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Jours tranquilles à Paris
30 octobre 2020

Le duel entre Trump et Biden, un référendum sur l’“âme de la nation”

elections americaines

THE NEW YORK TIMES (NEW YORK)

PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE J-5. Cette année, les électeurs américains ne choisissent pas seulement le prochain locataire de la Maison-Blanche, ils se prononcent plus généralement sur la question morale et philosophique du devenir de leur pays.

C’est une formule que démocrates et républicains répètent à l’envi. C’est aussi l’indicateur le plus révélateur de l’humeur actuelle du pays et ce que les électeurs estiment être l’enjeu central du scrutin du 3 novembre. Et tout le monde semble prêt aujourd’hui à vouloir se battre en son nom.

“Dans cette campagne, il ne s’agit pas seulement de remporter des voix. Il faut conquérir les cœurs et, oui, l’âme de la nation”, a ainsi déclaré Joe Biden lors de la convention nationale démocrate, en août, quelques jours seulement après que la formule “la bataille pour l’âme de la nation” avait été inscrite sur la page d’accueil de son site Internet, juste à côté de son nom.

En réaction, la campagne de Donald Trump a diffusé une vidéo reprenant des images des démocrates évoquant l’“âme” de l’Amérique, entrecoupées d’images de violences entre manifestants et forces de l’ordre. Le tout se terminant par un appel à “sauver l’âme de la nation” et à envoyer un don par SMS avec le message “SOUL” [“âme”].

Le fait que cette élection se transforme en un référendum sur l’âme de la nation semble indiquer que, dans un pays de moins en moins religieux, le vote est devenu un marqueur de moralité individuelle. Et que les résultats du scrutin vont en partie dépendre de questions philosophiques et spirituelles qui transcendent le jeu politique habituel : qu’est-ce au juste que l’âme de la nation ? dans quel état se trouve-t-elle ? que faut-il faire pour la sauver ?

L’identité et l’avenir de l’expérience américaine

Les réponses à ces questions vont bien au-delà des slogans de campagne, de la politique et des élections de novembre. Elles touchent à l’identité et à l’avenir de l’expérience américaine, a fortiori en cette période où les esprits sont éprouvés par une pandémie.

“Quand je pense à l’âme de la nation, déclare Joy Harjo, poétesse lauréate des États-Unis et représentante de la nation creek muscogee, je pense à un processus de devenir, à ce que nous voulons être. Or c’est bien là que les choses se corsent, nous sommes aujourd’hui arrivés à une impasse. Que veulent devenir les Américains ?”

Pour Joy Harjo, l’âme de la nation se trouve “à un carrefour”. Elle explique :

C’est comme si tout s’écroulait en même temps. Nous sommes à un moment de grande fracture, tout le monde s’ausculte, s’observe et s’interroge.”

À Carlsbad, en Californie, Marlo Tucker, directrice de l’association Concerned Women for America [“Femmes préoccupées pour l’Amérique”], se réunit régulièrement avec une dizaine d’autres femmes pour prier pour l’avenir du pays. Ce groupe de militantes chrétiennes travaille pour inciter les gens à s’inscrire sur les registres électoraux. “Finalement, la question est de savoir ce pour quoi vous voulez vous battre, et ce pour quoi vous refusez de vous battre”, résume-t-elle.

“Je sais que c’est une nation chrétienne, les pères fondateurs étaient influencés par les valeurs bibliques, souligne-t-elle. Les gens sont déboussolés, ils sont influencés par tout ce sensationnalisme, ils sont en colère, ils se sentent frustrés. Ils veulent que le gouvernement leur redonne espoir. Ils cherchent des dirigeants qui se soucient réellement de leurs problèmes.”

Le corps politique a-t-il une âme ?

Cela fait des décennies que la stratégie des républicains consiste à poser les enjeux de toute une campagne en termes moraux – et avec un discours fortement teinté de christianisme.

Il est plus rare de voir les démocrates déployer ce genre d’arguments, leur base électorale présentant une plus grande diversité religieuse. L’âme du corps politique est un concept philosophique et théologique très ancien, et l’une des meilleures façons de comprendre la façon dont les individus pensent leur identité individuelle et leur vie en tant que membres d’une communauté.

