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Jours tranquilles à Paris
31 octobre 2020

Un perso queer au pays des “Miss”, casse-gueule ou réussi ?

miss

Miss

Le cinéaste Ruben Alves assume un coup d’audace payant, qui implante et défend son personnage LGBT+ dans une comédie grand public.

Un jeune homme tente de remporter le concours de Miss France. La phrase est puissante. Elle décrit les contours d'un film au projet forcément un peu casse-gueule, d'autant plus qu'il se déploie sous la forme d'une comédie pensée “grand public”, autrement dit d'un film où la mise en scène, le récit, les dialogues, l'interprétation des acteur·trices et la morale seront avant tout mis au service de l'amusement de la masse.

Miss, second long métrage de Ruben Alves, après Une cage dorée (2013), est donc un double pari d'une audace folle. La croyance à laquelle il tente de nous faire adhérer a deux visages.

A la possibilité qu'un homme remporte le concours de Miss France s'ajoute le fait qu'il soit possible de dépeindre l’intériorité d'une personne LGBTQ +, en l'occurrence un homme androgyne travesti en femme, en la regardant du point de vue normé de la comédie grand public. Les deux paris, celui du récit et du film, étant finalement les mêmes : célébrer une différence en la faisant émerger du terreau le plus normatif possible.

Au rayon des sacrifices, on déplore la caractérisation trop archétypale de certains personnages

La réussite d'une telle entreprise est affaire de sacrifices consentis à la norme et d'intransigeance lorsqu'il s'agit de défendre la différence, de la respecter. A ce titre, Miss est plutôt une réussite. Au rayon des sacrifices, on déplore la caractérisation navrante et vraiment trop archétypale de certains personnages, à commencer par ceux avec qui notre aspirante Miss partage une sorte d'arche de Noé, une vieille bicoque du XXe arrondissement de Paris.

Excepté le personnage de prostitué travesti incarné avec brio par Thibault de Montalembert, la façon dont le film dépeint les autres colocataires est gênante de clichés : la propriétaire, une mère courage et réac' sur les bords incarnée par Isabelle Nanty, les deux vieux garçons, l'un noir et l'autre arabe, beaufs et magouilleurs, et, le pire, les ouvrières indiennes hébergées en échange d'un travail qui flirte avec l’esclavagisme et à qui le film ne donne jamais la parole.

Piratage du genre par le piratage du concours de beauté

Là où Miss remporte son pari, c'est dans sa façon de défendre son personnage principal, incarné de façon éblouissante par Alexandre Wetter, ancien mannequin qui effectue ses premiers pas au cinéma. Le film a l'extrême intelligence de ne pas faire de la révélation de l'identité de genre de son personnage un ressort comique ou à suspense et de se focaliser sur l’inouïe puissance de représentation de son expression de genre.

Là encore, le film est à double fond, puisqu'il double le piratage du genre par le piratage du concours de beauté dont le film ne manque pas de questionner l'archaïque misogynie. Dans un geste clandestin qui rappelle par certains aspects le Network : main basse sur la télévision de Sidney Lumet (1976), Miss s'achève par une scène géniale, qui prouve s'il le fallait encore que le film a choisi son champ. C'est bien la différence, dans ce qu'elle peut avoir de rugueux, d'effronté et de dérangeant que Miss célèbre envers et contre tout.

Miss de Ruben Alves, avec Alexandre Wetter, Pascale Arbillot, Isabelle Nanty (Fr., 2019, 1h47)

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