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Jours tranquilles à Paris
7 octobre 2020

Climat - Comment rester au frais sans griller la planète ?

frais

GRIST (SEATTLE)

Paradoxalement, les climatiseurs, hypersollicités durant les vagues de chaleur, contribuent au réchauffement de la planète. Des solutions existent pourtant pour limiter ce phénomène.

Au mois d’août, tandis qu’une vague de chaleur record faisait rôtir la Californie, la consommation d’énergie dans tout l’État a atteint des sommets, obligeant les compagnies d’électricité à imposer des coupures alternées pour la première fois depuis près de vingt ans. Pourquoi de telles perturbations sur le réseau électrique ? Parce que des millions de climatiseurs tournaient à plein régime. Cela en dit long sur les difficultés que nous allons avoir à rester au frais à l’avenir.

Le problème est à double tranchant : le changement climatique accroît la demande d’air conditionné, de réfrigération et d’autres technologies qui nous rafraîchissent et conservent nos aliments, mais ce même rafraîchissement contribue de façon importante à la crise du climat.

En 2018, selon un rapport de l’ONU, les équipements de refroidissement représentaient 17 % de la demande d’électricité mondiale. L’essentiel de l’électricité qui alimente ces appareils était produite en brûlant des énergies fossiles, ce qui contribue au réchauffement de la planète. Pis encore, la plupart des réfrigérateurs et des climatiseurs actuels utilisent une classe de fluides réfrigérants nommés hydrofluorocarbones (HFC), des gaz à effet de serre qui sont des milliers de fois plus puissants que le CO2.

Or, le problème ne fait que s’aggraver. À l’échelle mondiale, l’usage de la climatisation devrait être multiplié par trois d’ici au milieu du siècle. En effet, le réchauffement va stimuler la demande dans les pays riches, tandis que dans les pays en développement des milliards d’individus vont accéder pour la première fois à cette technologie. “Les climatiseurs vont nous griller si nous ne prenons pas les choses en main”, souligne Durwood Zaelke, président de l’Institut de gouvernance & de développement durable (IGSD) et coprésident du comité directeur du nouveau rapport de l’ONU.

La bonne nouvelle est que beaucoup des solutions pour rendre le rafraîchissement plus respectueux du climat existent d’ores et déjà. Nous devons débarrasser nos réfrigérateurs et nos climatiseurs des HFC, rendre la technologie de réfrigération moins gourmande en énergie, recycler correctement les vieux appareils qui fuient au lieu de les envoyer en décharge, et enfin concevoir nos bâtiments et nos villes pour qu’ils restent frais. Si nous faisons tout cela, notre course à la fraîcheur ne risque pas de nous faire bouillir vivants.

Un traité qui a sauvé la couche d’ozone

D’après les spécialistes, les deux premières solutions – éliminer les HFC et améliorer le rendement des climatiseurs et des réfrigérateurs – peuvent être réalisées par la mise en œuvre de l’amendement de Kigali. Celui-ci oblige les pays signataires à remplacer les HFC par des fluides réfrigérants plus respectueux du climat, tout en se laissant la possibilité d’autres améliorations en matière d’efficience à travers la réglementation.

Cet amendement est venu compléter récemment le protocole de Montréal, un traité décisif des années 1980 qui a sauvé la couche d’ozone en éliminant progressivement les chlorofluorocarbones (CFC), jusqu’alors largement utilisés aussi bien pour le refroidissement que dans du matériel d’emballage et des bombes aérosols pour les cheveux. Les HFC qui ont fini par remplacer les CFC ne détruisent pas l’ozone, en revanche ils détruisent notre climat. D’où la nécessité de mettre à jour le traité pour arrêter l’utilisation des HFC.

