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Jours tranquilles à Paris
2 novembre 2020

Aux Etats-Unis, une présidentielle sous tension surplombée par le Covid-19

Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde

La pandémie a bouleversé les plans des deux candidats, le président républicain sortant Donald Trump et le démocrate Joe Biden, creusant encore le fossé qui les sépare.

Les Etats-Unis retiennent leur souffle. Une campagne à nulle autre pareille était, lundi 2 novembre, sur le point de s’achever, surplombée depuis le mois de mars par l’épidémie de Covid-19. Cette dernière a bouleversé les plans des deux principaux candidats, le président sortant Donald Trump et le démocrate Joe Biden, creusant encore le fossé qui les sépare.

Au cours des dernières semaines, marquées par une nouvelle envolée des contaminations enregistrées et le maintien à un nombre élevé des morts quotidiens de la maladie, l’ancien vice-président de Barack Obama a fait du coronavirus l’un de ses principaux thèmes de campagne, avec la volonté de rassembler un pays miné par les divisions. Il n’a cessé de présenter la crise sanitaire comme le révélateur des dysfonctionnements de l’administration Trump, du manque d’empathie et de l’incompétence, selon lui, du président. Au contraire, ce dernier a dénoncé quotidiennement, ou presque, la trop grande attention prêtée à l’épidémie, instrumentalisée, à l’en croire, par les médias uniquement pour lui nuire.

Joe Biden s’est appuyé sur les jugements sévères portés par les Américains. Selon la moyenne calculée par le site RealClearPolitics au 1er novembre, 57 % des personnes interrogées « désapprouvent » Donald Trump sur ce point contre 40 % qui sont d’un avis opposé. L’écart se creuse depuis le début du mois d’octobre, parallèlement à la reprise des contaminations. Les personnes interrogées ont également plus confiance en Joe Biden qu’en Donald Trump (57 % contre 40 %) pour lutter contre la pandémie comme l’ont montré toutes les enquêtes dont celle du Pew Research Center publiée le 9 octobre.

Le démocrate a calqué sa campagne sur les recommandations des autorités sanitaires fédérales en respectant les règles de distanciation physique lors de ses événements, en arborant invariablement un masque, en limitant les déplacements et en réduisant le nombre de meetings adaptés à un format de drive-in.

Joe Biden en position de force

Campant sur un message optimiste selon lequel les Etats-Unis vont bientôt « en avoir fini » avec le Covid-19, après avoir promis à tort en septembre une distribution massive de vaccins à partir du mois d’octobre, Donald Trump a maintenu à l’inverse les rassemblements de plusieurs centaines ou milliers de fidèles.

Ces derniers se sont régulièrement massés autour de la scène où il se produisait, sans que le masque régulièrement moqué par le président ne soit obligatoire, y compris dans les Etats en proie à un pic de contaminations comme le Wisconsin. Lorsqu’un cas positif avait été détecté au cours d’un déplacement de la colistière de Joe Biden, Kamala Harris, en l’absence pourtant de contact, cette dernière avait interrompu pendant quelques jours sa campagne. Au contraire, le vice-président, Mike Pence, a maintenu son agenda lorsque cinq membres de son entourage, dont son directeur de cabinet, ont été contaminés.

Tout comme Donald Trump avait bénéficié en 2016 de l’élan donné par des élections de mi-mandat triomphales pour le Parti républicain, deux ans plus tôt, Joe Biden profite d’une dynamique lancée en 2018 et qui pourrait se traduire par une majorité démocrate accrue à la Chambre des représentants, alors que celle du Sénat reste très disputée. Mais la crise sanitaire est le principal facteur qui permet de comprendre pourquoi l’ancien vice-président, en dépit d’une campagne à bas bruit, apparaît en position de force à la veille du scrutin.

La poussée des intentions de vote démocrates est nette dans de nombreux Etats remportés par Donald Trump en 2016, que sa victoire y ait été large comme dans l’Ohio (8 points), l’Iowa (9 points), la Caroline du Nord (3,7 points), la Géorgie (5 points), le Texas (9 points), ou serrée comme dans le Wisconsin (0,7 point), la Pennsylvanie (0, 7 points) et le Michigan (0, 3 points). Le président sortant y est souvent devancé par Joe Biden, ou bien au coude-à-coude, comme en Floride, traditionnellement indécise.

Forte mobilisation des électeurs

Le « Grand Old Party » (GOP) s’accroche au souvenir de 2016 qui tétanise toujours les démocrates : l’écart constaté en faveur de Donald Trump entre les moyennes des intentions de vote à la veille du scrutin et les résultats réels. Le président sortant peut ainsi entretenir des espoirs de victoires sur le fil comme quatre ans plus tôt où 80 000 voix lui avaient suffi dans trois Etats décisifs : la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan, alors qu’il accusait un retard de 2,7 millions de suffrages au niveau des Etats-Unis.

