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Jours tranquilles à Paris
ministre de la culture
21 décembre 2017

Entretien - Françoise Nyssen : « Il faut combattre la “ségrégation culturelle” »

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Par Cédric Pietralunga, Sandrine Blanchard - Le Monde

La ministre détaille les priorités de la rue de Valois, dont la mise en place d’un « passe culture » pour les jeunes de 18 ans.

Après six mois passés à sillonner la France, Françoise Nyssen expose la politique qu’elle entend mener rue de Valois. La ministre de la culture considère qu’il faut « briser les déterminismes socio-économiques et géographiques en misant sur une offre de proximité ». Le « passe culture », promis aux jeunes de 18 ans, pourrait ainsi ­devenir un « service public universel de la culture ».

Vous êtes ministre de la ­culture depuis sept mois, mais vous n’incarnez pas encore une politique de la culture. Etes-vous trop discrète ?

On ne vend pas un livre qui n’est pas écrit. Avant d’incarner la politique culturelle de la France, j’avais à l’imaginer, à l’élaborer. L’année 2018 sera celle de sa concrétisation. Je rappelle que je suis arrivée à un moment stupéfiant : le Front national au second tour de la présidentielle, et une vraie difficulté des Français à se mobiliser. C’est dans ce contexte que j’ai ­accepté de m’engager auprès d’Emmanuel Macron, convaincue que la question culturelle était la clé de ce moment politique.

Vous vous sentez en mission ?

La culture n’est pas un supplément d’âme, elle est constitutive de l’âme. Je suis entrée au gouvernement avec mes convictions, quarante ans d’engagement et l’envie d’agir. Pour autant, je voulais voir et rencontrer avant d’agir. J’ai mis une énergie totale, durant les sept premiers mois, à parcourir la France, à ne pas rester derrière mon bureau à lire des ­notes parfois un peu éloignées des réalités du terrain. Cela a pris du temps, mais c’était nécessaire.

Qu’avez-vous vu lors de ce tour de France ?

Il y a une France qui ne va pas bien. Je veux que le ministère de la culture soit d’abord au service de ceux qui sont exclus. Une grande majorité de nos concitoyens ne bénéficient pas des ­politiques culturelles qu’ils ­financent pourtant avec leurs impôts. Il faut combattre ce qui est perçu comme une « ségrégation culturelle ».

Tous vos prédécesseurs ont plaidé en faveur de la culture pour tous. Mais cela reste un vœu pieux…

Bien sûr, il n’est pas écrit que tel spectacle ou tel livre n’est pas fait pour vous, mais rien n’est fait pour dire que c’est pour vous. Il faut briser les déterminismes ­socio-économiques et géographiques en misant sur une offre ­culturelle de proximité.

Comment cela se ­concrétisera-t-il ?

Mon action s’organise autour de quatre priorités. La première, c’est la revitalisation des villes par le patrimoine. En 2018, 326 millions d’euros seront consacrés à sa ­restauration, dont 15 millions ­réservés aux petites communes, et 9 millions d’euros supplémentaires soutiendront la revitalisation de centres-villes anciens.

La deuxième priorité de ma politique est le développement de la pratique artistique à l’école, dès le plus jeune âge et pour tous. On parle encore aujourd’hui d’éducation artistique et culturelle, mais le virage c’est la pratique. Doit-on apprendre Britten ou chanter ­Britten ? L’enfant qui chante a la curiosité de savoir qui est l’artiste. A la fin de ce quinquennat, je ­ souhaite qu’aucun enfant ne se sente illégitime face à une œuvre ou un lieu de culture. Les artistes seront au centre de cette transmission. Bonne nouvelle : ils le demandent. La culture n’est plus invitée à l’école : elle s’y installe, et durablement.

Vous voulez aussi ouvrir ­davantage les bibliothèques ?

C’est la troisième priorité de mon action. Erik Orsenna remettra très prochainement son rapport sur le sujet. Puis je présenterai mon plan d’action pour que nos 16 000 bibliothèques deviennent le premier réseau de culture de proximité.

Pour la majorité de la population, la bibliothèque est la première porte culturelle. Ce sont des lieux de grande humanité, sans clivage : on ne doit justifier de rien pour y entrer. Le premier ministre vient de l’annoncer aux collectivités territoriales : 8 millions d’euros seront mobilisés pour financer l’extension des horaires des bibliothèques.

