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Jours tranquilles à Paris
sexualite
30 décembre 2018

2018, la fin de l’innocence... sexuelle ?

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

L’année qui s’achève fut celle de #metoo et de la grande remise en cause des privilèges de genre, de race, de classe et d’orientation sexuelle. Rarement avons-nous autant parlé et écouté. Et pourtant ! Il en est encore qui estiment qu’ouvrir la sexualité au débat crée des problèmes qui n’existaient pas avant. Maïa Mazaurette, chroniqueuse sexe de La Matinale, fait le point sur la réalité de cette « innocence perdue ».

L’année 2018 se termine : c’était chouette, non ? Eprouvant ? Certes. Nous avons beaucoup parlé de sexualité, et de temps en temps, nous nous sommes même mutuellement écoutés – hourra ! 39 % des Français ont évoqué le mouvement #metoo avec leurs proches (Harris Interactive, octobre 2018), 38 % des hommes ont remis en cause leur comportement (OpinionWay pour Le Parisien, juin 2018). On a parlé de masculinités plurielles sur le service public et dans une tripotée de podcasts privés : une conversation menée par des femmes (Les couilles sur la table) comme par des hommes (Mansplaining). Nous avons examiné nos privilèges, de genre, de classe, de race, d’orientation sexuelle. Nous avons débattu de la soumission féminine (On ne naît pas soumise, on le devient, par la philosophe Manon Garcia, Flammarion). Nous avons commencé à faire le ménage dans la zone grise (L’Amour après #metoo, de Fiona Schmidt, Hachette). Nous avons écouté l’humoriste Océan nous parler de sa transition. Je m’arrête là : impossible d’être exhaustive tant cette année a été riche d’occasions de mieux nous entendre – dans tous les sens du terme.

Et pourtant ! Il y a encore deux-trois malins au fond qui clament que c’était mieux avant, et qui auraient préféré ne pas savoir. Pour ces personnes, notre conversation crée des problèmes qui n’existaient pas (selon cette fameuse sagesse populaire voulant que la description des violences soit plus embêtante que les violences elles-mêmes – une assertion d’ailleurs parfaitement exacte… pour peu qu’on parle du point de vue des personnes commettant ces violences).

Cette résistance au dialogue pose la question à cent mille dollars de cette fin d’année : comment peut-on, en toute bonne foi, demander moins de partage, moins de conversation, moins d’écoute ? Par quelle curieuse alchimie deviendrait-on plus sage en disposant de moins de connaissance ? A ce titre, la sexualité est sans doute le seul domaine au monde où la prime à l’ignorance demeure d’actualité (imaginez si nous appliquions la même logique avec nos enfants : « N’apprends pas le solfège, les notes tueraient ta connexion avec le piano », «Laisse tomber l’algèbre, laisse-toi porter par la spontanéité de ton rapport avec cette équation »).

Un espace conflictuel

Les adeptes de l’omerta répondent à notre perplexité par un argument émotionnel : le discours sexuel les prive d’une part d’innocence. En 2018, la sexualité serait ainsi passée d’une croustillante pantalonnade à un espace conflictuel. Elle était une distraction, légère, elle devient un sujet, grave. (Car il faudrait choisir son camp, n’est-ce pas.)

Alors d’accord. Pourquoi pas ? Mais face à cette demande, il est intéressant de questionner qui a le droit d’être innocent. Plus clairement : qui peut se permettre de considérer la sexualité comme une pure bagatelle ? Car étrangement, en 2018, on n’a pas entendu des masses de femmes, ou de minorités, se plaindre de « perdre leur innocence ». On a plutôt observé un certain soulagement : ah, tiens, on commence à nous croire.

Les personnes pour qui la sexualité ne fait pas débat sont celles pour qui elle n’a pas de conséquences – ni grossesses, ni viols, ni tabassages dans la rue, ni humiliations au boulot, ni rejet familial, ni administrations sourdes. En toute logique, ces bienheureux revendiquent le droit de voir perdurer cette délicieuse inconséquence. Pour le dire clairement : le droit à l’irresponsabilité. Car par définition, les innocents ne sont coupables de rien : selon le dictionnaire, ils ne font par nature aucun mal à autrui. Cette stratégie du bon élève distrait est constamment utilisée comme défense : je ne savais pas/ce n’est pas ma faute/ce n’est pas une faute.

Encore aujourd’hui, certains hommes prétendent qu’une accusation de harcèlement sexuel peut surgir de n’importe où, de manière totalement arbitraire. Comme si on pouvait harceler sans faire exprès. Comme si la définition même du harcèlement ne consistait pas à répéter une transgression (ne pas faire exprès, mais plein de fois d’affilée : une étonnante coïncidence, non ?).

Parler d’innocence, c’est aussi s’approprier un mot dénué de menace, évoquant l’enfance, les plaisirs bucoliques, le jardin d’Eden. C’est d’ailleurs la deuxième définition du mot dans le dictionnaire : « état de l’homme avant le péché originel ». Si la révélation du savoir constitue le péché originel, il est facile de rejeter la faute sur les victimes – ce sont elles qui commettent le crime. A ce titre, elles sont priées de maugréer ou de manifester en silence.

Cette innocence-là blesse : elle est une violence qui tait son nom. Elle n’appartient d’ailleurs pas à la douce passivité qu’on lui associe spontanément : refuser d’entendre, faire taire sont au contraire des positions actives. Dans le cas qui nous intéresse, l’innocence aura consisté à obstinément regarder ailleurs : innocence, ou indifférence – déni, lâcheté ? Je veux bien (enfin, dans un monde dénué d’empathie) qu’on préfère s’accrocher à un âge d’or originel (celui des années 1950, 1968 ou 1990, choisissez votre passé préféré, on a tous les parfums). Mais dans ce cas-là, merci d’admettre que l’âge d’or avait quelques ratés.

L’émergence de plusieurs discours sexuels

Ceux qui revendiquent les bienfaits de l’ignorance le font, paradoxalement, en connaissance de cause : parce qu’ils savent précisément ce qu’ils ont à y perdre. Leur demande d’innocence ne concerne d’ailleurs que le discours de subversion de l’ordre sexuel. La parole masculine hétérosexuelle monogame grivoise (qui n’a pas eu besoin de se libérer cette année, tiens donc) n’est jamais remise en cause : ce n’est pas le discours sexuel qui pose problème (la sexualité fait partie du vivre-ensemble le plus élémentaire), c’est l’émergence de plusieurs discours sexuels, qui demandent la prise en compte d’autres consentements, d’autres dignités. A ce titre, l’argument du « respect de la vie privée » relève d’une hypocrisie à se rouler sous la table : la vie sexuelle mâle conventionnelle est archi-publique depuis une éternité.

En somme, colmater ses oreilles avec des petits fours quand les « autres » prennent la parole nous propulse surtout vers l’âge de pierre (qui pave mieux les routes de l’enfer que du paradis). Je ressors mon dictionnaire, définition numéro trois d’« innocence » : « état de celui qui ne se rend pas compte des choses, qui manifeste une trop grande ignorance des réalités ». Ne pas se rendre compte, pour ne pas rendre de comptes ?

Si je peux me permettre quelques souhaits de fin année (c’est de saison) : en 2019, préférons la parole au silence, la bête à deux dos plutôt que la bêtise. Espérons que ces discours riches, stimulants, exaspérants, nous permettront de continuer à faire lumière sur nos différences, nos bizarreries, nos frustrations. Posons plein de questions, n’oublions pas d’écouter les réponses. Fiat lux !

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16 décembre 2018

Sexe et culpabilité : c’est bon la honte !

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Entre les attentes d’une sexualité hyperbolique et le puritanisme, nous sommes nombreux à avoir besoin d’un coming-out intime. Si la honte permet de réguler les comportements et de parfois nous protéger, pas question de la laisser se transformer en dégoût de soi, nous explique Maïa Mazaurette, chroniqueuse sexe de La Matinale du « Monde ».

« Tu n’as pas honte ? » Pour beaucoup d’entre nous, cette phrase a sanctionné les premières expériences sexuelles. La honte devient alors une compagne de route protéiforme : mépris de son corps, culpabilité face au plaisir, peur d’en demander trop, autoflagellation parce qu’on ne devrait pas vouloir « ça ».

Quand cette petite voix intérieure se fait entendre, elle nous dénie jusqu’aux aspirations les plus légitimes : l’acceptation, la confiance, le soulagement, la jouissance, la petite fantaisie. Un jugement d’autant plus sévère que, s’il fallait se contenter d’une sexualité « homologuée », il ne resterait pas grand-chose au programme : le sexe à la chemise bien repassée se réduit à une gymnastique austère, minimaliste, pratiquée avec un seul partenaire, dans un seul rôle, dans un seul orifice, à certaines heures, sans tricher (sachant que même le lubrifiant ou les mains relèvent de la triche).

