Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
venezuela
25 mars 2019

Venezuela : Nicolas Maduro accuse Juan Guaido de préparer son assassinat

venezuela55

Le président du Venezuela Nicolas Maduro a accusé samedi l’opposant Juan Guaido de préparer un complot pour l’assassiner, et a menacé de l’envoyer en prison. « Nous venons de déjouer un plan de la marionnette diabolique, qu’il dirigeait personnellement, pour me tuer », a affirmé Nicolas Maduro devant plusieurs milliers de ses partisans rassemblés à Caracas.

« Nous n’aurons pas peur d’envoyer ces délinquants en prison », a-t-il ajouté, en qualifiant de « groupe terroriste » le parti Voluntad Popular de Juan Guaido. Juan Guaido s’est autoproclamé président par intérim du pays le 23 janvier et a été reconnu comme tel par une cinquantaine de pays, dont les Etats-Unis. Deux mois plus tard, le Venezuela reste confronté à la plus grave crise de son histoire avec une économie au ralenti, une monnaie naufragée et des pénuries de tout.

Des « preuves »

Les deux « présidents » rivaux avaient convoqué samedi des rassemblements de leurs partisans, à Caracas « contre le terrorisme » pour Nicolas Maduro, à Barcelona (nord-est) pour Juan Guaido, qui a entamé une tournée du pays destinée, compte-t-il, à le mener « jusqu’à Miraflores » le palais présidentiel.

Le ministre de l’Information Jorge Rodriguez a affirmé à la télévision détenir des preuves selon lesquelles des « tueurs » recrutés au Salvador, au Guatemala et au Honduras « grâce à d’énormes sommes d’argent » ont été envoyés en Colombie voisine pour conduire des « assassinats sélectifs » et des « sabotages » des services publics vénézuéliens.

Pas de rupture entre Maduro et les militaires

Début mars, Juan Guaido bénéficiait de 61 % d’avis favorables contre 14 % pour Nicolas Maduro, selon une enquête de l’institut Datanalisis. « Un tel scénario était inimaginable en 2018 », reconnaît l’analyste Mariano de Alba. Mais, même « affaibli », Nicolas Maduro « a réussi à maintenir une cohésion étonnante dans l’adversité ». Surtout la forte mobilisation populaire et le soutien affirmé de Washington et de l’Union européenne à Juan Guaido, notamment, n’ont pas entamé la loyauté de l’armée envers le pouvoir.

La rupture entre l’armée et le pouvoir n’a pas eu lieu « parce qu’aucune offre crédible n’a permis à l’élite militaire de croire en la possibilité d’un changement » de régime sans risque, estime le président de Datanalisis, Luis Vicente Leon. Pour cet expert, penser que Nicolas Maduro ne partira que par la force encourage l’opposition à refuser toute forme de négociations pour « provoquer une fracture » : un scénario impopulaire selon lui, mais « toujours d’actualité » pour sortir de la crise.

Situation économique dramatique

En attendant le Venezuela s’enfonce un peu plus. Le 28 avril entrera en vigueur l’embargo sur les exportations de pétrole qui assurent 96 % du budget de l’Etat. « La situation économique va terriblement s’aggraver et la population subir une nouvelle dégradation de son niveau de vie », prévient Mario De Alba, qui annonce simultanément une « répression » accrue.

Pour Vicente Leon, le temps joue contre Nicolas Maduro avec le risque d’une « explosion sociale ». Mais le temps qui passe est aussi risqué pour Juan Guaido, car « plus le pays se détériorera, plus la patience de la population va s’émousser.

Publicité
18 mars 2019

Vénézuéla

10 mars 2019

Venezuela. Juan Guaido annonce une marche sur Caracas

venezuela22

Alors que le Venezuela est toujours sans électricité, l’opposant Juan Guaido a annoncé une marche nationale sur la capitale, Caracas.