La promesse de campagne d’Emmanuel Macron de créer un « passe culture » d’une valeur de 500 euros pour tous les jeunes de 18 ans va-t-elle être tenue ?

C’est notre quatrième priorité. Le « passe culture » verra le jour dès 2018. Ce qui importe, c’est la façon dont cette ­promesse va se concrétiser. J’ai décidé de la forme qu’il prendrait avec une double exigence : qu’il ne soit pas un simple ­chèque, et qu’il ne profite pas uniquement à ceux qui ont déjà des activités ­culturelles. En somme, que le passe ne soit pas un « gadget ». Tel que nous ­sommes en train de le dessiner, le passe culture est une révolution. Une voie d’accès inédite vers la culture.

C’est-à-dire ?

Nous allons créer un nouveau service public universel de la culture. Le « passe ­culture » sera une application géolocalisée pour mobile, créditée de 500 euros par l’Etat pour les jeunes de 18 ans, mais téléchargeable par tous. Nous voulons qu’il soit le « geste réflexe », la porte d’entrée vers l’ensemble de l’offre culturelle, comme les ­applications qui peuvent exister pour les voyages ou la restauration. Il n’y a pas d’équivalent pour la culture aujourd’hui.

Le passe permettrait d’accéder à de l’offre en ligne, mais aussi de connaître toute l’offre culturelle à proximité : où acheter un livre, où trouver un stage de hip-hop ou de théâtre, etc. Ce sera comme un GPS de la culture.

L’outil pourrait aussi offrir des ­solutions de mobilité. Car il existe des ­endroits en France où les jeunes sont victimes d’une forme d’assignation à résidence culturelle. Nous allons développer l’application avec l’aide d’une start-up d’Etat, pilotée par un chef de projet, qui ­ coconstruira l’outil avec des usagers et des acteurs du secteur culturel.

Je souhaite que la proposition soit éditorialisée, pour que le passe aide chacun à aller vers l’offre culturelle qu’il ne connaît pas. De premiers tests auront lieu au premier semestre 2018 sur trois territoires, pour un lancement en septembre.

Un budget de 430 millions d’euros a été évoqué, comment sera-t-il financé ?

Il faut réfléchir à la diversité du financement. Je souhaite que les acteurs qui seront partenaires du passe et en bénéficieront, puissent contribuer d’une façon ou d’une autre à son financement. Nous avons engagé les discussions.

Vous avez annoncé vouloir porter plainte après la ­publication par « Le Monde » de documents exposant vos pistes de travail, sur la réforme de l’audiovisuel notamment. Pourquoi ?

En aucune manière il n’était ­envisagé de déposer plainte contre les journalistes ou un organe de presse. C’est lorsqu’un mail a circulé avec ce document de travail confidentiel qu’on a envisagé de déposer plainte pour que cela ne se reproduise plus, indépendamment de l’article du Monde. Nous avons finalement décidé de nous en tenir à l’enquête interne.

Devant des députés, ­Emmanuel Macron a qualifié de « honte » l’audiovisuel ­public. Reprenez-vous ce terme ?

L’audiovisuel public, ce sont 3,9 milliards d’euros financés par la redevance, donc par les Français eux-mêmes. L’effort d’économies demandé à France Télévisions, c’est 50 millions d’euros, soit moins de 1 % de son budget.

Mais il faudrait cesser de ne parler que de budget. Quels sont les défis aujourd’hui posés ? La reconquête du jeune public, qui se détourne massivement de nos antennes, la production d’une information indépendante et de référence qui fait rempart contre les « fake news », un effort d’investissement dans la création, les contenus et l’offre ­numérique. Pour réaliser tout cela, il faudra, oui, certainement, une transformation importante.

Mais il y a une différence entre inciter les acteurs à bouger et qualifier leur travail de « honte ». Ne craignez-vous pas de déstabiliser la présidente de France Télévisions ?

Delphine Ernotte a, dans un premier temps, adopté une posture défensive alors qu’on demande à tous les Français de faire des ­efforts. Mais je l’ai vue depuis et les réflexions au sein de France Télévisions sont aujourd’hui ­résolument tournées vers la transformation.

Vous connaissez bien [le ministre de la transition écologique et solidaire] Nicolas Hulot. Il a dit qu’il se donnait un an pour voir s’il pouvait « être utile ». Vous, combien de temps vous donnez-vous ?

