur l’islam et le séparatisme – même s’il est indéniable qu’il y a un problème – détournent de la réalité du terrain qu’on ne veut pas voir : l’effondrement de l’Etat et l’explosion des mafias autour des trafics illégaux. La vérité, c’est que l’on n’a aucune stratégie. Au lieu de repenser les outils de l’action publique, de réinventer la politique de la ville et d’admettre qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de répression policière mais surtout d’action sociale, on parle d’islam. »

« Face à la ligne dominante Blanquer-Darmanin-Schiappa, Nadia Hai n’est absolument pas en mesure de faire le poids », déplore Aurélien Taché. « Le levier qu’il faut activer en urgence aujourd’hui, c’est pourtant le levier social », insiste Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon. Ça fait trois ans qu’on attend un vrai projet de l’exécutif, et trois ans plus tard, on nous sort le séparatisme ! Le problème, ce n’est pas les certificats de virginité ; la réponse, ce n’est pas un certificat de laïcité ; méconnaître à ce point la réalité du terrain, c’est très préoccupant. Si on persiste dans ce sens, on va continuer à produire des gens qui ne se sentent pas français. »

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