Le chef de file de l’opposition vénézuélienne Juan Guaido a appelé samedi à une marche nationale sur Caracas pour pousser vers la sortie le président Nicolas Maduro, qui a dénoncé une « attaque cybernétique » à l’origine de la panne géante d’électricité qui entrait dans sa troisième nuit.

Aucun bilan officiel de la situation dans le pays, plongé dans le chaos, n’est disponible, mais au moins quinze patients souffrant de maladies rénales sont morts en 48 heures faute de dialyse, selon une ONG qui se consacre aux questions de santé, la Coalition des organisations pour le droit à la santé et à la vie (Codevida).

Selon son directeur, Francisco Valencia, « 95 % des unités de dialyse, qui pourraient atteindre aujourd’hui 100 %, sont paralysées en raison du manque d’électricité ». La plupart des établissements de soin ne disposent pas de générateurs, ou alors ils ne fonctionnent pas.

« Nous marcherons sur Caracas »

« J’annonce une tournée, ma tournée et celle de tous les députés (à travers le pays) pour vous faire venir à Caracas de manière définitive », a lancé Juan Guaido devant des milliers de partisans descendus dans les rues de la capitale. « Après la fin de cette tournée (…) nous annoncerons la date où tous ensemble nous marcherons sur Caracas », a-t-il ajouté, mégaphone en main, juché sur le capot d’un 4x4 : le président par intérim autoproclamé, reconnu par une cinquantaine de pays depuis le 23 janvier, était privé d’estrade sur intervention de la police qui a arrêté les trois personnes chargées de la monter, selon des députés de l’opposition.

Juan Guaido a répété qu’il était prêt à autoriser une intervention militaire étrangère, se référant à la Constitution - « L’article 187, lorsque viendra le moment », qui autorise « des missions militaires vénézuéliennes à l’extérieur ou étrangères dans le pays ».

« Intervention ! Intervention ! », a entonné la foule en chœur. « Toutes les options sont sur la table et nous le disons de manière responsable », a assuré Juan Guaido.

Les autorités vénézuéliennes ne fournissent jamais de chiffres concernant les manifestations.

« Une attaque cybernétique »

Simultanément, des milliers de partisans du régime, en rouge, écoutaient le président Nicolas Maduro, qui a dénoncé une nouvelle « attaque cybernétique » qui aurait empêché de rétablir l’électricité à travers le pays.

« Aujourd’hui, 9 mars, nous avions avancé à près de 70 % (dans le rétablissement de l’électricité) lorsque nous avons reçu à la mi-journée une autre attaque cybernétique visant une des sources d’énergie qui fonctionnait parfaitement. Cela a annulé tout ce que nous avions réalisé », a expliqué Nicolas Maduro, juché sur une estrade.

La quasi-totalité du pays est affectée et le courant revenu samedi matin dans la capitale Caracas avait de nouveau disparu dans l’après-midi. Selon le ministre de la Communication Jorge Rodriguez, la panne d’électricité a été déclenchée jeudi par une première « attaque cybernétique contre le système de contrôle automatisé » de la centrale hydroélectrique de Guri, dans le sud-est du pays, qui fournit au Venezuela 80 % de son électricité. Nombre d’experts attribuent la panne à un manque d’investissements du gouvernement dans l’entretien des infrastructures.

Les deux rassemblements se sont dispersés dans le calme et aucun incident majeur n’avait été rapporté jusqu’ici, malgré un imposant déploiement de policiers anti-émeutes aux abords de la manifestation de l’opposition.

Situation sanitaire problématique

L’absence de courant a créé par endroits une situation sanitaire problématique et provoqué des décès dans les hôpitaux qui ne sont pas équipés de générateurs. Cette panne soumet l’économie du Venezuela, déjà très fragile, et la population à de nouvelles tensions. Avec une inflation hors de contrôle, l’argent liquide est rare, faute de billets disponibles. Seules les transactions électroniques permettent de faire des achats, même pour du pain. Mais toutes ont été suspendues dès jeudi soir.