Je ne suis pas assez politique et trop entrepreneuse pour me poser cette question. Tant qu’on peut faire sa part, on la fait. Le pessimisme de la raison nous oblige à l’optimisme de la détermination.

Vous êtes une femme de ­gauche, mais beaucoup disent que le pouvoir penche à droite, concernant la politique ­migratoire, par exemple. Vous sentez-vous à l’aise dans ce gouvernement ?

Permettez que je réponde avec J. M. G. Le Clezio : « La migration n’est pas, pour ceux qui l’entreprennent, une croisière en quête d’exotisme, ni même le leurre d’une vie de luxe, dans nos banlieues de Paris. C’est une fuite de gens apeurés, harassés, en danger de mort dans leur propre pays. » Ce point de vue, je le fais valoir sans qu’il m’en soit fait le reproche. Et je souhaite défendre l’accès à la vie culturelle pour tous ceux qui sont sur le sol français.

Vous n’avez pas d’expérience politique mais vous avez été chef d’une entreprise culturelle. Cela vous sert-il ?

J’ai toujours vécu ma vie comme un apprentissage, un ­enrichissement permanent. J’avance dans la curiosité et le questionnement, en dehors des certitudes. Je suis fondée par le principe d’indétermination d’Heisenberg : j’avance en fonction des problématiques, rien n’est jamais figé, mais toujours en mouvement.

Vous avez dit être « la ministre des travaux pratiques ». Vous le revendiquez toujours ?

C’est sans doute pour cela que je suis là. Mais je ne pense plus en ces termes. Je suis Françoise ­Nyssen, ministre de la culture en France.

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7 août 2017

Françoise Nyssen - Ministre de la Culture

2 juillet 2017

Françoise Nyssen, « Shiva » à la culture

Qui-est-Francoise-Nyssen-la-nouvelle-ministre-de-la-Culture

 Par Alain Beuve-Méry

Femme aux mille et un réseaux, l’ancienne patronne des éditions Actes Sud entend être « la ministre des possibles » autant que celle « des travaux pratiques ».

« Je t’attends », écrit le 24 mai, sur son compte Facebook, Georges Séguier. Assis devant la porte cochère de la maison d’édition Actes Sud, au cœur du 6e arrondissement de Paris, il guette le retour de Françoise Nyssen, partie diriger le ministère de la ­culture.

Georges Séguier est… le chat d’Actes Sud. Ses faits et gestes sont chroniqués par des salariés de la maison d’édition arlésienne, dirigée jusqu’ici par la nouvelle occupante de la Rue de Valois. Une semaine plus tôt, le matou avait été l’un des premiers dans la confidence. Désormais, tout le monde ­attend sa maîtresse.

A 66 ans, Françoise Nyssen entame une nouvelle vie. Pourtant, l’histoire de sa nomination doit presque tout au hasard. Lorsque, lundi 15 mai dans l’après-midi, à Arles, elle reçoit un appel du président de la République – « Je suis Emmanuel Macron » –, elle lui coupe la parole. « Vous avez été formidable », lâche la présidente du directoire d’Actes Sud, en félicitant chaleureusement le nouvel élu.

« Un nouveau monde en marche »

Rendez-vous est pris dès le lendemain ­matin à Paris. Le chef de l’Etat cherche un ­ministre de la culture. « Cela ne se fait pas de refuser l’offre de celui qui a été élu », dit-elle. Quelques proches se moquent de son sens du devoir ­républicain, mais, ce soir-là, elle ne ­redescendra pas en Provence. mercredi 17 mai, sur le perron de l’Elysée, son nom est prononcé, en huitième ­position, après celui de son ami ­Nicolas ­Hulot : deux personnalités dites de la « société civile ».

Avant leur premier tête-à-tête, le président et sa ministre ne se connaissaient presque pas. Une seule rencontre a précédé le coup de fil élyséen, en mars, au Salon du livre de Paris, où Françoise Nyssen a offert au candidat un ouvrage de Cyril Dion paru chez Actes Sud en 2015 : Demain et après… Un nouveau monde en marche. Prémonitoire.

