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Jours tranquilles à Paris
24 octobre 2020

Nécrologie : Frank Horvat

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C’est pour draguer les filles que Frank Horvat a acheté son premier appareil photo à 17 ans, en vendant sa collection de timbres. « Ça n’a pas marché, pas autant qu’un poème d’amour, mais ça m’a appris la composition », racontait-il sur son site Internet, avec l’humour qui le caractérise. Les femmes, compagnes ou modèles, auront toujours été une passion et une inspiration jamais démentie pour ce photographe, resté célèbre pour ses photos de mode pionnières des années 1950. A l’époque, Frank Horvat avait insufflé un vent de spontanéité dans ce genre corseté, mais, en réalité, ce touche-à-tout d’une curiosité inépuisable n’a jamais cessé d’expérimenter durant une carrière de plus de soixante-dix ans. Le photographe est mort à 92 ans, auprès de sa famille, à Boulogne, sans avoir jamais posé son appareil.

Né en 1928 dans une famille juive, de parents médecins venus d’Europe centrale, Frank Horvat grandit en Italie et passe la guerre en Suisse. « Il a tôt voyagé et appris de nombreuses langues, souligne sa fille Fiammetta, qui s’occupe de ses archives. Les mots, l’écriture, la littérature ont toujours beaucoup compté pour lui. »

Après un passage par l’Accademia di Brera, à Milan, pour étudier le dessin, il devient reporter en Italie, puis rejoint Paris, où il rencontre Henri Cartier-Bresson en 1950, qui a sur lui une influence déterminante : le maître l’incite à passer au Leica et à voyager en Inde, où il restera deux ans, réalisant des reportages pour différents magazines, dont Life.

Explore le monde de la nuit

Installé à Paris, Frank Horvat montre les efforts de reconstruction ou les banlieues pour le magazine Réalités, mais c’est surtout le monde de la nuit qu’il aime à explorer, avec des reportages sur la prostitution au bois de Boulogne ou les coulisses des strip-teases dans le cabaret-maison close Le Sphinx – des images exposées actuellement à la Maison de la photographie Robert-Doisneau, à Gentilly. Très curieux de technologie, il s’essaie au téléobjectif, objet qui ressemble à l’époque à « un bazooka », pour le pointer sur les foules et les toitures de la capitale, écrasant les perspectives.

Appelé par le directeur artistique Jacques Moutin à photographier la mode pour le magazine Jardin des modes, Frank Horvat est au départ totalement refroidi par « les modèles couverts de maquillage, les poses conventionnelles, les fonds de papier toujours gris ou blancs, les yeux levés au ciel ou les sourires robotiques ». Armé du même Leica qu’il utilise en reportage, il décide alors de faire sortir les modèles dans la rue et dans les cafés. Il leur demande de prendre le métro, de marcher dans les rues et dans la boue, de poser avec des passants ou des enfants – dont son fils –, tente de donner un peu de réalité et d’authenticité aux images.

« Il était connu pour faire pleurer les mannequins, il les perturbait en leur ôtant leurs bijoux, leurs coiffures, leurs talons », remarque sa fille. Mais c’est ainsi qu’il signe ses plus belles images : en 1957, il installe un modèle au comptoir du Chien qui fume, entre les clochards et les forts des Halles venus descendre un ballon de rouge. Son icône reste cependant une jeune femme au visage enfoui dans un chapeau Givenchy, au milieu d’hommes en haut-de-forme tous armés de jumelles : un mélange d’élégance et d’humour qui sera sa marque.

Ses images de mode plus naturelles et légères, qui résonnent aussi avec la montée d’une mode prêt-à-porter moins sophistiquée, lui valent de figurer parmi les photographes commerciaux les plus célèbres et d’enchaîner les contrats dans Vogue et le Harper’s Bazaar, magazines-phares. Dans cette période faste pour la photo de mode, l’argent ne manque pas, et Frank Horvat peut donner libre cours à ses fantaisies, recréant pour ses shootings des scènes tirées de films d’Hitchcock ou de livres de Maurice Leblanc.

A partir des années 1970, cependant, le filon se tarit et les magazines ferment. Frank Horvat décide de se lancer dans des séries personnelles, sans commande, comme des portraits d’arbres en couleurs à travers le monde, qu’il complétera plus tard avec une série de portraits de femmes inspirés par la peinture (Vraies semblances) et des vues de New York en couleurs – ce projet vient d’être édité dans un beau livre, New York Sidewalks, aux éditions Xavier Barral (37 euros).

Incroyable collection de tirages

En 1985, après une maladie qui lui fait perdre la vue d’un œil, il se tourne vers l’écriture. Lui qui a toujours fréquenté les photographes, et qui a constitué une incroyable collection de tirages grâce aux échanges de photos qu’il a faits avec ses confrères, réunit des entretiens passionnants avec Edouard Boubat, Josef Koudelka ou Sarah Moon, dans le livre Entre vues (1991, Nathan).

Ce « geek », qui a créé sa propre appli pour iPad, poursuit aussi ses expérimentations formelles en se plongeant dans la retouche sur ordinateur et les manipulations des images – pas toujours de façon très inspirée. Infatigable, le photographe, qui n’a jamais peur de changer de style ou de désarçonner son public, accumule les projets – journal de bord en images, photos de sculptures, photomontages, photos érotiques… « Il était extrêmement éclectique, d’une liberté totale », souligne sa fille, qui a trouvé dans ses archives différents projets non aboutis, dont une pièce de théâtre et des romans.

Toute sa vie, Frank Horvat aura aussi inlassablement photographié sa famille, sa mère, ses enfants et ses innombrables compagnes, incapable de séparer l’art et la vie. « Faire partie de sa famille, ça voulait dire être dans ses images, mais pas forcément comme on aurait aimé se voir : il nous prenait en photo quand on était nu, ou en colère, ou en train de pleurer, se souvient Fiammetta Horvat. Mais c’est comme pour les mannequins, qu’il ne recrutait pas en regardant leur book, mais au son de leur voix : il a toujours cherché l’authentique. »

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