Il faudrait non seulement obtenir des résultats extraordinaires par des performances inhumaines, mais y arriver en s’infligeant toutes les limitations imaginables : ça commence mal, et surtout, ça n’a pas de fin. Soumettre notre réalité intérieure à cet idéal n’est tout simplement pas raisonnable... mais quand la honte l’emporte, c’est la réalité qui plie.

Cette question de l’inconfort se voit le plus souvent ignorée sous prétexte que seuls les gays, les lesbiennes, les trans – bref les autres – devraient lutter pour « s’accepter ». Disons-le clairement : les hétérosexuels ont leurs propres placards. Entre les attentes d’une sexualité hyperbolique et le puritanisme, certains auraient bien besoin d’un coming-out intime, face au miroir : « Oui, j’ai le droit d’avoir envie qu’on m’attache au radiateur et qu’on me fouette avec des poireaux. »

Les pensées intrusives sont normales

La honte nous renvoie également à des débats très contemporains : le premier consentement n’est-il pas celui qu’on s’autorise envers soi-même ? Comment peut-on dire non quand il est impossible de dire oui ? Au jeu de l’autocensure, nous sommes piégés par le surmoi, la religion, les stéréotypes de genre, les prétendus impératifs de la nature, les mythes amoureux, la pornographie... n’en jetez plus.

Avec des conséquences bien réelles : des hommes sous pression, parfois incapables de vivre leurs désirs dans le cadre du couple, des femmes volontiers déresponsabilisées, chez qui la honte s’associe à un moindre désir sexuel (Archives of Sexual Behavior, mars 2010).

Comment faire pour aller de l’avant ? Tout d’abord, reconnaissez l’existence de cette petite voix qui prétend que vous ne méritez pas le plaisir : aucun être humain occidental du XXIe siècle ne peut échapper à sa culture – en l’occurrence, une culture de la honte (ces codes, heureusement, ne sont pas gravés dans le marbre). Les pensées intrusives sont normales, et qu’elles reviennent quand on essaie de les éloigner est aussi normal (mais pas fatal).

Pour commencer, sortez du flou artistique (en couchant vos angoisses sur papier, si ça aide) : votre honte est-elle latente ou précise ? Concerne-t-elle votre corps, vos pratiques, votre partenaire ? Vos attentes méritent-elles vraiment un tel embarras – vos désirs sont-ils immoraux, infâmes, abusifs ? Impliquent-ils du troussage de domestique, du vandalisme, des bébés chèvres ? J’en doute.

Un crime sans victime

Considérez votre situation de l’extérieur. Si un ami vous avouait son penchant pour les jeux d’urine ou un complexe concernant ses fesses, serait-ce si grave ? Vous feriez certainement preuve de bienveillance – surtout si le point d’accrochage concerne une pratique perçue comme ridicule. En l’occurrence, c’est à votre partenaire qu’il appartient de désirer vos fesses ou de partager ou non vos fantasmes. Et si votre honte concerne vos masturbations, rappelez-vous qu’il s’agit alors d’un crime sans victime.

Si votre culpabilité est d’ordre relationnelle, acceptez vos limites : vous n’avez pas à vous passer la rate au court-bouillon sous prétexte que vous êtes imparfait, épuisé, déprimé. Vous ne pouvez pas toujours tout gérer, satisfaire toutes les demandes, vous rendre systématiquement disponible et scintillant comme une licorne. Vous êtes un être humain, à qui on pardonnera ses élans d’égoïsme, ses bourrelets, et ses fiascos.

Ensuite, essayez de vous concentrer sur votre corps. La honte est une émotion si violente qu’elle peut brouiller les messages physiques que nous recevons. Si vous êtes adepte de méditation, vous pouvez utiliser les techniques de « body scan » : en vous analysant de l’intérieur, vous échappez au regard social. Commencez sans votre partenaire pour être tranquille, et si l’idée vous intéresse, tentez la masturbation en pleine conscience, en faisant des allers-retours entre votre sexe et d’autres parties de votre corps. Observez ce que vous ressentez, sans juger. En pleine action, recalez-vous toujours au présent, sans ressasser votre passé sexuel : chaque nouveau rapport rebat les cartes. La honte peut passer sur vous sans vous piéger pour autant.

Radar moral

Cette place laissée au corps permet de se raccrocher à une réalité anatomique débarrassée de son poids social. Freud trouve le plaisir anal immature ? Vous avez peur d’y perdre votre virilité, le respect de votre partenaire, ou que cette zone soit sale ? D’accord. Mais avant de plaquer toutes les stigmatisations du monde sur ce pauvre anus, il se trouve qu’il est érogène : ce n’est pas une question de morale. Nous naissons avec ce potentiel. Il échappe à votre responsabilité.

Vous pouvez bien sûr verbaliser votre inconfort : « péché » avoué, à moitié surmonté. Si votre partenaire ne vous semble pas être la bonne personne, il vous reste les psychologues et sexologues – et pour une option gratuite, Internet, ses forums et son merveilleux anonymat (je parie que votre motif de honte est partagé par des milliers de personnes au minimum). Dans un couple à bonne communication, la honte peut même s’inscrire dans des jeux sexuels : échanges d’aveux, scénarios de type confessionnal, repentance forcée et réprimandée dans le BDSM.

Enfin, rappelons que la honte n’est pas toujours mauvaise. Par son rôle de radar moral, elle permet de réguler les comportements (nous ne sommes pas esclaves de nos pulsions, nous possédons un droit de veto sur notre libido ou nos désirs destructeurs). Elle permet aussi de nous protéger : on peut être échaudé par des expériences passées, ne pas sentir prêt, se trouver moche ce soir...

Cependant, de la régulation à l’inhibition, de la honte sexuelle à la honte de soi, il n’y a qu’un pas – qui nous englue dans l’humiliation, le dégoût, les comportements à risque parfois. Or si la sexualité commence dès les premiers émois pour se prolonger jusque dans le grand âge, ces pincements au cœur vont durer une moyenne de soixante-dix ans. C’est trop long. Consolons donc dès maintenant cet enfant à qui on demandait d’avoir honte. Aujourd’hui, vous êtes adulte. Aujourd’hui, les permissions, vous les prenez !

30 octobre 2018

Sexo - Pourquoi, et par quoi, remplacer un pénis ?

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Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Face à une pornographie génératrice de complexes, recourir à des aides extérieures peut constituer une bonne alternative. Mais si le membre viril comme instrument pénétrant est remplaçable, il ne l’est pas comme instrument de plaisir, rappelle la chroniqueuse de « La Matinale », Maïa Mazaurette.

C’est une question qui fâche, mais qui devrait nous rassembler : remplacer les pénis, pour quoi faire ? Le corps humain doit-il toujours être transformé en marchandise, ou en l’occurrence, traité comme un objet ? S’agit-il de castrer les hommes pour satisfaire le lobby féministo-chirurgical ? Délaissons les théories du complot et soignons plutôt notre bonne humeur dominicale : disposer d’alternatives pour la pénétration pourrait paradoxalement sauver nos pénis sous pression. Car en ce moment, on leur en demande beaucoup.

L’omniprésence de la pornographie commerciale fait en effet croire que les pénis normaux (13 cm en érection) ne répondent pas aux critères contemporains de désirabilité (malheureusement, savoir que la pornographie est hyperbolique n’empêche pas d’en ressentir les effets – de même que les retouches publicitaires n’empêchent pas de développer des complexes). Nos attentes concernant les performances sont tout aussi irréalistes : selon l’enquête Zava de mai 2018, un Français sur deux surestime la durée du rapport sexuel (qui est de 5 minutes en moyenne).

Cette pression touche les micropénis autant que les gourdins, les malades (stress, déprime, effets secondaires médicamenteux) autant que les amants bien portants victimes de coups de mou bénins (fatigue, ivresse, routine). Car quand on a l’impression de ne pas « assurer », le cercle vicieux s’enclenche, provoquant des impuissances ou des éjaculations rapides. C’est la double peine ! Face à ces embarras, on a tendance à penser implants ou pilules. Mais des alternatives non-invasives – des pénis de remplacement, donc – peuvent constituer des filets de sécurité émotionnels et sexuels. Plutôt que se morfondre face à une mécanique constamment perçue comme défaillante, il faudrait pouvoir porter des godemichés comme on enfile une paire de lunettes.

Chemins de traverse

Les hommes ne sont bien sûr pas les seuls bénéficiaires de cette forme d’« aide à domicile ». Les femmes, les couples de femmes, les personnes trans, les masturbateurs comme vous et moi (surtout vous) sont concernés… tout comme les simples curieux et les explorateurs. Si les chemins de traverse nous donnent du plaisir, pourquoi se soumettrait-on toujours à l’anatomie ?

La première alternative qui vient à l’esprit, la plus proche du « vrai » pénis, c’est évidemment le gode-ceinture. Et si nous persistons à imaginer des harnachements de cuir et des protubérances agressives, il est temps de secouer les représentations, car la machine de guerre n’est pas la seule option. La marque WetForHer propose ainsi des petites culottes féminines, auxquelles les utilisatrices peuvent attacher des godemichés (de 85 à 125 euros le kit complet, existe aussi en version boxer).