Le président et l’éditrice ont quelques passions en commun, notamment pour le théâtre. Elève à « La Pro », le collège jésuite huppé d’Amiens, où il a rencontré sa future épouse, Brigitte, alors professeure de lettres, ­Emmanuel Macron a sans aucun doute lu les auteurs contemporains dans la collection ­Actes Sud-Papiers, consacrée à la publication de pièces de théâtre. A un an près, « Macron a l’âge d’Actes Sud », relève Bertrand Py, le directeur éditorial de la maison fondée en 1978 par Hubert Nyssen, le père de Françoise.

« Votez Macron. Ne vous abstenez pas »

D’Arles, où elle vit, Françoise Nyssen a de son côté entendu monter la rumeur du monde, ce discours frontiste, hostile aux étrangers, qui gagne régulièrement des voix jusqu’à ­peser un gros tiers du corps électoral.

Née à Bruxelles, de parents belges, avec une ascendance suédoise, elle parle un français sans ­accent, héritage de douze ans passés au lycée français de Bruxelles entre 1956 et 1968, et est une européenne militante. Elle dirige aussi une grande maison d’édition qui a placé la ­ littérature étrangère au cœur de son projet éditorial, avec des auteurs méditerranéens comme l’Algérien Kamel Daoud, l’Egyptien Alaa Al-Aswany, la Turque Asli Erdogan…

Alors, le 3 mai, entre les deux tours, ­Françoise Nyssen s’est jetée à l’eau. Classée à gauche, elle répond « oui » à l’appel du monde de la culture contre le Front national, à Avignon, soutenu par Christian Estrosi, président (Les Républicains, LR) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), aux côtés d’Irina Brook, Macha ­Makeïeff, Michel Boujenah, Charles Berling et Olivier Py. Leur message est simple : « Votez. Ne vous abstenez pas. »

Elle ne s’est pas abstenue lorsque Marc Schwartz, haut fonctionnaire qui s’était mis en disponibilité pour rédiger le programme culture du candidat En marche !, l’a contactée pour qu’elle s’engage à soutenir Emmanuel Macron. Dans un texte publié le 6 mai sur les réseaux sociaux, Françoise ­Nyssen a appelé à voter pour lui « avec détermination et joie ».

Adepte des « cinq Tibétains »

Peu de directeurs de cabinet peuvent se flatter d’avoir choisi leur ministre. C’est ce qui est arrivé à Marc Schwartz. Avec l’appui de l’académicien Erik Orsenna, lui aussi sollicité, cet ancien du cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy a été la bonne fée de la nouvelle ministre de la culture, faisant ­remonter le nom de l’éditrice auprès du chef de l’Etat. Ils rêvaient chacun du poste pour eux, mais l’un a été jugé trop techno quand l’autre semblait trop occupé à jongler avec ses multiples casquettes.

Dans son nouveau métier, Françoise Nyssen arrive en novice. Mais ses amis ne s’inquiètent pas pour elle. « Françoise est une femme d’affaires, grosse bosseuse et excellente négociatrice », note Teresa Cremisi, ­ex-PDG de Flammarion, qui a été, un temps, actionnaire d’Actes Sud. « Ce n’est pas une femme de réflexion, elle agit toujours », ajoute une proche collaboratrice.

Cheveux raides, petites lunettes rondes, mince sourire en permanence sur les lèvres, Françoise Nyssen donne souvent l’impression de planer. Elle serait plutôt control freak. Elle commence d’ailleurs sa journée par une ­demi-heure de méditation, en suivant les « cinq Tibétains », des exercices de yoga qui insufflent de l’énergie. Zen, mais pas ­effacée : « Si elle était dans une secte, elle en serait le gourou », rit un collaborateur.

Sa réussite à la tête d’Actes Sud ne doit rien au hasard. « Françoise a un esprit scientifique doté d’une grande capacité de synthèse, note Danièle Dastugue, présidente du conseil de surveillance d’Actes Sud et fondatrice des éditions du Rouergue. Elle a une gestion en étoile, comme PDG, elle lance des rayons. » Solaire…

Des menus bio Rue de Valois

Les mille réseaux qu’entretient Françoise Nyssen lui permettent de défendre les causes auxquelles elle croit. L’association du Méjan, avec la tenue de concerts, d’expositions, l’ouverture de salles de cinéma, a transformé la vie culturelle à Arles. Elle est aussi proche de Thierry Frémaux, délégué général du ­Festival de Cannes.

