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Jours tranquilles à Paris
24 octobre 2020

A Jean-Pierre Pernaut, TF1 reconnaissante

pernaut

Par Sandrine Cassini, Aude Dassonville - Le Monde

Le présentateur du journal de 13 heures de TF1 cédera sa place le 18 décembre, après trente-trois ans de règne sans partage sur ce créneau horaire. Retour sur un style et une méthode sur lesquels la critique n’a jamais eu de prise.

Il faisait beau, ce 16 septembre. Un temps à chausser des lunettes de soleil, enfiler un maillot de bain et profiter de l’existence sans culpabilité. Moins de vingt-quatre heures après l’annonce de son prochain retrait de la présentation du « 13 heures », Jean-Pierre Pernaut – alias « JPP » – faisait de cette météo enchanteresse l’ouverture de son journal sur TF1.

Le sourire aux lèvres, émerveillé, le journaliste n’a pas fait mention du caractère inquiétant de cette canicule tardive, de la sévérité de la sécheresse en cours dans l’Hexagone, voire du réchauffement climatique. « Encore des vacances pour pas mal de chanceux. On en profite au maximum en Corse autour de l’Ile Rousse », déclarait au contraire le présentateur d’un air débonnaire.

Le même jour, dans le « 13 heures » de France 2, Marie-Sophie Lacarrau remarquait aussi à quel point il faisait chaud. Mais quand même un peu trop, et pas seulement en France. En Californie, les forêts brûlent, rappelait-elle, ajoutant au réchauffement climatique ; à Milan, on plante des arbres pour rafraîchir l’atmosphère de la ville, confirmait l’un des reportages du journal. Sur la Deux, la dolce vita était en soins palliatifs ; sur la Une, elle battait son plein. Le lendemain, on apprenait que Marie-Sophie Lacarrau succéderait à Jean-Pierre Pernaut.

CHAQUE JOUR, LE JOURNAL ATTIRE 5 MILLIONS DE FIDÈLES (LE DOUBLE DE CELUI DE FRANCE 2), SOIT 41 % DE PART DE MARCHÉ SUR LES TÉLÉSPECTATEURS DE 4 ANS ET PLUS

Installé au « 13 heures » depuis le 22 février 1988, « JPP » quittera son fauteuil le 18 décembre, laissant à sa consœur le soin de lui succéder, début janvier 2021. Un changement qui n’est pas sans risque pour TF1, tant la formule installée par le septuagénaire plaît. Chaque jour, le journal attire 5 millions de fidèles (le double de celui de France 2), soit 41 % de part de marché sur les téléspectateurs de 4 ans et plus, et un tiers des « femmes de moins de 50 ans, responsables des achats », selon Médiamétrie. Autant de passionnés de ce rendez-vous tourné vers la France des régions, « qui n’a pas beaucoup voix au chapitre dans d’autres médias », se félicite Thierry Thuillier, le directeur de l’information du groupe TF1.

C’est même en pensant à elle que la formule du journal a été « marketée », main dans la main avec Etienne Mougeotte. A l’époque, l’ancien vice-président de TF1 et directeur de l’antenne de 1987 à 2007 avait chassé le duo Yves Mourousi-Marie-Laure Augry pour installer son poulain, avec ces mots : « “Si tu ne fais pas de bêtises, tu es là pour vingt ans”, se rappelle l’ex-dirigeant. Je m’étais trompé : il a duré presque trente-trois ans ! »

« Une vision rassurante »

Le JT façon « JPP » est alors un ovni dans le paysage audiovisuel français. « On montre de belles images, on livre de beaux récits, c’est l’idée d’une France telle qu’elle devrait être, où la vie, ce sont des choses simples et vraies. C’est une vision rassurante », résume Virginie Spies, sémiologue et analyste des médias audiovisuels. Jean-Pierre Pernaut privilégie les bonnes nouvelles aux mauvaises, et le citoyen lambda aux institutionnels, surtout parisiens. Sans avoir à se forcer : natif de la Somme, le journaliste, qui vit à Louveciennes, dans les Yvelines, a commencé sa carrière au Courrier picard, avant de faire ses armes télévisuelles dans une édition locale de France 3.

« Jean-Pierre Pernaut est un peu une exception culturelle dans le journalisme français actuel, a salué Marine Le Pen, la patronne du Rassemblement national, dans un Tweet envoyé pour célébrer l’icône sur le départ. Qui mieux que lui a donné une visibilité à une certaine France, celle des terroirs, celle qui fait encore rêver le monde ? » Une définition pas très éloignée de celle de Daniel Schneidermann dans sa chronique pour Libération du 21 septembre, dans laquelle il fustigeait ce présentateur qui s’adresse à « la France mythologique des marchés et des clochers, de l’école en blouse et des déjeuners à la maison ».

« Ce côté “information feel good”, je l’assume totalement », commente Thierry Thuillier, avant de détailler la dimension « servicielle » du journal (qui met en relation des repreneurs avec des commerces en perdition, par le biais de l’opération SOS Villages, par exemple), de rappeler les riches éditions spéciales consacrées aux décès de Jacques Chirac ou de Johnny Hallyday, de vanter l’indifférence de « JPP » aux faits divers, etc.

« JEAN-PIERRE A VU ÉMERGER LA “FRANCE PÉRIPHÉRIQUE” DÉCRITE PAR LE GÉOGRAPHE CHRISTOPHE GUILLUY DEPUIS TRÈS LONGTEMPS », ASSURE UN MEMBRE DE LA RÉDACTION

Comme si, au moment de tourner la page, il serait injuste de refuser au professionnel l’hommage qui lui serait dû. « Il ne faut pas se tromper : Jean-Pierre est un très grand journaliste », défend à son tour un salarié. Et de vanter ses éditions post-élections, « ciselées, précises, formidables », son sens remarquable du direct et de l’improvisation. Les téléspectateurs sont séduits : « En province, les gens que vous interrogez vous disent : “Ah bon, c’est pour Pernaut ?” C’est comme un dieu. Il est vraiment identifié », indique une journaliste de l’antenne, qui nourrit « affection » et « lucidité » vis-à-vis de l’animateur qui l’a vue débuter.