Le gouvernement, sous pression depuis des semaines, a affirmé qu’il fournirait à l’ONU « des preuves » d’une responsabilité de Washington dans cette panne géante, la pire jamais connue par le pays. Ces informations seront remises à une délégation du Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme qui est attendue dans quelques jours à Caracas, a déclaré le ministre de la Communication.

Depuis le 23 janvier, le Venezuela compte deux dirigeants : Nicolas Maduro, qui a entamé un deuxième mandat présidentiel contesté en raison d’accusations de fraude qui pèsent sur sa réélection ; et Juan Guaido, président de l’Assemblée nationale, qui s’est proclamé président par intérim et est reconnu par une cinquantaine de pays.

9 mars 2019

Victime d’une panne électrique historique, la situation du Venezuela s’assombrit encore

Par Marie Delcas, Bogota, correspondante - Le Monde

Le pouvoir chaviste a immédiatement dénoncé un sabotage tandis que le leader de l’opposition déplorait une tragédie et réitérait son appel aux forces armées. Sans avions, ni pompes à essence, ni banques, ni écoles, le pays est largement paralysé.

Au rouge depuis des mois, le Venezuela a sombré dans le noir. Le pays affronte depuis jeudi 7 mars 16 h 54, la plus grande panne d’électricité de son histoire. Vingt et un de ses vingt-trois Etats ont été touchés. Vendredi 8 mars au soir, le courant n’était que partiellement rétabli dans ce pays de 31 millions d’habitants. Les hôpitaux ont vécu des heures dramatiques.

Comme à l’accoutumée, le gouvernement a immédiatement dénoncé un sabotage. « La guerre électrique annoncée et dirigée par l’impérialisme américain contre notre peuple sera vaincue », a écrit, sur son compte Twitter, le président chaviste Nicolas Maduro.

Mais les experts de l’opposition attribuent de leur côté les défaillances électriques du pays – pourtant immensément riche en ressources énergétiques – au manque d’entretien des installations, au déficit d’investissements et à l’incurie de Caracas.

Le jeune leader de l’opposition et président autoproclamé, Juan Guaido, qui depuis un mois tente de contraindre Nicolas Maduro à la démission, a dénoncé « une tragédie ». Rentré au pays lundi après une brève tournée en Amérique latine, il a une fois encore appelé ses compatriotes à manifester massivement samedi 9 mars.

Reconnu par une cinquantaine de pays à travers le monde, Juan Guaido juge illégitime le deuxième mandat de « l’usurpateur » Maduro. « La fin de l’obscurité viendra avec la fin de l’usurpation », a-t-il ajouté, rappelant que le pouvoir avait, en 2009, déclaré « l’état d’urgence électrique » et annoncé un programme d’investissements sans précédent. « Ils ont investi 100 milliards de dollars [89 milliards d’euros], sans résultats. Ce sont des corrompus », s’est-il indigné à Caracas.

« Guerre électrique »

Sans télévision, ni Internet, ni téléphone portable, les Vénézuéliens ignoraient largement, vendredi soir, que leur pays venait d’être condamné par le tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale à payer 8,7 milliards de dollars à la compagnie CoconucoPhilips.

Cette entreprise américaine avait été expropriée en 2007 par Hugo Chavez, le charismatique prédécesseur de Nicolas Maduro. Le Venezuela dispose des plus grandes réserves mondiales de pétrole brut mais, ruiné et endetté, il est incapable de freiner le déclin de sa production d’hydrocarbures. Les réserves internationales du pays s’élèvent aujourd’hui à 8,8 milliards de dollars, soit le montant de la somme à payer.

Selon le ministre vénézuélien de la communication Jorge Rodriguez, la panne est partie du système électronique du Guri, le barrage qui fournit plus de 70 % de l’électricité du pays. Il a accusé Washington et Juan Guaido de l’avoir provoquée. En dénonçant « une nouvelle attaque de la guerre électrique pour créer le chaos et déstabiliser un pays en paix », le ministre de l’énergie électrique Luis Motta affirmait de son côté, jeudi soir, que le courant serait rétabli dans les trois heures.