Par ses études – un diplôme en biologie ­moléculaire – et sa famille – son beau-père était le généticien René Thomas –, elle a également fréquenté très tôt de grands scientifiques, comme le prix Nobel 1965 de médecine François Jacob, père de l’éditrice Odile Jacob. Avec l’association Prima Vera à Uzès, où elle retrouve la diplomate palestinienne Leïla Shahid et la comédienne Isabel Otero, elle ­rejoint les réseaux écolos.

Il y a surtout le mouvement Colibris, lancé par le très médiatique Pierre Rabhi, chantre de l’écologie durable, dont Françoise Nyssen a signé l’appel et édite les livres à succès. Et, enfin, des réseaux patronaux, comme l’Association pour la promotion et le management (APM), un club fondé à l’origine par Pierre Bellon, le patron marseillais de la Sodexo, le plus grand groupe français de restauration collective. Qui sait que la première décision de la ministre de la culture a été d’introduire des menus bio Rue de Valois ?

Françoise Nyssen est également comme un poisson dans l’eau avec le milieu éducatif. Elle a imaginé, à Arles, l’Ecole du domaine du possible, un établissement scolaire alternatif, qui accueillera 150 élèves à la rentrée prochaine, des ­adolescents différents, inadaptés au système scolaire classique. C’était le cas d’Antoine ­Capitani, son petit dernier, un enfant hyper­sensible, né de son mariage avec l’éditeur Jean-Paul Capitani. Antoine a mis fin à ses jours en 2012, à l’âge de 18 ans.

« Françoise a plus de bras que le dieu Shiva », susurre un proche. Au Paradou, le mas ­mythique où son père fonda Actes Sud, elle se tenait, six mois après le début de l’aventure, tout près de la grande table où tout se décidait. Légèrement en retrait, elle s’occupait de la comptabilité, sans rechigner.

Aujourd’hui encore, Françoise Nyssen dirige une maison d’édition sans être vraiment une éditrice. La seule auteure qu’elle suit personnellement est la romancière italo-algérienne Jeanne Benameur, sa plus proche amie.

Si elle se met au service des auteurs, c’est plutôt pour les accompagner dans une librairie, à l’étranger… « On n’a pas de relations professionnelles avec elle, on ne la rencontre que pour les ­aspects humains », note Jérôme Ferrari, deuxième prix Goncourt de la maison pour Le Sermon sur la chute de Rome, en 2012.

« Airbnb mondain d’Arles »

Trente ans que cela dure : l’hospitalité de la ministre compte beaucoup dans son ascension. « C’est le Airbnb mondain d’Arles », plaisante une éditrice. A l’été 2016, quand ­François Hollande s’invite de manière ­impromptue aux Rencontres de la photographie, où termine-t-il la journée ? Chez ­Françoise Nyssen, qui improvise un repas sur le pouce pour une trentaine de convives.

La nouvelle ministre de la culture n’est pourtant ni mondaine ni ambitieuse, au sens parisien du terme. « Elle a réussi à rebours de l’édition française », observe la journaliste ­Sylvie Tanette. Le jour de sa nomination, c’est d’ailleurs au sein de la petite famille du livre que l’accueil a été le moins chaleureux, alors que dans le monde du cinéma, de la musique, des arts plastiques, les compliments ­fusaient. « Normal, ils étaient tous verts de ­jalousie », commente un éditeur.

La question des subventions et des conflits d’intérêts a aussitôt surgi. Selon les calculs de Livres Hebdo, qui a épluché le rapport annuel du Centre national du livre en 2016, la ­maison arlésienne est celle qui reçoit le plus de subventions après Le Seuil : une somme qui s’est élevée à 264 167 euros en 2016. Rapporté aux 76 millions d’euros de chiffre d’affaires d’Actes Sud, le montant semble plutôt ­modeste.

« Actes Sud n’a pas à changer de politique, il s’agit d’une entreprise indépendante qui fonctionne sans moi », réplique la ministre. Elle a non seulement démissionné d’Actes Sud, mais aussi quitté ses mandats au Centre ­national du cinéma, à la Bibliothèque nationale de France, au Syndicat ­national de l’édition, au Musée du quai Branly, à EuropaCorp, la société de Luc Besson, à la ­Marseillaise de crédit. En creux encore, l’étendue de son réseau…

Rapprocher culture et éducation

Sa chance ? La nouvelle ministre a autour d’elle un clan familial, élargi aux amis, qui tient la maison en son absence. Au premier rang : Jean-Paul Capitani, son mari et copropriétaire d’Actes Sud, avec lequel elle forme un couple fusionnel.