Des produits de substitution aux HFC existent, au premier rang desquels les hydrofluoroléfines (HFO), déjà utilisées dans plus de 70 millions de systèmes d’air conditionné de véhicules, et dont les répercussions sur le climat sont comparables à celles du dioxyde de carbone. Parallèlement, le CO2 lui-même, utilisé dans la réfrigération il y a plus d’un siècle, devrait faire son retour sur le marché.

Si elle est pleinement appliquée, la suppression progressive des HFC prévue par l’amendement de Kigali permettrait d’éviter jusqu’à 0,4 °C de réchauffement au XXIe siècle, ce qui en ferait “le mécanisme de réduction du réchauffement climatique le plus important dont l’humanité se soit jamais dotée”, souligne Durwood Zaelke. Mais si le traité est entré en vigueur en 2019, il est encore loin d’avoir été adopté par tous les États.

Aux États-Unis, alors même qu’il est soutenu par les deux grands partis et les industriels, ce qui est assez rare pour être souligné (les sociétés américaines sont bien placées pour devenir d’importants producteurs de HFO), le président Trump ne l’a pas envoyé au Sénat pour ratification, inexplicablement. S’il est élu, Joe Biden s’est déjà engagé à soutenir ce projet.

“Les ingénieurs doivent retourner à leur planche à dessein”

Les retombées de l’amendement de Kigali pourraient être bien plus importantes, notamment si les industriels, en remplaçant les HFC par des solutions plus écologiques, modifiaient la conception des appareils afin d’accroître leur efficacité – ce qui a été fait par le passé lorsqu’on a abandonné les CFC. Dans leur récent rapport, Zaelke et ses confrères estiment que les effets cumulés de l’abandon des HFC et des améliorations d’efficience pourraient représenter 460 milliards de tonnes d’émission de CO2 en moins sur les quarante prochaines années, soit huit ans d’émissions de gaz à effets serre planétaires aux seuils actuels. Doubler le rendement énergétique des climatiseurs à l’échelle mondiale pourrait aussi faire économiser 3 000 milliards de dollars en électricité, selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA).

“On peut encore faire beaucoup d’économies d’énergie sur les climatiseurs et les systèmes de réfrigération”, assure Kristen Taddonio, conseillère climat et énergie à l’IGSD. La transition des HFC vers des réfrigérants plus propres offre une belle occasion aux industriels d’en accroître l’efficience, si l’on en croit Kristen Taddonio, “car pour cela il va falloir que les ingénieurs retournent à leur planche à dessin”.

Des normes de performance énergétique minimale, des campagnes d’étiquetage volontaires comme le programme Energy Star de l’Environmental Protection Agency [EPA, Agence de protection de l’environnement], et des programmes d’achat fédéraux d’appareils à bon rendement énergétique peuvent favoriser ce processus, encourageant le secteur de la réfrigération à mettre plus de produits efficients sur le marché lors de la mise en œuvre de l’amendement de Kigali.

Les gouvernements doivent aussi gérer le problème de tous les réfrigérateurs et climatiseurs encore dans la nature, qui devraient émettre l’équivalent de 64 milliards de tonnes de CO2 d’ici à 2050. L’amendement de Kigali met fin progressivement à la production de nouveaux HFC, mais il ne tient pas compte des émissions de HFC dues à des fuites ou lors de la mise en décharge des appareils.

Par ailleurs, faire appliquer la réglementation relative à l’air conditionné et aux fuites de réfrigérateurs n’a jamais été une priorité aux États-Unis : selon un rapport de 2019 publié par l’ONG Environmental Investigation Agency (EIA), la plupart des systèmes de réfrigération des supermarchés perdent jusqu’à 25 % de leur fluide réfrigérant chaque année. Et en l’absence d’une réglementation fédérale imposant une collecte sérieuse des réfrigérateurs et des climatiseurs en fin de vie, le fluide réfrigérant qui circule à l’intérieur ainsi que les bombes de rechange utilisées pour les réparations et les produits chimiques servant de mousses d’isolation “finissent souvent dans ces décharges avant de finalement répandre leurs émanations dans l’atmosphère”, rappelle Kristen Taddonio.

