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Jours tranquilles à Paris
2 novembre 2020

Retour au virtuel pour les musées

Les institutions, rodées par l’expérience du premier confinement, se redéploient sur le numérique

ENQUÊTE

La salve d’applaudissements qui a jailli des profondeurs du Palais de Tokyo, jeudi 29 octobre, vers 19 h 30, avait un écho particulier. Si les visiteurs saluaient la performance menée par la jeune plasticienne et poétesse Josèfa Ntjam, ils célébraient au passage une ultime expérience artistique avant de se confiner pour au moins quatre semaines.

La joie de pouvoir « finir en beauté » avec cette proposition immersive, aussi onirique qu’engagée, venait alléger la déception de revoir le centre d’art parisien se refermer pour Emma Lavigne, la directrice, présente dans le public. La performance affichait complet dans la jauge déambulatoire de 125 personnes masquées venues assister à cette première soirée de performance de l’exposition « Anticorps », ouverte le 23 octobre, et qui avait attiré près de 8 000 visiteurs en une semaine.

« Avec cette exposition, construite pendant le confinement, il s’agissait de prendre le pouls de ce que l’on est en train de traverser et de réagir à la mise à distance des corps, en donnant la parole à une vingtaine de jeunes artistes de la scène française et internationale, confiait la patronne des lieux. On n’imaginait pas que l’exposition n’aurait qu’une semaine d’existence. Ce qui a été construit est à nouveau mis à l’arrêt. Nous rechangerons de nouveau notre programmation s’il le faut, même si ça devient un sacré exercice d’équilibriste d’arriver à programmer le vivant dans ces conditions. »

Site Internet spécifique

Pour cette exposition conçue en période d’incertitude sanitaire, le Palais de Tokyo avait, dès le printemps, imaginé un site Internet spécifique (Anticorps-palaisdetokyo.com). « La proposition en ligne est devenue consubstantielle à la conception d’une exposition, même si un site ne peut pas se substituer à l’expérience physiologique d’une exposition, souligne Emma Lavigne. Ce n’est pas un miroir, mais davantage un appel et un prolongement, avec des textes, des interviews ou des vidéos, au-delà de l’exploration des œuvres. »

Le public français, limité dans ses déplacements, a répondu présent aux expositions temporaires qui ont ouvert dans l’été et depuis la rentrée. Cela a été le cas pour celle consacrée à la photographe américaine Cindy Sherman, à la Fondation Louis Vuitton, ouverte le 23 septembre. Le lieu, excentré dans l’Ouest parisien, qui attire habituellement jusqu’à un tiers de visiteurs étrangers, pouvait craindre un démarrage décevant pour ce solo show. Or, la fréquentation, rajeunie, était de 10 000 à 12 000 visiteurs par semaine, un succès, compte tenu du contexte.

En fermant ses portes jeudi à 20 heures, le Centre Pompidou a aussi mis un coup d’arrêt à son exposition-phare, « Matisse, comme un roman », qui avait débuté le 21 octobre et attiré en une semaine quelque 17 000 visiteurs.

« Nous allons redéployer notre offre numérique, fait-on savoir au musée. Tout ce qui a été mis en place pendant le premier confinement, et que nous avons continué à alimenter, va se réintensifier, et ce d’autant plus facilement que nous sommes maintenant rodés. Nous allons, notamment, mettre en ligne une visite virtuelle de l’exposition Matisse – c’est devenu la norme –, mais aussi de nouveaux podcasts, des ateliers tutos ou de nouveaux épisodes de notre websérie pour les enfants [Mon œil]. » Le Centre Pompidou est l’une des rares institutions à avoir un important service audiovisuel en interne, qui organise entre autres la captation de toutes les rencontres et débats organisés à titre d’archives.

Centre de ressources

Pour l’instant, il n’est prévu que d’« accélérer » des projets qui étaient dans les tuyaux et de les mettre plus en lumière. Comme la plate-forme Kandinsky, en préparation depuis plusieurs années et prévue pour début décembre, en partenariat avec Google, à l’occasion de la grande exposition prévue à Shanghaï par le Centre Pompidou × West Bund Museum Project et qui doit offrir en ligne un centre de ressources consacré au peintre russe.

Alors que la page d’accueil du site du Centre Pompidou est reconfigurée pour ce nouveau basculement dans le tout-numérique, l’institution annonce, au passage, une petite révolution : la refonte totale de son site – connu pour sa navigation des plus austères, voire abstraite, qui aura rendu tant d’utilisateurs perplexes – avant l’hiver. « C’est un hasard que cela tombe en cette période, mais nous allons passer à un site très clair qui s’alignera sur ce que doit être un site de musée aujourd’hui », précise un représentant.

Fréquentation multipliée par dix

Le Louvre, qui avait multiplié la fréquentation de son site par dix lors du premier confinement, a fermé ses portes dès 18 heures jeudi 29. Particulièrement touché par l’absence des visiteurs étrangers, notamment américains, chinois et coréens, le musée a affiché, depuis sa réouverture le 6 juillet, une baisse de fréquentation allant jusqu’à − 76 % en septembre par rapport à 2019, année où l’institution la plus visitée au monde frôlait les 10 millions de visiteurs.

En octobre, elle était en hausse grâce à l’inauguration de deux expositions, « Le Corps et l’Ame » et « Albrecht Altdorfer », prévues jusqu’en janvier, à la reprise d’une « nocturne » le premier samedi du mois et aux vacances scolaires. La désertion du public étranger a été perçue comme une aubaine pour les visiteurs français, selon le musée : « Le public local a compris que c’était le moment de venir admirer les œuvres et le palais dans des conditions exceptionnelles, et nous avons pu toucher un public jeune et familial, notamment à travers les visites “mini-découverte” », gratuites et sans réservation, d’une durée de vingt minutes. Proposées en français et en anglais dans huit départements du musée, elles ont attiré 43 000 visiteurs.

Il est encore trop tôt pour parler des possibilités de prolongation des expositions afin de compenser les quatre semaines prévues de fermeture. En attendant, malgré la frustration, chacun semble beaucoup plus à l’aise avec les possibilités de formats pour continuer à exister auprès du public confiné

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