Bien sûr, rien n’oblige à remplacer un pénis par son strict équivalent, ou par une excroissance qui se situerait au même endroit ! Les amants audacieux pourront jouer sur des pénis déplaçables, destinés à inventer de nouvelles positions : il existe des harnais « universels » permettant de se coller une verge sur le genou, sur la cuisse ou au milieu du front, comme nos amies les licornes. Avant d’en rire, considérez les possibilités offertes : avec un godemiché installé sur le menton, on peut combiner pénétration vaginale et cunnilingus. Absurde ? Pas pour le plaisir féminin !

Cependant, si le côté Frankenstein vous effraie, considérez plutôt les godemichés façon science-fiction, fixables sur des machines (les mécaniciens du dimanche adoreront construire la leur) ou sur son mobilier, en ajoutant tout bêtement des ventouses.

Du côté des godemichés sans harnais, les dernières limites de l’imagination tombent… D’où la nécessité de s’informer face à un choix pléthorique. Avez-vous envie d’un modèle réaliste, ludique, merveilleux ? Cette dernière question vaut qu’on remette en cause les représentations traditionnelles : vous trouverez dans le commerce des reproductions de pénis d’animaux (nos amies les bêtes apprécieront qu’on les laisse tranquilles) ou de créatures fantastiques (c’est la spécialité de la marque Bad Dragon, qui existe depuis déjà dix ans). On peut également se tourner vers des godemichés « aspirationnels » qui serviront uniquement d’objet de fantasme (je doute que quiconque arrive à insérer les 90 centimètres du modèle Moby ailleurs que dans son imagination).

Découpler pénis et virilité

Puisque nous parlons de format, ne négligeons pas un des intérêts essentiels du pénis artificiel : sa taille… mais sans aller forcément vers l’élargissement. Car en l’absence de terminaisons nerveuses sur votre dildo préféré, vous ne saurez pas toujours si vous faites mal, ou au contraire, si votre partenaire a un orgasme. Il faut donc redoubler d’attention… ou commencer en utilisant les substituts les moins chers du marché : les doigts (et par extension, les mains). Côté précision et mobilité, on n’a pas encore trouvé mieux. Cependant, les adeptes du silicone pourront aussi se tourner vers les petits godemichés flexibles, bien plus supportables et bien moins intimidants pour une pénétration anale.

Enfin, grâce aux modèles à double embout, en verre, métal ou bois, aux variations vibrantes, parlantes, gonflables, phosphorescentes, connectées, waterproof, d’autres modes d’intromission deviennent possibles, qui nous éloignent du côté glauque souvent associé aux godemichés ultraréalistes. Chacune de ces spécificités questionne nos habitudes : finalement, la pénétration, c’est quoi ? Sur qui s’opère-t-elle, à quelles fins, dans quelles positions ? Pourquoi la production culturelle s’acharne-t-elle à nous présenter comme alternatives des concombres ou des manches à balais ?

Le fait est que nous restons attachés à l’intégrité du corps masculin dans toutes ses dimensions… et tant mieux. Car si le pénis comme instrument pénétrant est remplaçable, il ne l’est absolument pas comme instrument de plaisir (le jour où les concombres auront des orgasmes, faites-moi signe). A ce titre, le membre viril ne risque pas de finir aux oubliettes ! On rappellera d’ailleurs aux réticents que ça n’était pas « mieux avant » : le plus vieux godemiché a été retrouvé en Allemagne, et daterait d’il y a 30 000 ans. De la Grèce antique à Shakespeare, de la Chine du XVe siècle au Zanzibar du XIXe siècle, nous avons toujours eu des alternatives. Manifestement, ça ne nous a jamais empêché de reproduire l’espèce.

Pas de panique morale, donc : découpler le pénis de la virilité ne remet pas plus en cause la virilité que découpler les performances de la jouissance ne remet en cause notre humanité. On pourrait même arguer du contraire. Se prendre pendant quelques minutes pour un amant infatigable, rêver d’être un dieu ou un esclave, fantasmer un corps différent et des plaisirs infinis… qu’y a-t-il finalement de plus humain ?

18 octobre 2018

Ce que révèle la fascination pour les sexualités « exotiques »

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

On l’a vu avec #meetoo, le désir n’est pas toujours un compliment. L’heure est aujourd’hui aussi à la dénonciation des stéréotypes (étalon noir, Chinois raffiné…). Un imaginaire raciste qui raconte, selon notre chroniqueuse Maïa Mazaurette, la tragique absence de culture sexuelle européenne. Mais il n’est jamais trop tard pour changer.

A l’époque où j’ai grandi, l’érotisation des corps « exotiques » ne se questionnait même pas : j’avais le choix entre le sensuel Amant chinois de Duras, les lycéens japonais des mangas, les beaux Indiens des westerns, la musique de Prince, les pectoraux de Sayid dans « Lost », les mots troublants de Césaire au programme du bac : « Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds, mais les fesses, mais les sexes, et la créature tout entière qui se liquéfie en sons, voix et rythme »…

Les Blancs non seulement clamaient leur attirance pour les non-Blancs, mais souhaitaient les épingler à leur tableau de chasse sexuel (une fascinante version humaine du safari). Il fallait avoir « essayé » un Noir comme on essaierait un chemisier ou la tarte flambée. L’angélisme des générations antérieures, passées parfois par les colonies, était encore plus flagrant (« ces gens sont formidables »). Indifférents à leur propre couleur, les Occidentaux réduisaient ces partenaires sexuels à leur peau… et demandaient, en plus, qu’on leur donne des médailles du mérite. Etre antiraciste, c’était ça.

En 2018, cette vision unilatérale du monde, ces bons sentiments, ne sont plus acceptables. On l’a vu avec le mouvement #metoo : le désir n’est pas toujours un compliment. Il peut même être un mauvais traitement.

En l’occurrence, les personnes racisées en ont ras-le-bol de la fascination des Blancs qui les assigne à des stéréotypes : l’étalon noir et sa tigresse, le Chinois raffiné, le Japonais pervers, les Maghrébins chauds comme la braise, les femmes asiatiques forcément soumises… Cette exaspération s’exprime sur Twitter (#jenesuispastanegresse, #misogynoir), dans des livres (La Légende du sexe surdimensionné des Noirs, par Serge Bilé), dans des podcasts comme le Tchip sur Arteradio ou Code Switch sur NPR). Cette lassitude se heurte à la confusion des antiracistes d’hier : peut-on être un mauvais allié quand on couche hors-sol ? Très manifestement, oui.

Hiérarchie du désir

D’ailleurs, ce désir se traduit-il réellement dans les faits ? En 2014, le site de rencontres OkCupid révélait que les femmes noires et les hommes asiatiques avaient beaucoup moins de succès que les autres (ils recevaient 15 % ou 20 % moins de messages), tandis que les hommes blancs et les femmes asiatiques étaient particulièrement recherchés. Ces chiffres ont été confirmés par l’analyse de données Facebook de 2013. Cette hiérarchie du désir se traduit dans les unions : en France, 14 % des mariages sont mixtes (Ined, 2015), dont un quart implique deux partenaires européens. Traduction : neuf fois sur dix, on finit par se caser dans sa propre « couleur ». La fétichisation des minorités se double donc d’un maintien des distances de « sécurité » qui rappelle les mots de Freud : « Là, où ils aiment, ils ne désirent pas et là où ils désirent, ils ne peuvent aimer. »

On objectera qu’il est naturel d’avoir des préférences, ou d’avoir un type. Sauf que le regard se forme culturellement, et peut en conséquence être déconstruit, reconstruit et augmenté. Le fait de reconnaître plus facilement les visages des personnes appartenant à sa propre ethnie s’appelle le cross-race effect. Ce biais cognitif influe sur nos capacités à individualiser les minorités, à comprendre leurs émotions et in fine, à les désirer. L’histoire ne s’arrête heureusement pas là. En s’exposant à d’autres visages, on apprend à les intégrer à son univers mental. Les préférences peuvent donc être questionnées : nous n’en sommes pas victimes.