Réduire l’effet des îlots de chaleur

En attendant des décisions gouvernementales sur les HFC, nous pouvons réduire la demande d’air conditionné en concevant des bâtiments et des villes qui restent naturellement frais. De simples mesures comme le fait de planter davantage d’arbres ou de peindre les toits peuvent largement contribuer à réduire l’effet dit des “îlots de chaleur urbains”, un phénomène par lequel l’asphalte des rues et les toits, ainsi que la chaleur dissipée (paradoxalement) par les systèmes d’air conditionné, font augmenter les températures des villes de plusieurs degrés par rapport à celles de la campagne environnante. “Si vous avez un toit frais sur n’importe quel bâtiment dont l’air est conditionné, vous réduisez le gain de chaleur solaire pour ce bâtiment, fait valoir George Ban-Weiss, professeur à l’université de Californie du Sud, qui étudie l’effet des îlots de chaleur urbains. Et vous utilisez donc moins d’air conditionné.”

Mettre aux normes les bâtiments et en concevoir de nouveaux qui restent frais, par exemple en optimisant le placement des fenêtres pour réduire l’entrée de chaleur, peut aussi s’avérer utile. Autre piste, de nouveaux systèmes de refroidissement, comme le “Cold Tube” expérimental que des chercheurs ont récemment testé en extérieur à Singapour, ville chaude et humide : ce système utilise de l’eau fraîche pour absorber le rayonnement thermique des gens qui se trouvent à proximité, les aidant à se rafraîchir [l’énergie est utilisée pour refroidir l’eau dans le mur et non l’air].

Régler le problème du rafraîchissement n’est pas seulement un impératif climatique, c’est aussi une affaire de justice sociale. Pendant la récente vague de chaleur californienne qui a obligé les compagnies d’électricité à imposer des coupures, les appareils de refroidissement ont représenté une demande de près de 20 gigawatts, le double de leur charge normale de 9 gigawatts, selon des chiffres de la Commission californienne de l’énergie, fournis par Kristen Taddonio.

Même si ces appareils étaient présents sur tout le territoire de l’État, ce sont souvent les communautés à faibles revenus ou abritant des minorités de couleur qui ont été le plus pénalisées par ces coupures d’électricité programmées. “Chaque fois qu’il y a une vague de chaleur, la demande augmente, et pour éviter de grandes coupures d’électricité, les compagnies imposent des réductions, et ce sont généralement ces populations défavorisées qui en subissent les plus lourdes conséquences”, assure Roshanak Nateghi, professeure d’ingénierie industrielle à l’université Purdue.

Or, ces mêmes populations sont particulièrement menacées par les vagues de chaleur, car leurs quartiers ont tendance à avoir moins d’arbres, à connaître un effet d’îlot de chaleur plus accentué et à abriter des bâtiments plus vieux, plus énergivores. “Bien souvent, ce sont les quartiers les plus riches qui ont des rues bordées d’arbres et profitent de nombreux espaces verts, note George Ban-Weiss. Et cela se traduit par des disparités de confort.”

Faire en sorte que tous aient accès à un rafraîchissement propre, efficient, devrait largement contribuer à ce que la planète résiste mieux au réchauffement. Par ailleurs, faire baisser la température des rues en créant des espaces verts et en mettant les bâtiments aux normes, cela permettra que, lors de la prochaine vague de chaleur, les populations les plus vulnérables soient mieux équipées pour supporter une brève coupure d’électricité.

“J’ajouterais que les stratégies passives de refroidissement, d’une manière générale, réduisent l’utilisation de l’air conditionné, conclut George Ban-Weiss. Dans les faits, elles pourraient donc prévenir les coupures d’électricité.”

Maddie Stone

Source Grist

SEATTLE http://www.gristmagazine.com

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