En dépit de cette sous-estimation statistique, les sondages avaient toutefois enregistré de nombreuses dynamiques favorables au candidat républicain, notamment dans les trois Etats cruciaux, tout comme dans l’Ohio, la Caroline du Nord, ou la Géorgie. A la veille du scrutin, aucun élan comparable n’a été enregistré.

Cette absence ne condamne pourtant pas Donald Trump à la défaite compte tenu des inconnues qui entourent la première grande surprise de l’élection présidentielle du 3 novembre : la forte mobilisation des électeurs. Dans un Etat considéré comme sans grand enjeu au début de ce cycle électoral, le Texas, ce vote anticipé, par correspondance ou dans les bureaux de vote ouverts avant le jour du scrutin, a déjà dépassé la participation totale de 2016. Des records devraient être battus dans la majorité des Etats, sans que l’on sache pour l’instant quel candidat en tirera le plus grand bénéfice.

La lame de fond du vote anticipé est liée à la crise sanitaire et à la volonté, exprimée majoritairement par les électeurs démocrates, d’éviter les longues files d’attente et la promiscuité favorables aux contaminations. C’est cette lame de fond sur laquelle Donald Trump a concentré ses attaques, des mois durant, avec l’objectif avoué d’instiller le doute sur la sincérité des opérations de vote. Le président redoute que le vote par correspondance, décompté plus lentement dans certains Etats que le vote en personne, ne fasse basculer l’élection au profit de Joe Biden.

Donald Trump attaque le vote par correspondance

Cette posture n’est pas nouvelle de sa part. Il avait été, en 2016, le premier candidat d’un grand parti à refuser de s’engager à reconnaître à l’avance le verdict des urnes. Il entretient au fil de ses meetings le soupçon d’une fraude électorale massive, une menace pourtant niée par le directeur de la police fédérale (FBI) nommé par ses soins, Chris Wray.

Le 27 octobre, Donald Trump a réitéré ses attaques contre le vote par correspondance en estimant que « ce serait très, très convenable et très bien si un vainqueur était déclaré le 3 novembre, au lieu de compter les bulletins de vote pendant deux semaines, ce qui est totalement inapproprié ». « Je ne crois pas que ce soit permis par nos lois », a-t-il ajouté, alors que l’organisation des élections locales et fédérales relève des Etats.

Le président a ajouté à la tension lors d’un meeting, samedi, en assurant que l’élection présidentielle ne serait pas décidée mardi. Il a averti ses fidèles qu’ils vont « attendre des semaines ». « Le 3 novembre va arriver et nous n’allons pas savoir [qui a gagné] et vous allez avoir du chaos dans notre pays », a-t-il dit. Il a aussi suggéré que « de très mauvaises choses » pourraient se produire pendant que les Etats comptabiliseront le vote par correspondance, laissant entendre à nouveau que ces opérations seraient propices à la fraude.

A la suite du président, les républicains de nombreux Etats clés, comme le Wisconsin, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord, ont multiplié les recours pour réduire au maximum la période après le 3 novembre pendant laquelle les bulletins de vote par correspondance pourront être considérés comme valides. Ils l’ont emporté dans le Wisconsin, mais ont échoué dans les deux autres Etats.

Stratégie du soupçon

Les républicains vont désormais reporter leurs efforts sur les bulletins eux-mêmes. Ils s’efforcent ainsi d’en faire annuler cent mille déposés dans des urnes sur le mode drive-in dans un bastion démocrate du Texas. Des recours similaires devraient se multiplier après le 3 novembre en cas d’élection serrée.

Donald Trump n’a pas caché que la précipitation pour nommer et faire confirmer la juge Amy Coney Barrett à la Cour suprême avait pour but de renforcer la majorité conservatrice dans le cas d’éventuels contentieux.

Cette stratégie du soupçon entretient le pire climat observé depuis des décennies à la veille d’une élection présidentielle. Il a poussé, le 29 octobre, l’International Crisis Group (ICG), une ONG spécialisée dans le règlement de conflits, à publier pour la première fois depuis sa création, il y a un quart de siècle, une note concernant les Etats-Unis. Ces derniers sont « confrontés à des risques de violences électorales sans précédent dans leur histoire moderne » selon le président de l’ICG, Robert Malley, alors que de nombreux commerces à travers le pays installent préventivement des panneaux de bois sur leurs vitrines.

Les Etats-Unis « donnent généralement des conseils aux pays du monde entier sur la façon d’éviter de tels conflits, de réduire la polarisation politique, d’approfondir le respect des institutions et de lutter contre les injustices raciales ou ethniques profondes. Ce serait le bon moment pour ce pays de s’appliquer à lui-même les leçons qu’il dispense si souvent aux autres », a ajouté Robert Malley.

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