La fascination occidentale s’exporte en outre dans le domaine de pratiques sexuelles spécifiques : le bondage au Japon, le twerking des filles des cités qui savent bouger des fesses (comme chacun sait), le kunyaza du Rwanda, le Kamasutra et le tantra de l’Inde, les harems des Arabes, l’innocence des Indo-Américains…

Autant de projections qui alimentent l’essai Sexe, race & colonies, paru en septembre aux éditions La Découverte sous la direction de Pascal Blanchard – et dont les choix esthétiques (1 200 illustrations) ont fait débat (montrer ou ne pas montrer ?). On peut y lire : « Le corps de l’“Autre” est pensé simultanément comme symbole d’innocence et de dépravations multiples : un corps qui excite autant qu’il effraie. Dans ce contexte, les femmes “indigènes” sont ainsi revêtues d’une innocence sexuelle qui les conduit avec constance au “péché” ou à une “dépravation sexuelle atavique” liée à leur “race” : tout ceci confortant la position conquérante et dominante et du maître et du colonisateur. »

Le point de vue du colonisateur

Position conquérante ? Certainement. Position dominante ? Pas de manière unilatérale, d’autant que le temps des colonies est passé, en transformant les codes de la performance ou de la beauté : la pornographie vante les prouesses des Noirs, la pop culture tombe sous le charme de la minceur et la lisseté « naturelles » des Asiatiques. Car l’étrange contrepoint de ces clichés, c’est qu’« ils » (les Noirs, les Arabes, les « autres ») sont mieux membrés que les Blancs, plus musclés, plus performants, et qu’« elles » sont plus fermes que les Blanches, plus douces, meilleures coucheuses, plus soumises, moins soumises. (Le point de vue adopté est celui du colonisateur : les vainqueurs écrivent l’histoire, ils écrivent aussi le désir.)

Outre cette persistante tendance à imaginer que l’herbe soit plus verte dans le champ (de coton) du voisin, cette idéalisation en dit long sur les angles morts de la blanchité. Elle projette en effet, en creux, le reflet inversé d’un quotidien perçu comme médiocre : une sexualité trop ennuyeuse, trop réprimée, des corps trop couverts, des voyeurismes impossibles, des fétichismes inassumables, des vierges pas assez vierges, des homosexualités, bisexualités ou transexualités trop difficiles à vivre…

Cet imaginaire raciste renvoie à une tragique absence de culture sexuelle européenne : sous les stéréotypes, le roi est nu. Car du côté de l’héritage érotique occidental… ce n’est pas exactement Byzance. Les compétences « de souche » se réduisent de prime abord au missionnaire, au tout-pornographique et à la honte. La grande invention restera la ceinture de chasteté (bon, d’accord, et le vibrateur).

Cette admiration pour les corps et sexualités « exotiques » enferme en outre les Blancs dans le rôle de novices impuissants, d’amants essentiellement incapables, attendant d’être initiés par un sombre inconnu. Quitte à se délester de tout sens de l’initiative. Quitte à créer une nouvelle charge pour les racisés : celle d’alimenter les fantasmes et la formation sexuelle de la classe dominante (sans oublier de remercier les Blancs de leur généreux intérêt). Cette déresponsabilisation est une lâcheté et une paresse : rien n’empêche aux Occidentaux d’apprendre par eux-mêmes de nouvelles formes d’érotisme et de nouvelles pratiques.

On ne peut pas réduire les minorités à leur peau sans se réduire soi-même : sortir des stéréotypes anciens ou contemporains, c’est augmenter le champ de tous les possibles. Si le sexe est politique, comment ne pas s’enthousiasmer pour ce programme-ci ?

16 juillet 2018

La Yellow Fever n’est rien d’autre qu’un fétichisme raciste

Des femmes asiatiques racontent ce que ça fait d’être désirées uniquement en raison de sa couleur de peau – et des clichés qu’elle continue de véhiculer.

On oublie rarement son premier amant. Le deuxième non plus – surtout quand il s'avère être un fétichiste. « J'avais seize ans quand je l’ai rencontré », raconte Linh-Lan Dao, 30 ans. Encore inexpérimentée, celle qui est aujourd'hui journaliste à France Info, ne s'inquiète pas quand une amie les présente. « Il lui avait demandé si elle connaissait des filles asiatiques. Ça aurait dû m'alerter », confie-t-elle avant de raconter. « Dans sa chambre, il y avait un énorme poster de Marjolaine Bui [une obscure candidate de télé réalité, ndlr]. Je crois que je me suis rendu compte qu'il avait un problème avec les Asiat’ quand il m'a fait essayer une paire de lunettes…les mêmes que Marjolaine ».

C’est un fait : bon nombre d’hommes ont une fascination sexuelle pour les femmes asiatiques. Aux Etats-Unis, le phénomène a pris une telle ampleur qu’on lui a même donné un nom : la Yellow Fever – ou Fièvre Jaune. Et très clairement, le concept désigne un « fétiche raciste », pour reprendre l’expression de la philosophe Robin Zhen, professeur associée à l’université de Yale, et auteur d’une étude au titre éloquent : Pourquoi la Yellow Fever n'est pas flatteuse: un argumentaire contre les fétiches raciaux. Elle précise : « Même si cela ne concerne pas uniquement les hommes blancs, c’est généralement ce que les gens ont en tête quand ils utilisent ce terme pour désigner un phénomène social ».

« Quand un mec me dit qu’il adore les femmes asiatiques, j’entends qu’on est interchangeables. Mais je ne suis pas un putain de vase Ming ! » - Grace Ly, militante asian-féministe

Et cela pèse lourdement sur le quotidien des concernées. « Dès que tu rencontres un nouveau copain, tu vérifies forcément qu’il n’était pas avec une Asiat’ avant, confie Grace Ly, 38 ans, blogueuse et militante asian-féministe, dont le premier livre, Jeune Fille Modèle, sortira à la rentrée aux éditions Fayard. Même chose pour Linh-Lan, qui a elle aussi développé son « radar à relou ». Premier indice : « Un mec qui me dit qu’il adore l’Asie, ça sent vraiment pas bon… ».

« La Yellow Fever impose un fardeau psychologique aux femmes asiatiques, pointe Robin Zheng. D’abord, elles se sentent homogénéisées. Mais aussi différenciées, c'est-à-dire séparées et maintenues à un niveau différent de celui des femmes blanches. Cela les amène à douter que leurs partenaires s'intéressent à elles pour ce qu'elles sont en tant qu'individus ». Aujourd’hui en couple, Grace Ly garde de mauvais souvenirs de ceux qui la désiraient uniquement pour ses origines : « Quand un mec me dit qu’il adore les femmes asiatiques, j’entends qu’on est interchangeables. Mais je ne suis pas un putain de vase Ming ! ».

Douces, soumises, douées au lit… Autant de clichés qui nourrissent cette Yellow Fever : « C’est comme ces mecs blancs européens qui vont chercher des petites femmes en Asie parce qu’ils pensent qu’elles sont bien obéissantes ! », peste Linh-Lan Dao. Elle-même fait régulièrement les frais de ce fantasme : en reportage ou au bureau, des hommes trouvent régulièrement pertinent de lui préciser qu’ils n’ont jamais couché avec une asiatique…

A l’origine de la websérie Ça reste entre nous, qui donne la parole aux Asiatiques de France, Grace Ly rencontre régulièrement son public lors de projections. Pour elle, les jeunes femmes asiatiques payent aussi les normes de beauté européennes construites sur la blanchité. « En France, quand on est d’origine asiatique, on grandit dans l’idée que l’on n’est pas vraiment jolie », avance la militante qui poursuit : « Donc, dès qu’un mec vient et te dit que tu es la plus belle, tu as un peu tendance à laisser faire les premières fois. Tu te sens comme "validée". Et quand t’as faim… tu manges ! ».

« C’est comme ces mecs blancs européens qui vont chercher des petites femmes en Asie parce qu’ils pensent qu’elles sont bien obéissantes » - Linh-Lan Dao, journaliste

Cette hypersexualisation des femmes asiatiques est avant tout une question de représentation. De nombreux films consacrés au Japon des Geisha ou mettant en scène la guerre du Vietnam, relèguent les femmes au rang d'objets sexuels. Sans parler des mangas mainstreams où être une femme se résume souvent à un profond décolleté. « Historiquement, de nombreux facteurs associent les femmes asiatiques au sexe, développe Robin Zhen. Aux XVIII et XIXe siècle, le continent asiatique était présenté dans la culture populaire comme un territoire exotique, mystique…et sensuel. Au XXe siècle, la colonisation et l’occupation militaire sont venus renforcer ces stéréotypes ».

Les femmes asiatiques font souvent les frais d’un autre cliché, un cliché raciste, véhiculé par des décennies de colonisations et amplifié par les récits fait de la guerre du Vietnam : elles seraient des prostituées. « Une fois, illustre ainsi Grace Ly, j’étais dans un bar avec un pote. Un mec est arrivé et lui a demandé, avec ce regard de pote de vestiaire, combien il avait payé pour être avec moi ».

Longtemps tues, ces discriminations sont désormais mises en avant par une nouvelle génération de jeunes femmes asiatiques. Qu’elles militent au sein du Collectif Asiatique Décolonial, ou qu’elles se contentent d’en parler entre amis, elles refusent d’être réduites à leurs origines. Et tiennent, désormais, à le faire savoir.

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16 juillet 2018

Pas de sexe, merci : les nouveaux rapports platoniques

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

A l’heure où les relations amoureuses balancent entre réel et virtuel, Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale », nous invite à reconsidérer le périmètre de nos sexualités. Et d’y inclure ces pratiques ou pensées platoniques zèbrant nos quotidiens.