En hébreu biblique, les mots que l’on traduit par “âme” – nefesh et neshama – viennent du verbe “respirer”. Dans la Genèse, Dieu insuffle la vie à l’homme en soufflant dans ses narines.

Cette image trouve des résonances frappantes à l’heure où se répand un virus qui s’attaque au système respiratoire et que des policiers usent de violence contre des citoyens noirs qui hurlent “Je ne peux plus respirer”.

Pour les poètes homériques, l’âme était ce que les hommes risquaient en allant au combat, ce qui faisait la différence entre la vie et la mort. Platon a relaté les explorations socratiques sur le lien créé entre l’âme et la République grâce à la vertu de la justice. Pour saint Augustin, auteur de La Cité de Dieu, il est possible de juger la cité à travers ce qu’elle valorise.

L’âme de la nation est une “figure rhétorique très ancienne qui resurgit chaque fois que des variétés de concepts culturels se rencontrent, explique Eric Gregory, professeur d’études religieuses à l’université de Princeton. C’est une expression révélatrice de l’atmosphère politique actuelle, en période de crise et de bouleversements, comme le symptôme d’un mal.”

On insiste souvent sur les systèmes et les institutions, continue-t-il, mais avec la présidence Trump on assiste à un retour de concepts anciens comme le “bien de la cité”, où la mission du politique est de définir des relations justes entre citoyens. “Dans l’Antiquité, la bonne santé de la société était étroitement liée aux vertus morales de ses dirigeants”, explique-t-il.

Une notion historique

Aux États-Unis, la question de savoir qui pouvait définir l’âme de la nation a été faussée dès le départ par le génocide des Amérindiens et l’esclavage des Noirs.

L’état de l’âme de la nation a souvent été lié à l’oppression institutionnelle des Noirs. Les abolitionnistes comme Frederick Douglass se sont battus au nom d’une “aversion absolue pour tout le système de l’esclavage”, un problème qui devait être “corrigé dans l’âme de la nation”.

Pour l’ancien président Lyndon B. Johnson, les États-Unis ont retrouvé leur “grandeur d’âme” sur le champ de bataille de Gettysburg [tournant de la guerre de Sécession, en 1863]. Lorsque Martin Luther King a formé l’organisation Southern Christian Leadership Conference avec d’autres militants des droits civiques en 1957, leur mot d’ordre était de “sauver l’âme de l’Amérique”.

Cette année, le président Trump se présente comme le champion d’une Amérique chrétienne menacée. “Aux États-Unis, on ne compte pas sur le gouvernement pour sauver son âme, on a foi dans le Tout-Puissant”, a-t-il déclaré lors de la convention nationale républicaine. Le pasteur évangélique Franklin Graham, fervent partisan de Trump, écrivait l’année dernière que l’on assistait à “une bataille pour l’âme de la nation” au moment où “le cadre moral et spirituel qui a fait tenir ce pays pendant deux cent quarante-trois ans est en train de s’effondrer”.

Un soupçon de bon sens

Pour Joe Biden, l’âme de la nation est devenue un sujet de préoccupation après le rassemblement meurtrier de suprémacistes blancs à Charlottesville en août 2017 [durant lequel la militante antifasciste Heather Heyer a été tuée par une voiture-bélier]. “Nous devons montrer au reste du monde que le flambeau américain brille toujours”, écrivait-il à l’époque.

Dès le départ, le candidat démocrate a inscrit sa campagne sur le terrain de la moralité plutôt que celui de la politique ou de l’idéologie. Lorsque Joe Biden parle de bataille pour l’âme de la nation, il ne l’entend pas au sens religieux mais comme synonyme de “caractère”, explique Jon Meacham, biographe de plusieurs présidents américains qui a souvent débattu de ces questions avec le candidat démocrate.

“Les gens comprennent ce combat de façon binaire, la lumière contre les ténèbres, l’idée de servir contre celle de se servir, Trump contre le reste du monde”, résume-t-il. “J’ai l’impression qu’il s’agit plutôt […] d’un désir de revenir à un jeu politique plus conventionnel et moins agité, explique-t-il. Les gens veulent simplement d’un dirigeant capable de gouverner avec un minimum d’efficacité et de bon sens.”

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