LE JEUNE ARTISTE CHINOIS REN HANG S’EST SUICIDÉ
Source : LIBERATION
Il y a encore quelques semaines, ces pages accueillaient l’excellente nouvelle de la sortie d’une monographie de Ren Hang. Aujourd’hui, nous lui rendons un hommage posthume : le jeune prodige de la photographie chinoise s’est suicidé vendredi à Pékin, en sautant par la fenêtre, l’après-midi. Son compagnon était présent. «Il avait tellement de douleur qu’il n’arrivait pas à se contrôler. Il souffrait de dépression, il vivait à un rythme bousculé, voyageait beaucoup», avance sa galeriste, Lingyun Wang, de la On-Gallery (Pékin), à Paris à ce moment-là. Sur le site du photographe, on trouve un onglet «My Depression» et, en 2013, l’artiste avait publié un ouvrage de photos et de poèmes sous ce même intitulé. Ren Hang, né en 1987 à Changchun dans la province de Jilin, vivait à Pékin. Depuis quelques années, ses photographies étaient apparues comme des météorites, brûlant les pages des magazines et les blogs, explosant les frontières de la Chine, se disséminant dans le monde avec fougue, enflammant tout sur leur passage par leur érotisme élégant, séduisant et cru. Elles étaient reconnaissables entre mille. Ren Hang a inventé un style, celui de la jeunesse chinoise nouvelle, libre et insoumise. Prolifique, il a imposé une écriture, insolente, celle des corps espiègles, à poils, affranchis du joug de la domination morale et politique. Par leur volupté pure, ses images respirent la soif de vivre, la joie de toucher des corps amis, le plaisir de s’empiler les uns sur les autres, de tendre son postérieur à l’objectif sur un toit en pleine nuit, de se cacher sous l’herbe fraîche, de jouer avec des tulipes et des roses rouges, de croquer dans une pastèque saumon à pleines dents dans un bain.
Rencontré à Paris en 2014, pour sa première exposition à la Nue Galerie à Pantin, il nous confiait, timide : «Quand on est nu, tout est plus naturel.» Cela se voyait dans ses images. Il montrait une nudité naïve et sophistiquée sublimant les cheveux noirs et la carnation asiatique par de délicates touches vermillon (vernis à ongles, fleurs, rouge à lèvres). Il photographiait ses amis chez lui, dans son petit appartement, ou dans la forêt, le plus naturellement du monde. Souvent, ses mises en scène frôlaient le soft porn, avec des fellations multiples entre garçons, des pénis en érection rehaussés de citron vert, des baisers entre filles, des gros plans urophiles humoristiques. Avec ces images taboues, il jouait avec le feu, attirant sur lui la censure chinoise. Souvent, il a dû décrocher des photos avant l’ouverture d’une exposition et s’est fait embarquer par la police lors d’une prise de vue en extérieur. En Chine, on ne montrait pas son travail comme dans le reste du monde. Tout récemment encore, il n’a pu rapporter dans son pays la monographie de Taschen, bloquée à la douane.
Jusqu’au-boutiste, Ren Hang «avait toujours envie de se dépasser, d’aller plus loin, de s’en foutre de tout. Il cherchait la liberté absolue», témoigne sa galeriste. Magazines, maisons d’édition, agents, galeries, musées s’arrachaient son travail. Parallèlement à la photographie, il écrivait des poèmes très drôles, des haïkus crus traversés par la mort et le sexe (lire ci-dessous). En ce début 2017, il expose au Foam d’Amsterdam, à Pékin, à Stockholm. Cette année avait si bien commencé pour lui qu’on avait failli écrire fin janvier que l’année du Coq de feu était celle du coq en pâte. C’était oublier le soleil noir qui le brûlait. Les images qu’il n’a pas faites et qu’on attendait avec impatience laissent déjà un grand vide.
In memorem : Ren Hang
Ren Hang - nouveau livre chez Taschen
Ren Hang est tout sauf un rebelle. De taille modeste, de nature timide et sujet à des crises de dépression, ce photographe de 28 ans, originaire de Pékin, est pourtant au premier rang du combat que livrent les artistes chinois en faveur de leur liberté de création. À l’instar de son défenseur, Ai Weiwei, Ren produit des œuvres jugées dangereuses pour la société et l’État communiste. Ren affirme pourtant: «Les idées politiques exprimées dans mes images n’ont rien à voir avec la Chine. C’est la politique chinoise qui veut s’introduire dans mon art. Une de mes expositions a déjà été annulée par le gouvernement chinois pour “suspicion de sexe”.»
Pourquoi cette accusation? À cause de ses modèles: ses amis et, de plus en plus, ses fans, sont photographiés nus, souvent en extérieur, perchés au sommet des arbres ou au bord des toits vertigineux de Pékin, empilés comme des cubes de béton, la tête enturbannée d’une pieuvre, des fils de téléphone ou des fleurs jaillissant de leurs cavités corporelles, selon ce qui lui vient à l’esprit sur le moment. Il dément toute arrière-pensée sexuelle, et l’on sent un vrai détachement dans la moindre de ses images les plus extrêmes montrant urine, pénétrations, et même des érections. En 2013, lors d’un entretien, le magazine VICE l’interrogeait ainsi: «Il y a beaucoup de bites… N’aimez-vous donc que ça?» Et Ren a répondu: «Ce n’est pas seulement aux bites que je m’intéresse, j’aime représenter chaque organe d’une façon nouvelle, vivante et émotionnelle.»
Dans la suite de la discussion, Hang affirmait aussi: «Le genre importe peu, quand je prends des photos, la seule chose qui me préoccupe, c’est quand vais-je avoir un rapport sexuel.», ce qui le place à l’avant-garde d’une nouvelle scène où les genres s’effacent. Ses jeunes fans le suivent avidement sur son site Internet, ses comptes Facebook, Instagram et Flickr. Ses photographies, toutes produites sur pellicule, ont fait l’objet de plus de 20 expositions personnelles et 70 collectives durant les cinq années de sa brève carrière, dans des villes aussi diverses que Tokyo, Athènes, Paris, New York, Copenhague, Francfort, Vienne, et même Pékin. Il a publié 8 monographies en autoédition et à de faibles tirages, dont le prix atteint désormais jusqu’à 600 $. L’ouvrage Ren Hang publié par TASCHEN sera donc sa première anthologie mondiale à parcourir l’ensemble de sa carrière à travers ses photos les plus appréciées et les plus populaires, dont beaucoup d’inédites, montrant hommes, femmes, Pékin, et même des érections.