A en croire les oiseaux de mauvais augure, nous serions toutes et tous devenus des obsédés sexuels, errant dans une société sur-sexuée, condamnés à ne penser qu’à « ça ». Très bien. Mais pendant que nous rejouons le mur des lamentations, les relations platoniques non seulement subsistent, mais prolifèrent, sous des formes anciennes et modernes.

La première population concernée est évidemment celle des asexuels : dans cette catégorie, qui rassemblerait tout de même 1 % des Français, on ne ressent jamais de désir envers quiconque. Ce qui ne signifie pas qu’on n’ait pas envie de belles histoires d’amour (dans le cas contraire, on serait aromantique), ou qu’on ne connaisse aucune libido (les asexuels ont droit à la masturbation comme tout le monde). Les asexuels ont leurs sites de rencontre, leurs relations, leurs trajectoires… mais platoniques. C’est donc non seulement possible, mais plus acceptable que par le passé.

Viennent ensuite les couples non-asexuels ayant glissé sur la peau de banane du long-terme. Il existe des mariages sans sexe, parmi lesquels on peut inclure les mariages « presque » sans sexe : les chiffres varient selon les études, mais tournent autour de 15 % à 20 % d’unions concernées. Cette situation est rarement volontaire. On évoque l’ennui, la lassitude, la mauvaise entente, les dysfonctions éventuellement liées à l’âge, la maladie, les médicaments… Ou le report de l’intérêt pour le sexe sur des partenaires extraconjugaux.

Platonisme sur la durée ou pour un temps

D’autres choisissent de jeter l’éponge pour des raisons personnelles, pragmatiques, religieuses. Parce que ça ne les intéresse pas, ou plus, ou pas pour le moment. La plupart des groupes passeront par des étapes platoniques autour des périodes de grossesse, et s’en remettront (pire encore, ils se reproduiront !). Sans même parler des moments de séparation, plus ou moins prolongés, ponctués de rapports intermédiaires mi-virtuels mi-réels, allant du sexto érotique à l’amour via webcam.

A cela, nous devons également ajouter les amours logistiquement irréalisables. Selon une récente étude Zava sur les « parcours sexuels » 62 % des sondés ont connu leurs premiers émois en fantasmant sur un acteur ou une actrice, tandis que 9 % ont fondu pour un personnage de dessin animé. Ce dont on pourrait déduire que sauf énorme coup de chance lors du Festival de Cannes, nous commençons quasiment tous notre vie érotique via des relations platoniques – chanteurs, athlètes, profs, héros de romans, mannequins.

La tendance ne risque pas de ralentir, puisqu’à l’ère des fanfictions, nous pouvons nous plonger dans ces amours sur la durée ! Et via les jeux de rôles, nous pouvons nous-mêmes devenir d’inaccessibles objets du désir, pour mieux jouir du haut de notre piédestal.

Pas question d’en rester aux premiers soupirs ? D’accord. Parmi les rapports platoniques non seulement choisis mais préférés, citons les rapports BDSM sans pénétrations ni contacts, les flirts, les coups de cœur sans lendemain, ou les aventures impossibles dans le milieu professionnel. La frustration peut alors se transformer en alliée, qui pimente le couple sans le menacer.

L’« orbiting », ou le désir mis sur orbite

Certaines relations sont d’ailleurs vouées à l’évitement d’une sexualité charnelle, et de manière assumée. C’est le cas des infidélités émotionnelles. On expliquera ainsi certaines statistiques du site de rencontres extraconjugales Gleeden : quatre femmes sur dix se contentent volontiers de relations virtuelles pour briser leur routine (mais seulement 14 % des hommes). Une sur quatre ne compte absolument pas passer à l’acte. Et une sur cinq s’est inscrite seulement pour discuter.

Ce retour en grâce des relations distanciées télescope la pratique de l’« orbiting », un néologisme décrivant la mise en orbite de la personne désirée dont on suit virtuellement les tribulations, en se faisant remarquer comme spectateur ou en la suivant sur les réseaux sociaux. Mais sans jamais passer au contact réel.

Les relations platoniques peuvent aussi être choisies par arrogance ou par ennui. Selon une étude Yougov/Happn, 39 % des Français draguent pour le plaisir, ou pour jouer. Et 6 % considèrent la séduction comme un loisir (en attendant le championnat du monde ?). Une personne sur cinq flirte volontiers pour tester son pouvoir d’attraction, et une personne sur dix pour flatter son ego. Toujours selon cette enquête, 22 % d’entre nous seraient même capables de draguer une personne qui ne leur plaît pas !

Ce mélange des genres se retrouve dans les rapports purement amicaux entre hommes et femmes : au royaume des relations désintéressées, les zones de trouble affleurent. Les hommes, d’ailleurs, ont plus tendance à être attirés par leurs amies femmes, que les femmes par leurs amis hommes.

Enfin, une part croissante de nos vies sentimentales ou sexuelles esquive le face-à-face : non seulement nous trouvons nos amants en ligne, mais même quand nous les rencontrons à des soirées, nous les recontactons d’abord virtuellement – du coup, nous commençons à flirter bien avant le premier rendez-vous officiel.

Quand virtuel et réel se confondent

Selon une étude portant sur 1 500 célibataires britanniques, la moitié des sondés n’ont jamais demandé de rendez-vous de visu, de même que la moitié n’ont jamais quitté quelqu’un « en direct » ! Cet évitement des rapports IRL (« in real life ») provoque un glissement de ce que nous appelons un rapport platonique.

Ainsi, la moitié des étudiants américains estiment que « s’attacher émotionnellement » à quelqu’un relève de l’infidélité, de même que s’asseoir sur ses genoux. Pour plus d’un tiers, se raconter des secrets, c’est déjà tromper !

A ce titre, de même que nous abandonnons progressivement les concepts de réel et virtuel, il sera bientôt absurde de séparer relations platoniques et relations charnelles – les deux s’interpénètrent volontiers. Si une femme se masturbe avec une courgette bio en pensant à son comptable, est-ce vraiment virtuel ? Bof.

Par ailleurs, en réincorporant dans le champ du désir « légitime » toutes ces sexualités parallèles, on limiterait les frustrations. Plus nous incorporons de possibilités platoniques à notre perception de la sexualité, plus nous étendons notre terrain de jeu : nous sortons d’une vision limitante et étroite de ce qui constitue un acte sexuel, pour y intégrer plus de fluidité… et plus de partenaires. Le platonique et l’érotique font l’amour, pas la guerre !

16 juin 2018

L’appel « solennel » des professionnels de santé contre les dangers de la pornographie chez les jeunes

Par Gaëlle Dupont - Le Monde

Des professionnels de santé interpellent les pouvoirs publics sur la surexposition des mineurs aux films X.

L’appel se veut « solennel ». Plusieurs professionnels de santé, dont le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, Israël Nisand, qui s’exprime au nom de cette institution, ont interpellé les pouvoirs publics, vendredi 15 juin, sur les dangers de l’exposition à la pornographie pour les enfants et les adolescents. « Nous demandons simplement le respect de la loi qui interdit la pornographie aux moins de 18 ans, résume le professeur Nisand. Aujourd’hui, c’est le business qui prime. Les fournisseurs d’accès ne peuvent pas, sous prétexte de la liberté du Net, s’affranchir de la protection des mineurs. »

C’est la première fois que des professionnels de santé s’inquiètent publiquement de l’accès de plus en plus banalisé aux images pornographiques chez les jeunes. Les films, gratuits et accessibles en un clic, sont visionnés principalement par le biais des smartphones, qui échappent aux regards des parents. La rencontre avec des images pornographiques peut se produire dès le plus jeune âge, dans la cour de récréation du primaire, parfois de façon non souhaitée, lorsqu’un enfant les met sous les yeux d’un autre, ou qu’une fenêtre intempestive s’affiche.

Selon un sondage Opinionway pour 20 Minutes publié en avril, 62 % des jeunes adultes déclaraient avoir vu leurs premières images porno avant 15 ans, dont 11 % avant l’âge de 11 ans. Une exposition que les parents ont tendance à sous-estimer. Une étude Ipsos sur les addictions, rendue publique vendredi 8 juin par la Fondation pour l’innovation politique, relance l’inquiétude.

