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Jours tranquilles à Paris
17 octobre 2020

A Conflans-Sainte-Honorine, l’effroi des habitants après la mort d’un enseignant décapité « par un monstre »

decapitation24

Par Louise Couvelaire

Le professeur d’histoire-géographie avait été attaqué par certains parents après une intervention en classe sur la liberté d’expression en lien avec les caricatures de Mahomet. Le principal suspect a été tué lors de son interpellation.

C’était le dernier cours de la journée, le dernier avant les vacances scolaires de la Toussaint aussi. Il était 14 heures, vendredi 16 octobre, lorsque Samia (le prénom a été modifié), 12 ans, a dit au revoir à son professeur d’histoire-géographie. « Bonnes vacances Monsieur ! », lui a-t-elle lancé avant de quitter l’enceinte du collège du Bois d’Aulne, au cœur du quartier tranquille de Chennevières, à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines. Trois heures plus tard, l’enseignant de 47 ans était retrouvé décapité en pleine rue, à trois cents mètres seulement de l’établissement scolaire, « sauvagement attaqué alors qu’il rentrait probablement chez lui à pied », commente un policier posté aux abords de la scène de crime.

C’est ici, au cœur d’un dédale de ruelles bordées de pavillons proprets aux haies bien taillées, au coin des rues du Buisson-Moineau et de la Haute-Borne, qui marque la frontière entre les communes de Conflans et Eragny, entre les Yvelines et le Val-d’Oise, que le drame s’est déroulé. Le témoin qui a prévenu les forces de l’ordre a d’abord cru que « la victime était un mannequin tellement la scène était surréaliste de violence », témoigne un policier.

Armé d’un « couteau très long et très aiguisé », poursuit-il, l’assaillant – âgé de 18 ans, de nationalité russe et d’origine tchétchène, selon une pièce d’identité retrouvée sur lui par les policiers –, s’est acharné sur le professeur jusqu’à lui trancher la tête. Un message de revendication a été publié sur un compte Twitter quelques minutes après le drame, avec une photo de la tête décapitée.

Le jeune homme a été tué par balles par la police quelques mètres plus loin, aux cris de « Allahou akbar ». Quatre personnes, dont un mineur, issues de son entourage familial, ont été placées en garde à vue dans la soirée de vendredi à samedi, selon l’Agence France-presse. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) a annoncé être saisi de l’enquête, ouverte pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs terroriste criminelle ».

Agitation

Samia se triture les doigts quand elle parle, elle les croise et les décroise, tire sur les manches de son sweat-shirt gris pâle, y enfonce ses mains, puis étire ses bras avant de les cacher derrière son dos. Elle ne pleure pas. Plus. Et parvient à évoquer ce professeur auquel elle s’était déjà attachée, un professeur qui « expliquait bien les choses », dit-elle. « Tu m’as même dit qu’il était grave gentil », intervient sa mère, Alicia, 40 ans, américano-marocaine, serveuse dans un restaurant à Paris.

Avec son professeur, depuis la rentrée scolaire, Samia, élève en classe de 5e, étudiait l’histoire des religions monothéistes – conformément aux programmes scolaires de l’éducation nationale – sur lesquelles « il ne portait jamais de jugement », souligne-t-elle. « On a eu deux contrôles : le premier sur les chrétiens, le second sur la civilisation islamique et Hârun Al-Rachid [cinquième calife abbasside et héros des Mille et Une Nuits] », raconte la jeune fille.

Pour son dernier cours, vendredi, il avait choisi d’engager une discussion avec ses élèves sur le thème de la pauvreté et de la richesse, des inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud avant de leur montrer une série de photos prises au Brésil, illustrant le décalage entre « les luxueuses villas des riches et les favelas des pauvres », s’enthousiasme Samia, avant de revenir à la réalité. « [Il] a été tué », enchaîne-t-elle, les yeux rivés sur ses baskets. « Tué par un monstre pour l’humanité, qui me fait honte d’être musulmane », souligne sa mère, Alicia, qui avait refusé de prêter attention à la polémique qui avait mis en ébullition certains parents d’élèves une semaine auparavant.