Viennent ensuite ­Bertrand Py, l’éditeur en chef, également ­actionnaire. Et puis, évidemment, les trois filles du couple qui ont intégré la maison : Julie Gautier, ­Anne-Sylvie Bameule et ­ Pauline Capitani. La moitié de la tribu Nyssen-Capitani travaille au sein de la PME familiale.

Françoise Nyssen entend être « la ministre des possibles » et celle « des travaux pratiques ». Elle rêverait de rapprocher culture et éducation et a déjà tissé une relation étroite avec Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale. Qui ne demande pas mieux : « Avec la ministre de la culture, nous allons travailler en profondeur sur la question du livre à l’école », vient-il de déclarer.

Avec le président de la République, elle partage le goût de faire et la volonté d’afficher une certaine bienveillance. Elle ne cherche pas à cacher son admiration, au point d’oser cette comparaison troublante : « Avec ­Antoine, j’ai été confrontée à ce qu’est un enfant précoce. Mais Emmanuel, c’est un surdoué. »

22 juin 2017

« Par la culture, on peut réenchanter notre pays » Françoise Nyssen

Par  Maguelone Bonnaud, Éric Bureau et Emmanuel Marolle

Françoise Nyssen nous accueille en musique. « Je vais peut-être couper le disque, non ? » Et Françoise Nyssen, 66 ans, aussi simple que chaleureuse, démarre aussitôt la conversation sur Federico Mompou, compositeur espagnol « très minimaliste, très jazzy », qu’elle adore. Ça tombe bien. Pour sa première véritable interview, la ministre de la Culture a choisi de prendre la parole sur la musique qui sera fêtée un peu partout en France demain.

Vous avez des souvenirs particuliers de la Fête de la musique ?

Françoise Nyssen. Je l’ai toujours suivie à Arles. Et j’ai joué un peu de piano, mais je n’avais pas tellement confiance en moi. J’ai tenté d’apprendre le violoncelle à 50 ans, mais j’ai abandonné faute de temps…

Quelle musique écoutez-vous ?

J’aime toutes les musiques. Dans notre salle d’Arles (NDLR : l’ex-dirigeante de la maison d’édition Actes Sud a ouvert un centre culturel qui comprend une salle de concert), nous sommes spécialisés dans la musique baroque. J’ai une passion pour la musique de chambre. Je me suis fait ma discothèque toute seule. L’une des plus belles chansons du monde pour moi est « Une sorcière comme les autres » écrite par Anne Sylvestre et reprise par Pauline Julien (en 1977), une grande chanteuse québécoise militante.

Vous irez où demain ?

J’irai écouter des jeunes. L’éducation artistique et culturelle est l’un des axes forts pour moi. Elle aide les enfants à se constituer, à prendre confiance en eux, à s’exprimer. Toutes les études sur le cerveau montrent que c’est important d’appréhender la musique dès le plus jeune âge. La culture n’est pas juste un supplément d’âme, elle aide à se construire.

Pourquoi avez-vous accepté d’être ministre ?

Si on a la chance de pouvoir tenter quelque chose pour son pays, ce serait indécent de ne pas la saisir. J’ai rencontré Emmanuel Macron une fois, au Salon du livre. J’ai lu attentivement son programme culturel avant de dire oui. Ce qui m’a le plus convaincue, c’est l’idée que par la culture, on peut réenchanter notre pays.

Quels sont vos projets pour l’école ?

Des projets existent, comme Orchestre à l’école (des orchestres créés avec les élèves d’une même classe) ou Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale qui permet aux enfants de jouer dans des orchestres classiques). L’objectif est de faire accéder tous les enfants à des initiatives de ce type. Dès ma nomination, je me suis rapprochée du ministre de l’Education (Jean-Michel Blanquer) pour que nous travaillions ensemble. Je crois beaucoup aux chorales que j’ai testées grandeur nature dans l’Ecole du Domaine du possible, que j’ai créée à Arles. Je suis une ministre travaux pratiques.

Les jeunes écoutent beaucoup de rap qui contient parfois des propos vulgaires, sexistes. Serez-vous vigilante ?