Un cinquième (21 %) des jeunes de 14 à 24 ans interrogés regarde au moins une fois par semaine du porno. Surtout, 9 % des 14-17 ans regardent ces images une ou plusieurs fois par jour. « Un jeune sur dix, c’est un chiffre élevé, surtout pour cet âge, commente Victor Delage, chargé des études à la Fondapol. L’enquête met en évidence un phénomène de poly­addictions. Ceux qui consomment beaucoup de porno passent aussi beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et sur les jeux vidéo. Cela peut avoir des conséquences sur leurs résultats scolaires et générer un isolement social. »

Modèle à atteindre

Le psychiatre Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, participe à l’initiative. « Je vois de plus en plus de jeunes qui s’enferment dans un huis clos avec les images pornographiques, relate-t-il. Le schéma est le même que dans les autres addictions. L’excitation monte, retombe, remonte, etc. Cela ne relève plus du désir mais du besoin. » Les conséquences ? « La vision répétitive de ces images devient inhibitrice, poursuit-il. Elle remplace la vie sexuelle. Les jeunes concernés reculent devant un apprentissage de la sexualité plus progressif et délicat où l’on vainc l’inhibition à deux. »

Cependant, il s’agit d’une minorité. « Tous les jeunes ne sont pas en danger, tempère le médecin. Beaucoup prennent leur distance face à ces images. Mais ceux qui sont mal dans leur peau vont s’en emparer. » Le psychiatre a surtout été confronté à des garçons dans ce cas. La gynécologue Ghada Hatem voit de son côté surtout des jeunes filles à la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), une structure consacrée à la prise en charge des victimes de violences, où se déroulent également les consultations du Planning familial.

« Nous voyons beaucoup d’adolescentes qui ne connaissent pas leur corps, en situation d’emprise, à qui leurs petits amis font faire des choses avec lesquelles elles ne sont pas d’accord, relate-t-elle. Des façons de faire l’amour, avec des objets, à plusieurs, en pratiquant la sodomie. Ce sont des pratiques banalisées par la pornographie. »

Au cours des séances d’éducation à la sexualité qu’elle anime en Seine-Saint-Denis, Ghada Hatem a constaté un accès généralisé de ces films. « Il devient impossible d’y échapper, résume-t-elle. C’est devenu le modèle dominant. » Or, elles véhiculent une image « dégradante » des femmes, et très stéréotypée de la sexualité. Les sexes des femmes sont intégralement épilés, ceux des hommes surdimensionnés et constamment en érection, l’ordre des actions est toujours le même, les gestes souvent brutaux, les femmes toujours soumises, etc.

« Que les adultes les utilisent ne pose pas de problème, affirme Israël Nisand. Mais les jeunes n’ont pas l’appareil critique nécessaire pour se défendre. Comment construire sa propre sexualité, ses propres fantasmes, avec de telles représentations ? »

« Problème de cohérence »

Une étude qualitative menée par la chercheuse Sophie Jehel, publiée en octobre 2017, a mis en évidence une grande diversité de réactions parmi la centaine d’adolescents rencontrés. Certains (surtout des garçons) les considéraient comme un modèle à atteindre. Les filles étaient plus nombreuses à tenir un discours distancié. Une partie des jeunes, en particulier ceux qui se réclamaient d’une religion, manifestaient un rejet très fort et refusaient d’en parler. Le fait d’avoir été tenu à distance de ces images pendant l’enfance, et la qualité du dialogue au sein de la famille favorisent leur mise à distance, conclut l’auteure.

L’impact du visionnage de pornographie sur les violences faites aux femmes, qui existaient bien avant sa diffusion à grande échelle, fait débat. Quoi qu’il en soit, les films pornos sont fortement imprégnés de sexisme, selon leurs détracteurs. « On se battrait pour que les femmes ne soient pas harcelées dans la rue, tout en laissant ces vidéos en libre accès à des enfants ?, interroge M. Nisand. Il y a un problème de cohérence. »

Un groupe de travail est en cours au ministère de la santé afin de rendre effective l’interdiction des sites aux moins de 18 ans. Ces professionnels de santé demandent, par exemple, qu’une preuve de majorité soit exigée avant de pouvoir accéder aux images diffusées sur les sites pornos. Ils réclament également la mise en œuvre des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité prévues au collège et au lycée. « C’est capital, affirme Ghada Hatem. Il faut libérer la parole, rappeler que le porno, c’est du cinéma, donner un autre modèle, un sens critique. »

28 mai 2018

Hétéro, cisgenre et monogame : un label dépassé ?

Le sexe traditionnel et ses pratiques peu originales ne font plus rêver les jeunes. Renoncer à la pénétration vaginale obligatoire peut mettre sur la voie d’une sexualité moins répétitive, estime Maïa Mazaurette, la chroniqueuse de « La Matinale du Monde ».

LE SEXE SELON MAÏA

Qui veut encore être « normal » ? Pas les jeunes. Selon une étude américaine, 20 % des millennials (18-34 ans) se définissent comme LGBTQ (GLAAD, 2017). Même son de cloche en Angleterre, où 43 % des 18-24 ans se voient comme non strictement hétérosexuels (Yougov, 2015). Rangeons notre scepticisme : cette évolution ne provient pas d’un sursaut hormonal ou d’une mode (combien de temps allons-nous utiliser l’argument « mode » dès qu’un changement sociétal nous déplaît ?). Il ne s’agit même pas forcément d’une contestation solide des normes. Objectivement, le label hétéro cisgenre monogame ne fait plus rêver. Trop rigide, trop hiératique ! Ses pratiques sexuelles notamment perdent leur pouvoir d’adhésion. Alors, le temps de l’autocritique est-il venu ? Certainement.

Il n’est pas inexact que la sexualité « tradi » a des ratés : culpabilisation (des femmes en particulier), goût du secret, attraction/répulsion envers les organes génitaux… et une amplitude des pratiques réduite comme peau de chagrin. Le script psychosexuel « normal » ne connaît que cinq pratiques : baisers, caresses, fellation, cunnilingus, pénétration vaginale (déclinée en quatre positions populaires : missionnaire, levrette, amazone, petites cuillères). Tout le reste est du domaine de l’exceptionnel (un massage érotique pour la Saint-Valentin) ou du soupçon (pénétrations anales sur les hommes ou les femmes, jeux de rôles, costumes, utilisation de substances ou d’accessoires, fist-fucking, BDSM, tantra, nipple play, masturbations prises au sérieux, la liste est plus épaisse qu’une baguette tradition).

Non seulement cette sexualité « normale » se focalise sur le génital, mais elle est terriblement arrogante. Ainsi entendons-nous régulièrement des personnes se ravir d’un érotisme consistant à mettre des excroissances dans des orifices, et qui vantent les mérites de la libération sexuelle. Le ridicule ne tue pas : on a découplé la sexualité de l’intention reproductrice, tout en gardant comme incontestable Graal l’unique pratique permettant de se reproduire (sous vos applaudissements).

Encore aujourd’hui, la pénétration vaginale règne en maîtresse incontestée, et pas toujours commode, sur nos vies sexuelles. Elle marque chaque étape importante de notre trajectoire, de la défloration à la nuit de noces, de la validation d’une aventure (« on l’a fait ») aux orgies libertines (« on l’a fait, mais à plein »), du discours amoureux (« après les préliminaires, on l’a fait ») à la première débandade (« je n’ai pas pu le faire »). Nous voici face à l’exact même acte, répété sur une vie entière, avec tous les partenaires – un intérêt monomaniaque pour une pratique qui en outre, n’est pas particulièrement efficace (un tiers des femmes n’ont habituellement pas d’orgasme, contre 5 % des hommes – et chez les femmes qui en ont, l’adjonction d’une stimulation manuelle et/ou d’un cunnilingus est la meilleure manière d’obtenir une jouissance).

Sexualité format timbre-poste

Côté désir, ça ne va pas vraiment mieux, puisque l’imaginaire hétérosexuel oublie d’érotiser la moitié de la population. Le corps des hommes ? Quel corps des hommes ? A ma gauche, les tenants d’une vision à œillères (« les femmes sont naturellement plus désirables »). A ma droite, les fatalistes (« les hommes ne se rendront jamais plus désirables, ils perdraient leur virilité »). En attendant, ça fait moitié de désir en moins.

Enfin, les formes de renouvellement actuellement proposées manquent d’imagination : au lieu d’exploser les cadres de la pénétration, on l’accélère (le « petit coup vite fait »), on la rend moins personnelle (en s’échangeant les uns les autres), on en supprime certains enjeux émotionnels (en couchant avec des inconnus, ou sans sentiments)… bref, une resucée du même. Changer les partenaires sans changer les pratiques ? On s’en mord la queue.

Vous me direz : et pourquoi pas, si ça rend les gens heureux de passer une vie entière à mettre des pénis dans des vagins ? Je suis absolument d’accord. Mais ça ne rend pas les gens heureux, du moins pas à long terme… or la monogamie rêve de long terme. Si ce système fonctionnait réellement, les sexologues, psys, vendeurs de lingerie à moumoute, experts en relations extraconjugales et avocats millionnaires spécialisés en divorce seraient au chômage. Leurs clients ne sont pas des imbéciles, ni des perdants. Ils sont simplement coincés dans une sexualité format timbre-poste, immobile, identique du premier rapport au dernier, à deux-trois détails près. Exactement comme si on était condamnés à manger les mêmes frites à la cantine tous les jours, avec pour Noël de la mayonnaise plutôt que du ketchup.