Pensé pour attirer l’attention de ceux qui déjeunent à domicile – salariés travaillant près de chez eux, artisans, commerçants (surtout le lundi, quand les magasins sont fermés), sans-emploi, grands-parents gardant leurs petits-enfants, mères au foyer… –, le « 13 heures » repose sur un réseau d’environ 80 correspondants installés sur tout le territoire, et dont les agences qui les emploient dépendent des quotidiens régionaux.

Acharnement fiscal

C’est ce maillage serré, inspiré de l’ancienne FR3, qui lui aurait permis de percevoir un certain malaise français en pionnier. « Jean-Pierre a vu émerger la “France périphérique” décrite par le géographe Christophe Guilluy depuis très longtemps », assure un membre de la rédaction. « Si je prends la disparition des villages et de certains services publics, l’utilisation de la voiture pour conduire les enfants à l’école, l’impact potentiel des taxes carbone sur le budget des Français… Tous ces sujets ont été couverts dans le “13 heures” de Jean-Pierre bien avant l’apparition des “gilets jaunes” », revendique Thierry Thuillier.

« PERNAUT REPREND LES THÈMES POPULISTES DES ÉLITES DÉCONNECTÉES, DU CONTRIBUABLE QUI PAIE TOUT, DE L’AUTOMOBILISTE CONSPUÉ » FRANÇOIS JOST, PROFESSEUR EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

Dans les jours qui ont précédé le premier samedi de mobilisation, en novembre 2018, la référence « aux taxes et aux impôts », dont la France serait championne du monde, revenait régulièrement dans la bouche du présentateur. L’acharnement fiscal que subirait le citoyen fait partie des thématiques récurrentes du JT, qui, à l’inverse, s’interroge rarement sur le rôle de l’impôt dans le financement des services publics.

« Jean-Pierre Pernaut reprend tous les thèmes populistes des élites déconnectées, du contribuable qui paie tout, de l’automobiliste conspué, constate François Jost, professeur émérite en sciences de l’information et de la communication. C’est un monde présenté comme dépolitisé, alors qu’il est profondément politique. » Sans avoir l’air d’y toucher, l’animateur colore son journal de sa propre vision du monde. Quand, enfin, il évoque l’augmentation des températures à la surface du globe, c’est lorsqu’elles baissent, suggérant à un public convaincu qu’il ne s’agit que d’une mode. « Il parle de l’écologie à sa manière. Il défend, par exemple, beaucoup les circuits courts », plaide Thierry Thuillier.

S’exprimant sans prompteur, Jean-Pierre Pernaut n’évite pas les sorties de route. En 2016, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), pourtant plus prompt à la magnanimité qu’à la critique, avait considéré comme un potentiel encouragement à « un comportement discriminatoire » l’un de ses commentaires. « Voilà : plus de places pour les sans-abri, mais, en même temps, les centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France », avait-il souligné.

Droit dans ses bottes face à Yann Barthès dans « Quotidien », sur TMC – une chaîne du groupe TF1 –, le 16 septembre, Jean-Pierre Pernaut n’en démordait pas. « Ce sont des commentaires de bon sens, qui correspondent à ce que pensent les gens », revendiquait le septuagénaire, devant l’animateur que l’on a connu plus mordant du temps où il pilotait « Le Petit Journal », sur Canal+. En interne, on s’est habitué à ce style tout personnel. « Il y a une part d’éditorialisation qui n’a pas sa place dans les JT », reconnaît pourtant une rédactrice. Mais avec une carrière si longue dans la maison, « JPP » « n’est pas quelqu’un à qui la direction peut dire quelque chose », estime-t-elle. Ce que conteste Thierry Thuillier : « On a des échanges. Jean-Pierre est très humble, il écoute. »

Pas de modification de la ligne éditoriale

Même si le « 13 heures » entre dans une nouvelle ère, TF1 n’envisage pas d’en modifier la ligne éditoriale. Les régions resteront d’autant plus à l’honneur que Marie-Sophie Lacarrau, originaire de l’Aveyron, « est elle-même très enracinée », explique Thierry Thuillier. Ce qui n’empêche pas une certaine inquiétude dans la maison. Il ne faudrait pas que se reproduise l’« accident industriel » du remplacement raté de Patrick Poivre d’Arvor par Laurence Ferrari, en 2008.

« Le public de la mi-journée consomme la télévision de la même manière depuis vingt ou trente ans, rappelle Christophe Koszarek, producteur de « La Quotidienne », l’une des émissions arrivées le plus récemment sur le créneau, chaque jour, à midi, sur France 5. Les rendez-vous sont les mêmes, les incarnants aussi : “JPP” depuis trente-trois ans, Nagui et Jean-Luc Reichmann depuis dix-huit ou vingt ans. »

Sans doute la présence quotidienne de Marie-Sophie Lacarrau en concurrence frontale avec Pernaut depuis quatre ans, a-t-elle permis aux téléspectateurs de s’habituer à son visage, sinon à son style tout en douceur et sourires, et à TF1 d’espérer un passage de relais sans heurt. Et puis, qui sait : peut-être la journaliste chérit-elle, elle aussi, les sujets sur la galette des rois ou la Chandeleur, tout autant que les éditions improvisées dans l’urgence d’une actualité brûlante ?

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