Le ministère de la Culture n’est pas un organisme de contrôle. Mais quand il y a des dérapages, je les condamne. Regardez sur l’affaire Hanouna par exemple (la séquence jugée homophobe sur C 8), j’ai réagi immédiatement en faisant part de ma consternation. La culture hip-hop fait partie de notre paysage culturel. Vendredi, j’ai rendu visite à l’association de cultures urbaines Da Storm (à Bouillargues près de Nîmes). Elle permet à des jeunes de se rassembler, de créer, de s’exprimer. La culture hip-hop, c’est d’abord cela.

Les jeunes consomment de plus en plus la culture gratuitement : de la musique, des films. Comment comptez-vous protéger les artistes ?

La condition de la diversité culturelle, c’est la juste rémunération des artistes et des créateurs. Le piratage est à ce titre un fléau, face auquel on ne peut pas rester les bras croisés. Il faut par ailleurs que toutes les plates-formes numériques contribuent au financement de la création. Je suis mobilisée aux niveaux national et européen.

La loi Hadopi pour lutter contre le piratage ne vous semble pas satisfaisante ?

Il faudra se poser la question de l’évolution de ce dispositif. Nous devrons renforcer les mesures de lutte contre les sites pirates, travailler davantage pour la pédagogie et promouvoir par ailleurs une offre payante attractive.

En quoi consistera la Maison commune de la musique que vous voulez créer ?

Nous avons le projet de rassembler l’ensemble des professionnels, notamment ceux de la musique enregistrée et ceux du spectacle vivant, qui ont beaucoup de défis similaires. Une mission sera lancée dans les jours qui viennent pour en définir le périmètre et les compétences. Attention, il ne s’agit pas d’une énième réflexion sur le sujet ! Je disposerai de recommandations opérationnelles à la fin du mois de septembre.

Où en est le passe Culture annoncé par Emmanuel Macron ?

C’est une porte d’entrée dans la culture pour les jeunes. Chacun recevra à ses 18 ans 500 € qu’il consommera comme il l’entend — spectacles, disques, livres, musées… Cette formule a été développée en Italie, où nous irons bientôt voir concrètement comment cela se passe.

Dans quels festivals irez-vous cet été ?

Le terrain est ma priorité. Je suis en quelque sorte la ministre de la Culture pour la cohésion des territoires (rires). Tous les ministres de la Culture vont traditionnellement à Avignon, à Aix-en-Provence, et c’est normal, mais j’aimerais bien ajouter des festivals où l’on va peu, voire jamais, comme les Suds, à Arles.

Que pensez-vous de la Philharmonie de Paris ?

C’est très réussi. Elle réunit aussi bien les habitants des quartiers populaires voisins et le public de l’Ouest parisien qui allait avant à Pleyel. C’est plus qu’une salle, c’est un écosystème qui a vu le jour, avec des initiatives fortes en matière d’éducation artistique et culturelle, et une coopération avec les territoires.

Quand les Français pourront-ils aller à la bibliothèque le dimanche ?

Le plus vite possible. Il n’est pas normal qu’elles soient fermées quand les gens ont le temps d’y aller. Les bibliothèques sont des lieux de vie et d’échange fondamentaux, notamment dans les quartiers populaires où les parents viennent passer des heures avec leurs enfants. Ce changement ne sera pas facile, mais je me suis exprimée la semaine dernière devant l’Association des bibliothécaires de France : ils savent qu’il faut évoluer. Erik Orsenna (nommé ambassadeur de la lecture) sera chargé de mobiliser les collectivités et les agents autour de cet enjeu.

31 mai 2017

La nouvelle Ministre de la Culture : Françoise Nyssen

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24 mai 2017

Festival de Cannes

18 mai 2017

Françoise Nyssen, une éditrice au ministère de la culture

Par Alain Beuve-Méry - Le Monde

La patronne de la maison d’édition Actes Sud hérite de la rue de Valois.

Rue de Valois, il y a eu des écrivains célèbres comme André Malraux, prix Goncourt 1933 pour La Condition humaine et ministre du général de Gaulle, mais jamais de responsable de maison d’édition. C’est désormais le cas avec Françoise Nyssen, patronne d’Actes Sud, société créée en 1978 par Hubert Nyssen, son père, et dont le siège social est installé à Arles (Bouches-du-Rhône) et dont elle a repris progressivement la direction avec son époux Jean-Paul Capitani.

