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Jours tranquilles à Paris
2 novembre 2020

« Joe Biden a compris que l’urgence est à la relance massive des investissements »

biden66

Par Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde »

Quand Donald Trump propose de continuer de baisser les impôts, tout en diminuant les dépenses publiques en pleine crise sanitaire, le candidat démocrate veut s’attaquer aux principales faiblesses de l’économie américaine, explique, dans sa chronique, Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde ».

En cas de victoire, dans la nuit du 3 au 4 novembre, la présidence de Joe Biden va-t-elle aboutir à une dévaluation ? Pas celle du dollar, mais celle du célèbre rappeur afro-américain, 50 Cent, qui s’est emporté sur Twitter il y a quelques jours en déclarant : « Je ne veux pas être 20 Cent ». Son ironie vise à dénoncer le programme de Joe Biden qui, si ce dernier arrivait à le mettre en œuvre, porterait le taux d’imposition du contribuable Curtis James Jackson III (son vrai nom) à 62 %.

Après une enfance difficile dans le Queens à New York, 50 Cent est sorti de l’anonymat grâce à un album, dont le titre résume à lui seul la « philosophie » du rappeur : Get Rich or Die Tryin’(« Devenir riche ou mourir en essayant de l’être »). Riche, il l’est aujourd’hui à millions. Au point d’être dans le viseur de la réforme fiscale envisagée par le candidat démocrate. De rage, la star s’est dite prête à voter pour le président républicain sortant, Donald Trump.

La défection du rappeur a de quoi laisser de marbre l’ex-vice président de Barack Obama. Plus de 95 % des ménages Américains gagnent moins de 400 000 dollars par an, seuil en dessous duquel Joe Biden s’est engagé à ne pas augmenter les impôts. En revanche, pour le 1 % les plus riches, l’élection de Biden pourrait sonner la fin de la fête. Les plus hauts revenus ont été les grands gagnants de la politique économique de Donald Trump. Avec Biden au pouvoir, ils devraient assumer les trois-quarts des augmentations d’impôts promises, selon le Tax Policy Center.

Un match de catch indigne

La polémique lancée par 50 Cent a au moins un mérite : celui de parler enfin des idées des candidats. Paradoxalement, au moment où les Etats-Unis traversent l’une des pires crises de leur histoire, les choix de société qui sont en jeu dans cette campagne présidentielle ont été occultés par un match de catch indigne de la démocratie américaine.

La fiscalité tient une place centrale dans ce débat. Entre le programme de Donald Trump, qui est un vague recyclage de celui de 2016, et celui de Joe Biden, c’est le grand écart. Pour ce dernier, la hausse des impôts, qui devrait faire entrer dans les caisses du budget 4 000 milliards de dollars d’ici 2030, n’est pas une fin en soi, mais le moyen de financer un ambitieux plan de relance, baptisé « Build back better » (« Mieux reconstruire »).

Du socialisme, peste Trump. La critique est difficilement audible dans la mesure où son propre mandat aura été marqué par une explosion inédite de la dette et du déficit public, même avant que la crise pandémique ne fasse ses ravages. En tournant le dos à l’un des principaux piliers de la doxa républicaine, il a ôté toute légitimité à son camp pour fustiger la soi-disant propension des démocrates à creuser les déficits.

Donald Trump, lui, propose de continuer sa politique de baisse d’impôts et de dérégulation, tout en diminuant les dépenses publiques d’éducation, de protection sociale et de santé en pleine crise sanitaire. Singer la politique menée dans les années 1980 par Ronald Reagan risque de conduire à une impasse, alors que le contexte est radicalement différent. Joe Biden a compris que l’urgence est à la relance massive des investissements, comme l’avait fait Franklin Delano Roosevelt pour tenter de réparer les dégâts de l’effondrement de 1929. Toutes proportions gardées, « Build Back better » se présente comme un New Deal 2.0, qui s’attaque aux principales faiblesses de l’économie américaine.

Il s’agit d’abord de rénover les infrastructures, dans lesquelles le pays a sous-investi depuis soixante ans, tout en donnant la priorité aux dépenses en faveur de l’environnement. Autre volet : restaurer la mobilité sociale des classes moyennes en mettant l’accent sur l’éducation avec la généralisation de la maternelle dès trois ans et le projet de rendre gratuit l’accès aux universités publiques que Ronald Reagan avait supprimé. Enfin Joe Biden souhaite rétablir l’égalité des chances parmi les communautés les moins favorisées et faire passer de 7,55 à 15 dollars de l’heure le salaire minimum fédéral, dont le pouvoir d’achat reste inférieur de 10 % par rapport à ce qu’il était en 1968.

La rage d’une partie de l’électorat

« C’est la politique économique intelligente adaptée aux exigences de la période, estime Eric Dor, directeur des études économiques à l’Iéseg School of Management. L’économie américaine est menacée par une stagnation de la demande de consommation et d’investissement des ménages, en raison de la précarisation croissante, de la dégradation de la santé et de la sous-éducation d’une partie de la population. »

Durant quatre ans, Trump n’a fait qu’instrumentaliser ces faiblesses pour entretenir la rage d’une partie de l’électorat, sans lui apporter de solutions. Comme le souligne Martin Wolf dans le Financial Times, sa présidence peut se résumer à un pacte faustien entre une base électorale en colère et les bailleurs de fonds du parti républicain, qui, en contrepartie d’une baisse des impôts et d’une réglementation moindre, ont accepté de livrer le pays à « un homme qui a des appétits mais pas d’idéal ».

Au-delà des querelles partisanes, les projections des économistes sur les effets des deux programmes sont sans appel. Moody’s Analytics a calculé que le plan de Joe Biden serait susceptible de créer au cours de la prochaine décennie 18,6 millions d’emplois, soit 7 millions de plus que les mesures promises par Trump. Pour Oxford Economics, l’élection de Joe Biden permettrait à la croissance de progresser de 1,2 point de plus que si Donald Trump restait à la Maison blanche.

Ces projections restent bien entendu théoriques. Même si Joe Biden gagne et que les démocrates remportent le Sénat, ils devront composer avec les républicains, une majorité qualifiée à 60 % étant nécessaire pour voter les textes. Est-ce que la gravité de la crise sera suffisante pour inciter les élus à trouver des solutions bipartisanes ? Rien n’est moins sûr au regard de la polarisation extrême qui s’est emparée du pays et qui, quel que soit le résultat de l’élection, restera comme l’un des principaux legs de l’ère Trump.

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