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Jours tranquilles à Paris
31 octobre 2020

Présidentielle américaine : la campagne sans faute de Kamala Harris

Par Corine Lesnes, San Francisco, correspondante - Le Monde

Depuis sa désignation sur le « ticket » démocrate, la candidate à la vice-présidence s’est pliée à la discipline de l’équipe Biden, tout en cultivant une image de femme jeune et branchée.

Si Joe Biden mène une campagne résolument axée sur les électeurs blancs, Kamala Harris est la préposée aux minorités. Le tandem s’est réparti la carte électorale. A lui, les Etats de la vieille industrie et des cols-bleus. A elle, les régions où la mobilisation des jeunes et des minorités – Noirs, Latinos – peut faire la différence.

Nevada, Arizona, Texas. Dans ses étapes, la candidate à la vice-présidence aime à se faire précéder d’une fanfare, sur le modèle de celles des sociétés étudiantes dans les universités noires − comme Howard University, où elle a étudié à Washington. Percussions, cuivres : l’occasion d’esquisser quelques mouvements en rythme. Message : Kamala est jeune. Elle a 56 ans depuis le 20 octobre, soit vingt et un de moins que Joe Biden, dix-huit de moins que Donald Trump et cinq ans de moins que Mike Pence, l’actuel vice-président.

Se plier à la discipline Biden

Depuis sa désignation sur le « ticket » démocrate, mi-août, la sénatrice de Californie a effectué ce qui ressemble à un parcours sans faute. Si elle a fait parler de ses tenues, ça n’a pas été à propos de « pant suits », les tailleurs-pantalons de Hillary Clinton dont la presse a analysé la symbolique pendant des années, mais de chaussures de sport. Des Converse All-Star qui lui permettent de dévaler avec décontraction les marches de l’avion. Les clips sont relayés sur Instagram par sa sœur, la juriste Maya Harris, ancienne conseillère de Hillary Clinton, et épouse du directeur juridique d’Uber, Tony West, et par sa nièce Meena Harris, juriste elle aussi, fondatrice de l’association Phenomenal Woman et ancienne cadre de haut rang chez Facebook. Huit millions de vues le 9 septembre pour la première descente d’avion de la « candidate-aux-Converse » à Milwaukee (Wisconsin). Message : Kamala est cool.

Un sans-faute, surtout, côté politique. Ceux qui craignaient de la voir rattrapée par son ambition, et empiéter sur les prérogatives du candidat à la Maison Blanche, ont été rassurés. En montant à bord de la campagne Biden, elle a laissé de côté une partie de son entourage – famille et conseillers californiens qui n’avaient pas fait des miracles pendant les primaires − pour se plier à la discipline de l’équipe Biden, en vertu du rôle de « deuxième violon », dévolu au vice-président, a fortiori au candidat au poste.

Pendant son débat du 7 octobre à Salt Lake City contre Mike Pence, Kamala Harris n’a pas cherché à faire d’étincelles. Elle s’est contentée de marquer le point dès qu’elle pouvait auprès de la catégorie de l’électorat qui semble avoir déserté Donald Trump : les femmes. « M. le vice-président : j’ai la parole », a-t-elle répété à chaque fois − il y en eut seize − que l’intéressé l’interrompait. Le débat était à peine terminé que l’équipe Biden mettait en vente un tee-shirt « I’m speaking ».

Insinuations et rumeurs

Même profil bas, lors de la confirmation de la juge Amy Coney Barrett, nommée pour la Cour suprême à quelques semaines du scrutin du 3 novembre. L’ancienne procureure n’est pas venue en personne au Sénat pour l’audition, et elle a retenu ses flèches, à la déception de la base qui espérait la voir tailler en pièces la juriste catholique fondamentaliste. Kamala Harris reste dans les annales progressistes pour avoir demandé au prétendant à la Cour suprême Brett Kavanaugh s’il pouvait citer une législation réglementant le corps masculin. Il s’agissait du droit des femmes à disposer de leur corps. Il a bafouillé.

De fanfare « black » en Caroline du Nord en table ronde avec les petits commerçants latinos de l’Arizona, la candidate a soigneusement évité de tirer la couverture à elle. Elle serait passée pratiquement inaperçue si les républicains n’en avaient fait leur cible privilégiée. Kamala Harris est la première femme noire candidate à la vice-présidence (Noire, par son père, originaire de la Jamaïque) ; elle est aussi la première candidate d’origine indienne (par sa mère, une chercheuse venue faire ses études à Berkeley). Elle a essuyé son lot d’insinuations et de rumeurs, comparables à celles qui mettaient en cause la citoyenneté de Barack Obama. Elle répond rarement directement mais cite souvent le nom de l’hôpital où elle est née : le Kaiser Hospital à Oakland, dans la baie de San Francisco. Avant d’évoquer les manifestations pour la liberté d’expression à Berkeley, qu’elle a suivies « dans sa poussette ».

Kamala Harris est diplômée de relations internationales, de sciences économiques et de droit. Elle a été la première femme procureure de San Francisco, la première femme à occuper le poste d’attorney général en Californie. De 2011 à 2017, elle a dirigé le plus important département de la justice des Etats-Unis, derrière le ministère fédéral à Washington. Elle y a engagé des poursuites contre les plus grandes banques, refusé leur offre d’indemnisation pour obtenir plus (« J’espère que vous savez ce que vous faites », s’inquiéta le gouverneur Jerry Brown).

