Un petit film en entrée, Le Monde d’avant, d’Éric Michel, sur une proposition de Sophie Nagiscarde, met bout à bout quelques images de communautés juives ou de bonheur tranquille en Europe avant la déflagration génocidaire... Un million et demi d’enfants juifs de moins de 15 ans allaient y être assassinés de 1933 à 1945 durant la Shoah.
Mis à mort pour être nés différents, selon les critères du régime et de l’idéologie nazis.
Dans un discours prononcé devant des généraux allemands, le 21 juin 1944, à Posen (Poznan, en polonais), Heinrich Himmler déclarait : « Je ne me sentais en effet pas le droit d’exterminer les hommes [...] et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. Il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la Terre [...] Cela aurait été lâche, et c’est pourquoi nous avons préféré une solution claire, aussi dure qu’elle soit. » Une volonté d’extermination qui fut systématiquement appliquée jusqu’aux derniers moments de la Seconde Guerre mondiale... Dès le début des persécutions mises en place par les nazis et leurs collaborateurs, la plupart des enfants basculaient d’un monde protégé, celui de leur famille, à un monde inconnu auquel, malgré leurs souffrances, ils devaient faire face : exil, exclusion, enfermement, peur, faim, isolement, assassinat. Leur sort, quel que soit le pays d’Europe dans lequel ils se trouvaient, relevait de situations particulièrement dramatiques. Pourtant, très tôt, des réseaux et des individus se mobiliseront pour tenter de les sauver, en les cachant par exemple, ou lorsque les sauver était devenu impossible, en leur procurant un entourage affectif, pédagogique ou moral. Ce fut par exemple l’OSE (Œuvre de secours aux enfants), placée sous la présidence d’Albert Einstein, en France à Vichy puis à Montpellier, ou la propriété des Rothschild, au château de la Guette, qui abrita jusqu’à 130 enfants de 8 à 14 ans à Villeneuve en 39-40. De ces enfants, disparus ou "sauvés", nous sont parvenus des lettres, des récits, des journaux intimes, des dessins. Des témoignages poignants et spontanés, d’une incroyable maturité, ont été rassemblés. En privilégiant ceux établis immédiatement, dans ces situations effroyables, de 1945 à 1947, ceux qui n’auront pas subi les filtres de la mémoire, de l’oubli, de l’auto-censure, des multiples raisons possibles de travestissement. Ils rendent compte des surprises, des incompréhensions, des désespoirs, des pertes de repères, des immenses misères, mais aussi des espoirs de ces enfants, de leurs luttes, de leurs sentiments, laissés longtemps au silence. Les témoignages d’enfants, distingués, sont en couleur. Au bout du compte, qui mieux que ces enfants pouvaient ressentir, constater, témoigner qu’ils devenaient exclus des sociétés où ils avaient grandi ? Que rapidement la haine d’eux avait été enseignée à ceux qui étaient auparavant leurs amis, aux autres élèves qui soudain les pourchassaient et les frappaient. Et les privations, les familles entassées à 6 personnes par pièce, dans les quelque 400 ghettos nazis, des Pays baltes, de Pologne, d’Allemagne, d’Autriche ou de Biélorussie (450 000 habitants dans celui de Varsovie, 200 000 à Lodz, 40 000 à Lublin, 18 000 à Cracovie). Et les enfants, petits contrebandiers, souvent utilisés dans de dangereuses missions d’approvisionnement, pour tenter de briser les blocus des ghettos... Enfants aussi trop longtemps cachés dans des placards, sous des lits, abandonnés, se débrouillant de petits métiers, se pliant pour manger à l’esclavage meurtrier des ateliers des ghettos, gamins des rues affamés, décharnés, hagards sur les trottoirs, rendus fous, traqués, abattus, déportés bien sûr, abusés pour certains, gazés, dont les corps étaient jetés pour crémation sur ceux des adultes pour ne pas risquer de bloquer les machines surexploitées de la solution finale, ou utilisés, vivants cobayes, pour des expérimentations médicales sur la tuberculose... et les autres, tous les autres. Sans oublier non plus ceux qui luttèrent dans les mouvements de résistance et durent commettre des actions bien éloignées de leur jeune âge... Jusqu’où fallait-il raconter l’atroce ? Comment peut-on vouloir de telles choses ? Sans parvenir ni à comprendre ni à expliquer, voir cette exposition-témoignage, entendre simplement ou lire ces témoignages venus de cet enfer. Savoir, apprendre et ressentir. Dans la dernière salle, de part et d’autre d’une longue table, 24 petits livrets nous confient certains de ces récits. Ils sont la base, parmi d’autres écrits, photographies et films d’époque, de l’exposition proposée par le Mémorial de la Shoah, pour évoquer le sort et les actes des enfants qui ne sont plus, mais aussi de ceux qui ont survécu. Autour de l’exposition, et sur cette thématique, se tiendra un cycle de projections, de rencontres et de lectures, avec des interventions de rescapés, de comédiens, de chercheurs en sciences humaines et sociales, et d’intellectuels, et le colloque « Qui sont les enfants cachés ? Génocide et reconstruction » coorganisé par le Mémorial de la Shoah et par le Centre Georges-Devereux - Université Paris 8 Saint-Denis, le 1er juillet 2012. Sophie Nagiscarde est la commissaire de l’exposition organisée par le Mémorial de la Shoah.
Mémorial de la Shoah. Au cœur du génocide, les enfants dans la Shoah (1933-1945), du 19 juin au 30 décembre 2012. 17 rue Geoffroy–l’Asnier, 75004 Paris, 01 42 77 44 72, www.memorialdelashoah.org, métro Saint-Paul ou Hôtel-de-Ville (1), Pont-Marie (7), bus 96, 69, 76, 67, et Balabus. Ouvert tous les jours sauf le samedi, de 10 à 18h, et le jeudi jusqu’à 22h. Entrée libre.
Presque dans le même temps, du 26 juin au 27 octobre 2012. C’étaient des enfants. Déportation et sauvetage des enfants juifs à Paris (1940-1945), à l’Hôtel-de-Ville. Exposition gratuite et hommage aux enfants juifs de Paris et de banlieue qui subirent cette époque...