A l’origine de cette agitation, l’intervention du professeur d’histoire-géographie lors d’un cours sur la liberté d’expression dispensé à ses élèves de 4e. Comme chaque année depuis qu’il est arrivé au collège du Bois-d’Aulne il y a trois ans, affirme un ancien élève, il avait invité les élèves de confession musulmane à lever la main et à quitter la salle de classe s’ils le souhaitaient avant de montrer des caricatures du prophète Mahomet, dans le cadre de l’enseignement moral et civique (EMC). Sauf que cette année, la méthode et le contenu sont mal passés auprès de certains parents. « Ça a été LE sujet de discussion sur Snapchat et dans la cour de récré pendant deux jours, et puis on est passé à autre chose. » C’est du moins ce que pensait Samia. C’était sans compter le poison de la rumeur.

« L’affaire a pris des proportions délirantes »

« L’affaire a été montée en épingle et a pris des proportions délirantes : on a raconté qu’il avait obligé les musulmans à quitter la classe, qu’il avait expulsé ceux qui ne voulaient pas partir… », assure une ancienne élève, dont le petit frère est scolarisé au collège du Bois-d’Aulne. Sur Facebook, dans le groupe des « Petits services entre conflanais », quelques parents se sont offusqués, appelant à se mobiliser et se plaindre du professeur auprès de la direction de l’établissement.

La vidéo d’un parent d’élève décrivant la scène telle que sa fille semble lui avoir racontée, ou telle qu’il l’a interprétée, continue de circuler sur Twitter. Dans cette vidéo, il traite le professeur de « voyou », dénonce sa « haine » envers les musulmans – il affirme que le professeur aurait montré un homme nu en disant « voilà, ça, c’est le prophète des musulmans » – et demande son renvoi de l’éducation nationale.

« Je ne comprends pas », souffle Jérôme, 53 ans, consultant informatique dans la banque, dont les deux filles ont été dans la classe de la victime, « un bon prof » qui est parvenu à intéresser ses enfants à l’histoire, se félicite-t-il. « Je suis abasourdi, choqué, très étonné, poursuit-il. Il y a des musulmans à Conflans mais rien de marquant, rien de très visible, rien d’inquiétant en tout cas. »

Dans cette ville tranquille de 75 000 âmes, capitale de la batellerie située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Paris, à la confluence de la Seine et de l’Oise, « il ne se passe jamais rien », estime Apolline, 23 ans. Quant au collège du Bois-d’Aulne, entouré d’infrastructures sportives grand train – un terrain de foot, un autre de rugby, une piste d’athlétisme, deux gymnases – et de camps de gitans, « s’il y a parfois des petites histoires, c’est plutôt à propos des gens du voyage, qui ont des camps autorisés un peu partout en ville, mais pas sur les musulmans », affirme Allison, 25 ans, comptable.

« Il y a deux-trois résidences HLM un peu olé olé, mais c’est tout, on n’est pas à Pantin ! », poursuit Apolline. « Conflans, c’est pas le 9-3 ! », déclare de son côté un policier. « L’événement marquant ici, c’est lorsqu’un sanglier saccage le centre-ville », sourit l’un de ses collègues.

« C’est une ville pavillonnaire de classe moyenne où il n’y a que des vieux et des familles », résume Lisa, 23 ans, copine d’Apolline. La religion ? « Un non-sujet ici », répondent-elles en chœur. Des tensions communautaires ? « Jamais. » L’islam ? « Aucun problème. »

« Et on espère que ce drame n’y changera rien », conclut Alicia, la mère de Samia, un œil sur le ballet incessant des voitures et des camionnettes de police qui quadrillent le quartier.

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