« Danger » gauchiste

En campagne, elle se trouve obligée d’endurer les quolibets sur son prénom. L’élu de Géorgie David Perdue, pourtant l’un ses collèges au Sénat, a fait mine de buter sur la prononciation en introduisant Donald Trump. Bien mal lui en a pris : les démocrates ont envoyé 2 millions de dollars (1,7 million d’euros) à son rival Jon Ossoff. La candidate a répondu avec patience : « Kamala se prononce comme “Comma” [virgule en anglais], plus “la”. Compliqué ? »

La Californienne arbore systématiquement un visage jubilatoire, qui tranche avec la lourdeur du moment − et lui sert aussi à adoucir l’image de « Top Cop » [flic en chef] héritée de son passé de procureure. Pis, elle a l’air de prendre plaisir à faire campagne. La chroniqueuse Peggy Noonan, du Wall Street Journal, arbitre, à droite, des élégances éditoriales, s’est offusquée de ses pas de danse « embarrassants », notamment le 19 octobre en Floride, un jour de pluie. Sur l’estrade, Kamala s’est permis de swinguer − sous son parapluie − sur le morceau Work That, de Mary J. Blige. Un signe de « légèreté », a réprouvé la journaliste. De « frivolité ». La twittosphère lui a rapidement fait comprendre à quel point sa chronique trahissait son âge (70 ans) et la monoculture d’un milieu qui se raidit au spectacle de la « joie noire ». Le clip, vite baptisé Singing in the Rain, a été vu par plus de 2 millions de personnes.

Donald Trump, bien sûr, n’a pas été le dernier à alimenter le tir. Après avoir moqué son nom, il s’en est pris à son rire : « Vous avez vu cette interview ? Elle n’arrêtait pas de rire. Je me suis dit : “Elle aussi elle a un problème” », a-t-il lancé lors d’un meeting à Allentown, en Pennsylvanie. Ce qui faisait rire ce jour-là Kamala Harris, c’était la question d’une journaliste de l’émission vedette du dimanche soir, 60 Minutes, qui l’invitait en quelque sorte à évaluer elle-même le « danger » gauchiste qu’elle représente : « Une perspective socialiste » ou « une perspective progressiste » ? « C’est la perspective d’une femme qui a grandi comme une enfant noire en Amérique, qui a été procureure, dont la mère est arrivée d’Inde à l’âge de 19 ans, et qui aime le hip-hop. »

Prudente

Le président candidat essaie d’imprimer dans les esprits l’image d’une Kamala Harris installée dans le bureau Ovale. Sous-entendu : Joe Biden ne tiendra pas quatre ans. Une femme − et une femme de couleur − pourrait lui succéder. « Il ne faut pas laisser passer ça. » Mardi 27 octobre, dans le Michigan, il est allé jusqu’à évoquer l’hypothèse d’une disparition violente de Joe Biden, à peine l’investiture terminée. « Trois semaines et Joe est abattu. Kamala, tu es prête ? », a-t-il dépeint, avant d’assurer : « Kamala ne sera pas votre première présidente. On ne va pas avoir un président socialiste. Encore moins une femme présidente socialiste. » L’intéressée s’est gardée de monter sur le ring, et même de polémiquer. « Se traiter de tous les noms n’a rien de nouveau pour quiconque s’est trouvé, enfant, dans une cour de récréation », a-t-elle balayé.

Si la campagne a confirmé son sens politique, elle n’a pas pour l’instant permis de répondre à la question : « Qui est la vraie Kamala Harris ? », selon le titre de la série de podcasts que le San Francisco Chronicle vient de lui consacrer. Progressiste ? Centriste ? Pragmatique ? Carriériste ? Selon le quotidien, il faut remonter aux débuts de sa carrière, en avril 2004, quand la jeune procureure, tout juste élue à San Francisco avec l’appui des syndicats de police qui avaient apprécié sa campagne musclée, a buté sur un événement qui a bouleversé la ville. L’assassinat d’un jeune policier de 29 ans par un gangster. Opposée à la peine capitale, elle n’a pas réclamé l’exécution du criminel. Les policiers ne lui ont jamais pardonné bien qu’elle ait mis ensuite beaucoup d’eau dans son vin : procureure de l’Etat, elle a refusé de se saisir de la bavure ayant coûté la vie au jeune Mario Woods, 26 ans, abattu de vingt et une balles, dont dix-neuf dans le dos, en 2015, à San Francisco, au motif qu’elle ne voulait pas empiéter sur les prérogatives des procureurs locaux choisis par les électeurs. Elle ne s’est prononcée que très tard, en 2018, en faveur de la légalisation de la marijuana.

Prudente comme on l’est quand on est aux avant-postes du « plafond de verre ». Kamala Harris a été élue au Sénat le soir de la victoire de Donald Trump, en 2016. Elle a modifié son discours et appelé à la lutte. C’est là, souligne le quotidien, qu’elle a « pris un grand virage à gauche » et s’est rangée au premier rang de la « résistance ».

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