Aujourd’hui, la maison arlésienne et parisienne est la plus petite des grandes sociétés d’édition, très loin derrière les Hachette, Editis ou Madrigall (groupe Gallimard), mais elle est riche d’un catalogue prestigieux d’auteurs tant français qu’internationaux : Nina Berberova, Stieg Larsson, Nancy Huston, Alice Ferney, Laurent Gaudé, Jérôme Ferrari, Paul Auster, Pierre Rabhi, Henry Bauchau.

Née le 9 juin 1951, à Etterbeek (Belgique), Françoise Nyssen présente l’originalité d’avoir la double nationalité belge et française. Elle est d’ailleurs une Européenne convaincue.

Dans sa vie personnelle, elle a aussi pour caractéristique d’être à la tête d’une famille recomposée, avec sept enfants et beaux-enfants, petits-enfants qui forment une tribu unie au Méjan, le siège d’Actes Sud, mais elle a été marquée par un drame intime : le suicide de son fils Antoine, en février 2012.

« Détermination et joie »

De cette douleur, Françoise Nyssen a décidé de faire un ressort pour encore plus se tourner vers les autres. Avec son mari, elle a souhaité créer une structure, l’école Domaine du possible, pour aider les enfants qui n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu s’adapter au système scolaire français.

Dans la foulée, elle a essayé d’acquérir le groupe d’édition Flammarion, mis en vente par l’italien RCS Libri et dont le chiffre d’affaires était trois fois supérieur à celui d’Actes Sud. En vain, c’est Gallimard qui a finalement remporté la mise, et Actes Sud a dû se contenter, en lot de consolation, du groupe Payot-Rivages.

C’est aussi dans cette démarche d’ouverture que s’inscrit le choix de Mme Nyssen d’accepter la proposition d’Emmanuel Macron et de relever ce nouveau défi : devenir ministre de la culture. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, elle avait fait savoir qu’elle « voterait avec détermination et joie pour Emmanuel Macron », car, reprenant les mots du philosophe Antonio Gramsci, elle estimait que « le pessimisme de la raison nous oblige à l’optimisme de la détermination ».

« Nous avons la chance en tant qu’éditeur de publier des auteurs de tous les pays qui enrichissent la langue française par leurs textes. Parmi ces auteurs, nombreux sont ceux qui s’expriment avec talent et courage pour dire l’obscurantisme, le manque de liberté, l’enfermement, la haine de l’autre au risque de leur vie. Je pense, entre autres, à Alaa Al-Aswany en Egypte, à Kamel Daoud en Algérie, à Salman Rushdie sous menace d’une fatwa, à Asli Erdogan en Turquie et bien d’autres encore », écrit alors la PDG d’Actes Sud.

Chef d’orchestre

Rien ne prédestinait Françoise Nyssen, d’abord chercheuse en laboratoire de biologie moléculaire, à devenir éditrice, sauf la passion des livres transmises par son père, Hubert. Aujourd’hui, elle est une éditrice comblée qui a réalisé, en novembre 2015, le coup double de voir deux de ses auteurs recevoir le prix Nobel de littérature, avec la Russe Svetlana Alexievitch, et le Goncourt, avec Mathias Enard, le troisième trophée pour Actes Sud.

Elle est aussi en France l’éditrice du Charme discret de l’intestin, de Giulia Enders, un best-seller, vendu à plusieurs millions d’exemplaires. En 2004, c’est grâce au succès de la trilogie Millenium que Mme Nyssen a pu redevenir propriétaire à 95 % de sa maison d’édition, alors qu’elle avait songé à se retirer peu de temps avant et qu’un acte de cession de son groupe avait même été préparé.

Plus qu’éditrice, Françoise Nyssen se dit accompagnatrice de livres, chef d’orchestre d’auteurs, voire – le mot qu’elle préfère – « ourleuse », autant de qualités dont elle devra user rue de Valois, pour répondre aux attentes des différents publics du ministère de la culture.

A la tête d’Actes Sud, Mme Nyssen détient aussi des librairies sur l’ensemble du territoire national. Elle est aussi éditrice de pièces de théâtre.

Femme de culture au sens plein du terme, elle a été nommée présidente de la commission de soutien au scénario de projets de film de long-métrage du Centre national du cinéma et membre du Haut Conseil pour l’éducation artistique et culturelle en 2015.

Afin d’exercer pleinement ses fonctions ministérielles, Mme Nyssen devrait annoncer qu’elle se met en disponibilité de la direction d’Actes Sud.

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