Cette absence de témérité est-elle structurelle ? Si vous êtes hétéro, cisgenre, en couple monogame, êtes-vous condamné(e) au délitement du désir et à l’ennui ? Eh bien, pas du tout. Les héritages existent : ils peuvent aussi être examinés, gentiment déclinés et raccompagnés au vestiaire. Une sexualité moins obsessionnellement répétitive émerge. Elle explore, elle se tâte (c’est un bon début), elle frôle le queer sans le phagocyter (de fait, se qualifier de « bizarre » quand on est majoritaire serait aberrant, et diluerait la force politique du concept).

Ne tombons pas dans l’exception qui confirme la règle

On pourrait en revanche parler d’influence queer : un couple fidèle (ne cherchant pas à faire un bébé dans l’immédiat) peut renoncer à la pénétration obligatoire, ou peut la décorréler du corps des femmes. Il peut ne plus penser du tout en termes de pénétration. Il peut se sentir bien dans ses genres, mais s’être débarrassé des comportements qui leur sont associés. Il accepte qu’on puisse être en situation de réceptivité sans être en position de passivité, ou qu’on puisse pénétrer en étant dominé. Il sait que les hommes sont pénétrables par la bouche, par l’anus et par le pénis (au risque de retourner le couteau dans la plaie), et présentent donc le même potentiel de réceptivité que les femmes. Il considère les parties génitales comme une simple option érotique, et cesse de découper les corps en morceaux hiérarchisés. Il sort le rapport de sa temporalité purement charnelle. Et parce que la liste serait infiniment longue, embrayons directement sur le plus important : ce couple hétéro-cisgenre-monogame-un-peu-queer-mais-pas-tradi adopte des pratiques non scriptées au quotidien, et ne les réserve aucunement à des moments exceptionnels.

Parce que dans le cas contraire, ça s’appelle de l’hypocrisie. Tout le monde a essayé, au moins une fois, de sortir de l’enchaînement confortable du sexe « comme à la télé ». Le problème ne se situe pas dans une absence de médiatisation des pratiques alternatives – elles sont volontiers épluchées publiquement – mais dans leur présentation comme des piments, escapades ou gratifications spéciales. Nous tombons alors dans l’exception qui confirme la règle : des petits pansements utiles quand l’ennui devient trop visible, mais remisés au placard après usage. Or si l’expérimentation ne sert qu’à se replier sur les valeurs sûres, non seulement on se promène en touriste comme dans un safari, mais on se donne bonne conscience en se vantant d’avoir transgressé son confort… mais sans avoir changé de paradigme. Cet évitement de toute remise en question ne trompe pas la nouvelle génération.

Une sexualité fluide ne consiste pas à marcher à côté de l’autoroute en suivant le sens du trafic, ou en « finissant » sur l’autoroute. Sinon, effectivement, on peut se moquer de cette pusillanimité – un juste retour de balancier, étant donné l’ampleur de la condescendance dont nous accablons les plus jeunes. Alors, tous « has been » ? Les pratiques peut-être, mais pas les personnes. Dur à entendre ? Certes, mais gratter où ça démange constitue un excellent point de départ. Avant la sortie de route.

21 mai 2018

Les femmes-fontaines, dernier tabou de la jouissance féminine

fem fontaine

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Parce que les mystères sexuels se réduisent comme peau de chagrin, l’orgasme liquide, par son originalité et sa rareté, fascine, explique Maïa Mazaurette, la chroniqueuse de « La Matinale du Monde ».

LE SEXE SELON MAÏA

Liquides, les femmes ? Notre culture a depuis longtemps tranché le débat : oui, absolument. De Vénus aux sirènes, de la lubrification à la menstruation, de la perte des eaux au lait maternel, les femmes dégoulinent. Et si l’on parle de « fontaines » depuis Hippocrate, ces dernières sont réapparues dans nos obsessions collectives depuis seulement une bonne dizaine d’années… bien aidées en cela par la pornographie (le mot-clé que vous cherchez est « squirting », du verbe squirt, « gicler »).

Pourquoi tant d’attentions, et si subitement apparues ? Essentiellement pour contenter une société de l’œil-roi. L’orgasme des femmes-fontaines se voit : plus pratique pour la caméra, plus pratique aussi pour les spectateurs. Le contrat pornographique est rempli, « c’est du vrai sexe avec du vrai plaisir ». Le corps féminin se comporte comme un corps masculin, devient compréhensible d’un point de vue phallocentré. Pas trop tôt ! C’est clair, facile, réglo, les contrariants mystères de la jouissance femelle passent à la trappe… ainsi que la possibilité de la simulation.

A cet orgasme commode s’ajoutent des questions d’ego parfaitement en accord avec la crise de la masculinité. Faire déborder une femme permet à son partenaire de concilier féminisme (placer le plaisir de l’autre au premier plan, laisser le pénis trois minutes hors cadre) et réflexes macho (se retrouver à nouveau en charge, contrôler la forme prise par le plaisir – autant de désirs inavouables dans le contexte actuel).

Super-pouvoir

Cette combinaison explique le succès d’un fantasme bien spécifique, consistant à initier la partenaire. Malheur, voici le retour aux contes de fées ! L’homme arrive et révèle l’éjaculatrice endormie à sa vraie nature, ils se marient et font plein de rêves humides. De fait, les occasions de jouer les pygmalions se raréfient : si vous avez passé vos années lycée, vous arrivez a priori trop tard pour la défloration ou le premier orgasme. Parce que les mystères sexuels se réduisent comme peau de chagrin, on peut difficilement rêver d’apprendre à une femme quoi que ce soit sur son corps : la jouissance-fontaine, par son originalité, demeure l’une des dernières conquêtes possibles, moins stigmatisée que la sodomie, moins risquée que les tentatives échangistes.

En offrant à sa partenaire une première fois, peut-être ne sera-t-on pas oublié parmi la masse anonyme des amants. Mais bien sûr, ce machiavélisme ne concerne pas tous les hommes. Certains se sentiront menacés face à une autre barrière sexuelle qui tombe (« si en plus elles éjaculent, où va le monde ? »). D’autres répondent par de l’indifférence, de l’intérêt, du dégoût… ou ne remarquent pas.

Cette fascination est-elle partagée par les femmes ? C’est compliqué (le premier qui répond « comme toujours » sera privé de croissant). La première expérience (si elle se produit) survenant en moyenne à 25 ans, elle prend volontiers par surprise, avec l’impression d’avoir taché les draps – avec quoi, comment, pourquoi ? Ces questions font rapidement place à la satisfaction : 80 % des femmes-fontaines voient leur super-pouvoir comme un enrichissement de leur vie sexuelle. C’est également le cas de 90 % des hommes (British Journal of Urology, 2013).

Pour celles qui n’y arrivent pas, et dont les partenaires cultivent ce fantasme, c’est en revanche une pression supplémentaire sur l’orgasme. D’où une quantité impressionnante d’ateliers et d’articles censés débloquer ce potentiel, comme on accéderait au niveau supérieur d’un jeu vidéo. Bien calées entre les bienheureuses et les indifférentes, nous avons donc des femmes qui s’inquiètent d’y arriver… et d’autres qui s’inquiètent de ne pas y arriver.

EN ANGLETERRE ET EN AUSTRALIE, LES FEMMES-FONTAINES TOMBENT DANS LA CATÉGORIE DE L’OBSCÈNE ET SONT BANNIES DES ÉCRANS…

Difficile en outre, pour les adeptes comme pour les aspirantes, de se rassurer en cherchant des informations : la recherche patauge en eaux troubles. Côté chiffres par exemple, on oscille entre 10 % et 70 % de femmes concernées (avec ça, on est bien avancés). Pas mieux côté mécanique, puisque certains experts suggèrent de différencier deux, voire trois types d’émissions ! La confusion s’installe entre une lubrification vaginale intense, une « vraie » éjaculation orgasmique, épaisse, émise depuis la prostate, et enfin des écoulements plus abondants, clairs, inodores et liquides, émis par l’urètre, et spécifiques aux femmes-fontaines (si vous arrivez à suivre, cela signifie que les éjaculatrices et les femmes-fontaines recouvrent deux réalités complètement différentes). Des trois possibilités, la dernière serait la plus fréquente. C’est également la seule qui se voit suffisamment pour posséder un intérêt pornographique.

Fantasme enraciné

Cependant, et c’est là que nos tergiversations scientifiques croisent le champ politique, ce caractère pornographique est menacé. En Angleterre et en Australie, les femmes-fontaines tombent dans la catégorie de l’obscène et sont bannies des écrans… justement parce qu’elles n’éjaculent pas. Le liquide est considéré comme de l’urine, ce qui renvoie les films concernés à des productions ondinistes ou urophiles. D’où la question à cent mille dollars de la semaine (en liquide, merci) : de quoi sont composées les émissions des femmes-fontaines ? Au risque de déboulonner quelques fantasmes, les études penchent en effet pour de l’urine, ce qui transformerait nos super-jouisseuses, débordantes de sensualité, en incontinentes légères.