Mais, sans avions, ni pompes à essence, ni banques, ni écoles, le pays restait largement paralysé vendredi. A Caracas, les rues étaient vides. Le métro a cessé de fonctionner et l’immense majorité des bus sont restés au garage. Le gouvernement a décrété la fermeture des établissements éducatifs et des administrations publiques « pour faciliter le travail afin de rétablir la distribution d’électricité dans le pays ».

« Des centaines de tonnes d’aliments vont pourrir »

« Si cela dure, je vais devoir jeter tout ce qu’il y a dans mon congélateur », déplorait Julia, cadre à Caracas. Pour faire face aux pénuries d’aliments et tenter de déjouer l’hyperinflation, les Vénézuéliens qui en ont les moyens ont accumulé des réserves. Placards et congélateurs sont pleins. « Ce sont des centaines de tonnes d’aliments qui vont pourrir », pronostique Julia, en larmes. Elle est terrée chez elle depuis plus de 24 heures, par peur des voleurs et des pilleurs.

Faute de connexion à Internet, les distributeurs automatiques ne délivraient plus de liquide et les transactions électroniques ont été suspendues. Dans un pays où l’inflation quotidienne dépasse 3,5 % personne ne conserve chez soi d’argent liquide.

Sur les réseaux sociaux, circulaient les images de bébés en couveuses et de patients comateux maintenus en vie par des respirateurs manuels. « Tous les établissements hospitaliers ne disposent pas de groupes électrogènes, raconte un médecin de Caracas. Et ceux qui existent sont souvent hors service faute d’entretien. » Plusieurs hôpitaux ont été contraints de fermer les portes de leur service d’urgences. « Ma mère vient de mourir devant la porte de l’hôpital », écrit une internaute.

Médecin et député d’opposition, José Manuel Olivares assure que, entre le 1er novembre 2018 et le 28 février, les pannes d’électricité causé la mort de 79 personnes en milieu hospitalier.

Chroniques en province depuis cinq ans, les coupures et les rationnements de courant sont restés plus rares à Caracas. Le pouvoir sait que sa survie se joue dans la capitale. En 2013, Nicolas Maduro avait par ailleurs annoncé la militarisation des installations électriques.

Un ministre chaviste inculpé par les Etats-Unis

A Caracas Juan Guaido a également réitéré son appel aux forces armées de son pays. « Que vous faut-il de plus ?, a-t-il lancé aux militaires. Personne ne vous demande de vous soulever, seulement de respecter la Constitution. »

Mercredi, Washington avait annoncé que 77 Vénézuéliens proches du gouvernement de Nicolas Maduro – fonctionnaires ou parents - seraient privés de visa pour entrer sur le territoire américain.

Vendredi, le ministre vénézuélien de l’industrie et de la production nationale Tareck El Aissimi a été formellement inculpé par la justice américaine pour n’avoir pas respecté les sanctions qui lui avaient été imposées en février 2017.

A cette date, M. El Aissimi avait été inclus sur la liste dite Clinton – elle recense les personnes et les sociétés suspectes de liens avec le trafic de drogue – en raison de « son rôle important dans le trafic international de narcotiques ». M. El Aissimi, 42 ans, qui a été député, gouverneur de l’Etat d’Aragua, plusieurs fois ministres est un des piliers du pouvoir chaviste.

4 mars 2019

Le retour de Juan Guaido au Vénézuéla

Publicité
24 février 2019

Récit - Juan Guaido : le récit d’une irrésistible ascension

Par Marie Delcas, Bogota, correspondante, Sandrine Morel, Madrid, correspondance, Claire Gatinois, Sao Paulo, correspondante, Gilles Paris, Washington, correspondant, Jean-Pierre Bricoure, Caracas, envoyé spécial

Le tour de force de l’opposant vénézuélien, reconnu président par intérim par de nombreuses chancelleries, est le fruit de mois de tractations que « