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Jours tranquilles à Paris
11 octobre 2020

Controverse - La Colombie doit-elle légaliser la cocaïne ?

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Un sénateur vert a récemment déposé une proposition de loi inédite qui vise à asphyxier les réseaux de narcotrafiquants. L’initiative est loin de faire l’unanimité.

OUI

Pour mettre fin à la violence

– Portafolio, Bogotá

Qu’on parle de légaliser la drogue, la marijuana et la coca, ou de réglementer sa production et son utilisation en Colombie, c’est la même chose. La raison en est simple et évidente : il faut arracher ce marché aux trafiquants de drogue. Et empêcher que les millions engendrés par ce commerce illégal continuent de financer la violence sous toutes ses formes en Colombie.

La question de la légalisation ressort de nouveau dans le débat public, parce qu’il y a quelques jours le sénateur du Parti vert Iván Marulanda, soutenu par 20 autres membres du Congrès, a présenté une proposition de loi qui vise à réglementer et à légaliser le marché de la coca et de la cocaïne en Colombie. C’est une initiative novatatrice, intéressante et raisonnable. Il repose sur une mesure concrète, viable et réalisable : l’achat par le gouvernement colombien de 100 % de la récolte de feuilles de coca du pays et que ce soit l’État qui détermine son affectation et sa destruction.

Racheter la production serait moins cher que de la détruire

Une partie de la récolte reviendrait aux communautés indigènes, comme celles de la Sierra Nevada de Santa Marta, pour qui la feuille de coca joue un rôle central dans la culture et la vie quotidienne ; une autre partie servirait à des fins médicinales, une autre à un usage commercial, comme le thé de feuilles de coca, qui aujourd’hui se vend librement dans les supermarchés ; une autre partie serait transformée en cocaïne et distribuée aux consommateurs sous l’égide des autorités sanitaires, et ce qui resterait après avoir répondu à la demande des catégories exposées précédemment serait détruit.

Marulanda affirme, en donnant des chiffres, que l’achat de la récolte de coca par l’État colombien reviendrait bien moins cher que sa destruction au glyphosate ou manuellement. Je le crois. Il est facile de vérifier les chiffres.

La partie la plus controversée du projet est la production par l’État de cocaïne de très bonne qualité et sa distribution aux utilisateurs. Ces derniers seraient un peu plus de 300 000. J’imagine que la prescription sera réglementée par les autorités sanitaires et que les consommateurs devront s’inscrire et participer à des programmes de désintoxication, comme cela s’est fait il y a des décennies dans les pays européens qui ont dépénalisé l’utilisation de ce type de drogue. Pour autant, cet aspect du projet me semble risqué et inutile.

Je comprends son objectif : il faut légaliser et réglementer la totalité du marché de la coca et de la cocaïne, sans quoi le marché illégal ne prendra jamais fin. Mais, même sans cette mesure, le projet de Marulanda serait une grande avancée pour la Colombie. À l’origine de la violence que le pays connaît aujourd’hui, en particulier les derniers massacres horribles, il y a le trafic de drogue. Il s’agit de groupes illégaux qui s’approprient des territoires par le biais du terrorisme et de la peur.

En l’absence de débat sur ce sujet à l’international, en raison de la volonté marquée de Trump de mener une guerre totale contre la drogue et de l’immobilisme des Nations unies, la Colombie ne doit compter que sur elle-même.

– Ricardo Santamaría

cocaine

NON

Cela ne stoppera pas les trafics

– El Tiempo, Bogotá

Le cynisme des individus étant proportionnel à celui de la société qui le tolère, le sénateur Iván Marulanda vient de soumettre une proposition de loi en vue de légaliser la cocaïne. C’est incroyable. Dans sa candeur sans bornes, le parlementaire avance que l’État se portera acquéreur de toute la production de feuilles de coca, dont il évalue le prix actuel à 2,3 milliards de pesos [500 millions d’euros]. Le sénateur envisage-t-il de rivaliser avec les narcos pour faire flamber le prix de la coca et en faisant des paysans les cibles des narcos parce qu’ils auront préféré vendre à l’État ? A-t-il pris la peine de calculer l’extension inévitable des cultures de coca et les conséquences pour les cultures traditionnelles ?

Le sénateur Marulanda devrait savoir que l’enfer est pavé de bonnes intentions : il a beau préciser que l’État n’achètera que la production des exploitations géoréférencées par les Nations unies, son initiative contrevient à la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants de 1988. Il devrait savoir aussi que le Pérou a tenté depuis les années 1950 de soutenir les cultivateurs de coca, et que son échec a été retentissant.

Marché noir

Il est étonnant que le sénateur tienne tant à citer l’Uruguay, le Canada et le Portugal en exemples de légalisation réussie, tout en restant aussi imprécis. Il oublie ainsi de préciser que l’Uruguay est devenu une destination touristique pour amateurs de cannabis, que la légalisation y a créé, paradoxalement, un second marché illégal, et que les cultivateurs détournent une partie de leur production vers le marché noir.

Et, surtout, il ne dit pas qu’aucun de ces trois pays n’aurait pris le risque d’employer le terme de “légalisation” s’il avait connu les problèmes de criminalité et de maintien de l’ordre qui existent en Colombie. Cerise sur le gâteau, Iván Marulanda est allé jusqu’à dire qu’une partie de la feuille serait consacrée à la fabrication de biscuits, de farines, de soupes – il ne manque que les compotes et les gelées !

Il est bon de voir qu’il y a des sénateurs rêveurs, nébuleux mêmes, mais Iván Marulanda ferait bien d’atterrir. À Bogotá, par exemple, où, au cas où il l’ignorerait, son parti est au pouvoir. Or la ville est rongée par les trafics (de drogue et autres), sans que les narcotrafiquants ne soient poursuivis ni arrêtés.

– John Mario González

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