Pour autant, ne déprimez pas si vous êtes concernée : l’érotisation des femmes perdant le contrôle de leur corps (et la glorification des amants capables de les faire déborder) a de beaux jours devant elle. Ce fantasme est bien plus enraciné que le dégoût pour l’urine. Certaines militantes revendiquent en outre une « vraie » éjaculation féminine, qui s’obtiendrait par stimulation de la prostate féminine (que toutes les femmes ne posséderaient pas), située à proximité d’un point G… lui-même contesté. Nous sommes en 2018, l’anatomie féminine reste nébuleuse, je promets de vous réveiller dès que l’humanité inventera l’eau chaude. Pour se familiariser avec une défense très argumentée de l’éjaculation féminine, on recommandera Osez découvrir le point G, par Ovidie, aux éditions La Musardine.

Enfin, et puisque le sujet reste glissant, relativisons les enjeux : le « squirting » n’apparaît pas dans la liste des mots-clés les plus tapés l’an dernier sur Pornhub. Les recherches Google se sont effondrées de moitié depuis 2014, tandis qu’en langue française, depuis 2011, les fontaines comme les éjaculatrices connaissent un calme plat. On peut expliquer ce recul par la lassitude comme par la normalisation de notre curiosité, par le temps nécessaire à l’imprégnation de nos imaginaires… comme par le simple effet de mode. Il semblerait en tout cas que la femme-fontaine ne soit pas le Graal : mince, encore raté !

SQUIRT-I

20 avril 2018

Sexualités plurielles, pourquoi tant de niches ?

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Fictosexuel, panromantique, asexuel… Si la catégorisation de nos sexualités connaît une croissance exponentielle, c’est parce que les vieilles catégories ne correspondent plus à notre réalité contemporaine, affirme Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale ».

Etes-vous autosexuel (vous n’avez de désir que pour vous-même) ou homoflexible (homo avec des exceptions) ? Panromantique (vous aimez tout le monde mais ne couchez avec personne) ou skoliosexuel (vous ne convoitez que les queers) ? Les ficto préfèrent les personnages de fiction, les abrosexuels changent d’avis constamment. Si vous cherchez une liste exhaustive, bon courage : le champ des dénominations sexuelles est mouvant, surprenant, inspirant. Il prolifère, connaît des tendances autant que des grands classiques. Et si la multiplication des sous-catégories comme des petits pains fait parfois sourire, pour d’autres, elle est un motif de tension permanente.

Car c’est bien la raison principale de la catégorisation exponentielle de nos sexualités : les vieilles catégories (homme-femme, homo-hétéro, bisexuel les jours de fête) ne marchent plus. Elles traînent des millénaires de codes qui ne correspondent pas à notre réalité contemporaine… et franchement, ça n’est pas une mauvaise nouvelle qu’on sache enfin compter plus loin que deux. Connaissez-vous beaucoup de gens adorant se compliquer la vie pour rien ? Non ? Eh bien, nous nous compliquons la vie pour quelque chose : nous sous-catégorisons parce que nous en avons besoin, et parce que les valeurs associées traditionnellement à la masculinité ou à la féminité, l’absence de fluidité attendue dans nos orientations sexuelles ont pris un coup de vieux. Genre, orientation : tout est à reconstruire.

Certains objecteront que c’est beaucoup de bruit pour peu de morts d’hommes (ah, les morts d’hommes…). Sauf qu’il s’agit parfois, effectivement, de vie ou de mort. Ces questions ne sont pas cosmétiques. Se déclarer gay dans un pays aux lois homophobes revient à mettre ses jours en danger. On a vu récemment des individus se décrire comme androphiles plutôt qu’homosexuels, en réaction à ce qu’ils perçoivent comme les « excès » des cultures gays. Et chacun peut comprendre que les personnes intersexes, ou en transition, en aient assez de choisir entre deux identités qui ne leur correspondent pas. Notons aussi que la division strictement binaire du monde n’est pas universelle : à mesure que nous nous globalisons, nous ne pouvons plus ignorer l’existence de genres autres que masculin ou féminin, ou d’orientations sans rapport avec les nôtres (les Grecs n’étaient pas homosexuels sous prétexte qu’ils couchaient parfois avec des garçons) – ce que nous considérons comme « plus simple » ne l’est pas pour le voisin.

On n’aime pas tous les hommes, ni toutes les femmes

En l’occurrence, le fait de nommer implique de pouvoir penser et agir pour ses intérêts. Nous avons besoin de l’étiquette « transsexuel » ou « transgenre » pour organiser les toilettes de la Cogip, certes, mais aussi pour gérer les problématiques spécifiques des prisons ou des événements sportifs – on ne peut pas écarter ces réalités sous prétexte que « c’est compliqué ». Quel message envoie-t-on quand on affirme qu’on préfère changer des êtres humains plutôt que des étiquettes ? Quand on dit qu’il faut se fondre dans les catégories préétablies, quitte à se raboter aux angles ?

Les qualifications plus classiques d’hétéro/homo/bi sont tout aussi contestables. Si vous réfléchissez à vos préférences, sont-ce vraiment les organes génitaux qui comptent ? Si vous aimez les femmes, préféreriez-vous une relation avec un homme incroyablement féminin, ou avec une femme à l’apparence et aux habitudes traditionnellement masculines ? Par ailleurs, avant de jeter votre dévolu sur les pénis ou les vagins (ou les deux, c’est dimanche), sans doute désirez-vous les humains plutôt que les animaux, les bien portants plutôt que les malades, les vivants plutôt que les morts. Pourtant, personne ne vous oblige à placer « non-nécrophile » en première ligne de vos attirances. Vous n’aimez pas tous les hommes, ni toutes les femmes : vous en aimez certains, et certaines. Vous pouvez n’en aimer sentimentalement aucun des deux (catégorie aromantique) ou ne jamais éprouver d’attirance sexuelle pour personne (catégorie asexuelle).

IL Y A FORT À PARIER QUE LA GÉNÉRATION MILLENIALE, QUI A GRANDI EN PIOCHANT PARMI 56 GENRES DIFFÉRENTS SUR FACEBOOK, S’EMPARERA NATURELLEMENT DES ÉTIQUETTES, ET PLUS ENCORE, DE L’IDÉE QUE LES ÉTIQUETTES NE SONT PAS GRAVÉES DANS LE MARBRE

Vous pourrez bien sûr débouler dans la conversation avec le rasoir d’Ockham. Prière cependant de ne pas trébucher sur la lame : s’il faut s’en tenir à un argument purement statistique, à l’heure actuelle, seuls les hétéros existent (remarquez, avec une catégorie unique, c’est sûr que les moutons sont bien gardés). Mais ce serait oublier le pouvoir performatif des catégories : peut-être vous considérez-vous comme hétérosexuel de base parce que votre vocabulaire, votre éducation, votre dressage ne vous ont pas laissé le choix. Parce que justement, en l’absence de mots, vous avez été incapable de questionner vos attirances réelles, encore moins de les affiner. Il y a fort à parier que la génération milleniale, qui a grandi en piochant parmi 56 genres différents sur Facebook (dont « autre »), s’emparera naturellement des étiquettes, et plus encore, de l’idée que les étiquettes ne sont pas gravées dans le marbre (combien de femmes autoproclamées bisexuelles pendant leur vingtaine le sont-elles encore à leur quarantaine ? Combien d’hommes hétéros acceptent volontiers les fellations d’autres hommes ?).

Les mots permettent d’entamer le dialogue

Et parce qu’il faut poser la question qui fâche : au fait, qu’est-ce qui nous dérange dans la multiplication des niches ? Votre nièce queer sapiosexuelle perturbe-t-elle votre existence ? Est-il plus communautariste d’être gay ou hétéro ? (Vous avez quatre heures.) Même chose pour la féminisation des titres : va-t-on réellement arrêter de dormir si le mot « autrice » se répand ? Allons : ne serait-ce pas une question de flemme ? Les mots permettent d’entamer le dialogue : si on refuse les mots, n’est-ce pas une manière d’affirmer qu’on refuse de comprendre – qu’on refuse même de poser la question ?

Avoir un langage adapté à son temps et ses pratiques, c’est poser des repères autant que des capacités d’organiser et désorganiser ses interactions au monde. C’est pouvoir rechercher les supports de désir qui nous conviennent. C’est reconnaître dans une foule l’homme qui nous fera chavirer. C’est se connaître soi-même, pas seulement à grandes lignes (de fuite). C’est jouir de raccourcis dans une conversation. C’est s’autoriser des réinventions : si vous voulez acheter vos croissants ce matin façon phénix priaposexuel semilibertin uro-orienté en troisième décan du Verseau, personne ne vous en empêche.

Enfin, même les adeptes de la plus immense mauvaise foi admettront que cette complexification du monde n’est nullement limitée aux sexualités (comme vous le rappelleront bientôt vos formulaires de déclaration d’impôt). On entend moins râler quand il s’agit de pouvoir choisir entre huit cents variétés de pâtes italiennes !

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