Album-concept sorti en 1976, échec critique et public à
l'époque, L 'Homme à tête de chou est aujourd'hui considéré comme culte et
majeur dans l'œuvre de Serge Gainsbourg. À l'initiative de Jean-Claude
Gallotta et Jean- Marc Ghanassia, Alain Bashung a enregistré cette nouvelle
version comme un dernier projet, avant de nous quitter le 14 mars 2009.
La conversation artistique que Jean-Claude Gallotta avait
commencée avec Alain Bashung et l'œuvre de Serge Gainsbourg ne s'est pas
interrompue au printemps dernier sous prétexte que l'un a rejoint l'autre au
purgatoire des irréductibles. (...) Avec ces deux seigneurs- là, Jean-Claude Gallotta veut encore partager le goût de
l'exigence, de la gravité et de la légèreté mêlées, d'un positionnement
artistique de plus en plus radical.
Sur la scène de l'Homme à tête de chou, pas de fantaisisme :
une nuit de lune narquoise en guise d'atmosphère, forcément bleu pétrole.
Besoin de rien d'autre. Des corps dans décor. A eux de propager le parfum de
mort et d'amour qui traverse les mots et la musique de Gainsbourg, et
l'histoire de la petite garce Marilou, insaisissable shampouineuse qu'un homme
« aveuglé par sa beauté païenne » fera disparaître sous la mousse.
En douze tableaux et avec quatorze danseurs, enlacée à l'œuvre des deux maîtres, mais «leur absence en héritage », la danse
entreprend, dit le chorégraphe, « de faire percevoir quelque chose de la
douleur latente qui parcourait ces deux artistes en même temps que leur
formidable énergie ».
Sur le plateau nu où le rituel se déroule, une danse
sex-symboliquement pas très correcte, violente et bourrée d'amour, douloureuse
parfois, et qui marche au seul carburant qui vaille: le désir.
Jean Claude Galotta (novembre 2009)
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Marilou et l'extincteur d'incendie Photo : Jacques Snap (1981) En mémoire de Solange : modèle décédée accidentellement
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Petit abécédaire, pour Alain Bashung (extrait)
Chaise : A l'origine, Alain Bashung devait être avec
nous sur la scène, parfois assis sur une chaise à roulettes, ordinaire, ce
genre de chaise qu'on retrouve partout, dans les bureaux, dans les studios...
et dans mes spectacles. Bashung avait déjà étudié comment se déplacer de cette
façon, comment se laisser emporter tout autour du plateau par les danseurs. La
chaise est restée, pas très belle, mais c'est la sienne.
Comédie musicale bien sûr, assez vite, avec Alain Bashung,
nous en sommes venus à parler des comédies musicales et des quelques séquences
qui nous avaient marqués. La première qui nous vint à r esprit, ensemble: Cyd
Charisse dans Beau fixe sur New- York (1955), en longue robe verte moulante,
jaillissant sur le ring parmi les boxeurs. A la façon de Marilou au milieu des
danseurs ? Possible.
Extincteur : L'extincteur d’incendie, l'arme du crime,
aurait pu (dû ?) être l'accessoire principal du spectacle. Il revenait souvent
dans mes conversations avec Bashung. Mais le rôle était déjà pris par le
véritable extincteur du théâtre, placé contre le mur, en fond de scène, à vue,
puisque, sans décor, le plateau se présente nu au regard des spectateurs. Il
n'est resté alors de l'objet que sa couleur, rouge. Le rouge de la guitare en
forme de flaque de sang suspendue au cou de Marilou (Eléa Robin).
Film noir : Pour Bashung, L 'Homme à tète de chou de Gainsbourg
est en quelque sorte un film noir. Avec une femme fatale, ici simple
shampouineuse, aux pulsions imprévisibles, innocente et coupable à la fois. Un meurtre,
violent, de l'alcool, du sexe, des dentelles noires, des éclairages en
clair-obscur... Ma chorégraphie se devait de jouer avec les archétypes, voire
avec les stéréotypes, qui hantent l'espace du film noir.
Ivresses : Bashung et Gainsbourg se retrouvaient
souvent autour d'une bouteille de whisky. D'une ou de plusieurs. Ils rentraient
au petit matin, seules les bouteilles étaient vides. Au début des répétitions,
l'emblématique bouteille de whisky était là, forcément, au premier plan, dans
la main de Thierry Verger. Puis, peu à peu, je l'ai effacée, comme les autres
accessoires. L'ivresse de la danse l'avait semble-t-il rendue inutile.
Manque : Un jour de mars dernier, au téléphone, Denis
Clavaizolle me parle de l'orchestration sur laquelle il travaille. Pour me
donner une idée, il me fait écouter la bande-son par le haut-parleur. Nous
sommes aux anges. J'en suis encore à espérer que Bashung pourra être présent, à
la création, en novembre. A peine quelques heures plus tard, j'apprends qu'il
n'y sera pas. Ce spectacle porte sans doute l’empreinte de ce souvenir mélangé,
sorte de vertige entre tristesse et enthousiasme.