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Jours tranquilles à Paris
22 octobre 2020

De la prime pour l’emploi au revenu universel - Libération

Aux Etats-Unis, comme en France, la prime pour l’emploi n’a généralement pas d’effet décisif sur le marché du travail. Pour stimuler la demande, le revenu universel semble plus pertinent.

Aux Etats-Unis, le système de protection sociale est largement conditionné par le travail. L’assurance chômage est versée si l’on a travaillé suffisamment par le passé. La prime pour l’emploi («Earned Income Tax Credit» ou EITC), quant à elle, est perçue par les travailleurs à bas salaire. Pour les adultes pauvres sans enfants et sans travail, il n’y a presque rien : à peu près 500 dollars d’aides sociales par an (1).

La prime pour l’emploi est l’un des piliers de la redistribution vers les bas revenus aux Etats-Unis. Mais elle laisse de côté les plus pauvres, ceux qui n’ont pas d’emploi du tout, contrairement au revenu universel qui pourrait apporter une sécurité économique à tous, travailleurs comme chômeurs. Le problème est d’autant plus saillant avec la crise sanitaire du Covid-19 : pour un travailleur peu qualifié, il est encore plus compliqué aujourd’hui de trouver un job, même mal payé, et de pouvoir ainsi bénéficier de la prime pour l’emploi.

Certes, la prime pour l’emploi permet, en temps de crise, de maintenir la demande et la consommation, et ainsi d’éviter un effondrement encore plus profond de l’économie. Mais elle est le contraire d’un stabilisateur automatique qui apporterait davantage de revenus aux salariés durant une crise et de chômage - contrairement à l’assurance chômage, exemple clé d’un tel stabilisateur automatique. Ainsi, si les sommes totales allouées par l’Etat à la prime pour l’emploi ont tendance à diminuer pendant les récessions, c’est tout simplement parce que l’emploi baisse. C’est bête, mais il fallait y penser !

Reste que l’argument phare en faveur de la prime pour l’emploi aux Etats-Unis serait son effet incitatif à chercher du travail, à l’inverse des aides sociales qui auraient tendance à décourager les chômeurs. Jusqu’à récemment, le consensus des économistes estimait que la prime pour l’emploi augmentait la participation sur le marché du travail. Mais une nouvelle analyse de l’économiste Henrik Kleven montre que dans les faits, la prime n’a généralement pas eu d’effet sur l’emploi, même quand elle a été augmentée dans différents Etats américains (2). Et si une réforme de 1993 a eu des effets bénéfiques sur l’emploi ce fut davantage dû à une conjoncture exceptionnellement favorable sur le marché du travail, qu’à la fameuse prime. Des économistes sont arrivés aux mêmes conclusions concernant la France : la prime pour l’emploi n’a eu que des effets très modestes (3).

En réalité, pour stimuler le marché du travail, le revenu universel semble plus pertinent : il permet aux individus de consommer davantage, d’aller dans les magasins et aux restaurants. Ces commerces augmentent alors les heures de travail pour satisfaire la demande. Lors d’une expérience randomisée au Kenya, les commerces ont dû augmenter leur masse salariale pour faire face à la demande générée par le revenu universel (4).

Globalement, la prime pour l’emploi reste redistributive puisqu’elle bénéficie aux individus qui ont des revenus très modestes. Il n’y a donc pas lieu de s’en débarrasser s’il n’y a rien de mieux pour la remplacer. Mais elle ne peut pas justifier son existence par l’incitation au travail. Au mieux elle «récompense» ceux qui travaillent, indépendamment de toute incitation. La question est de savoir si ceux qui travaillent sont vraiment plus méritants que les autres, et s’ils devraient recevoir davantage d’aides que les chômeurs, alors qu’ils gagnent déjà plus d’argent grâce à leur emploi. L’hypothèse implicite du revenu universel est que tout le monde mérite également un revenu de base. La prime pour l’emploi veut avant tout récompenser le travail. C’est un choix de société.

(1) «Universal Basic Income in the US and Advanced Countries», Hilary W. Hoynes et Jesse Rothstein, 2019. (2) «The EITC and the Extensive Margin : A Reappraisal». (3) «Un bilan des études sur la prime pour l’emploi», Elena G. F. Stancanelli et Henri Sterdyniak, 2004. (4) «General Equilibrium Effects of Cash Transfers : Experimental Evidence From Kenya», Dennis Egger…, 2019.

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.

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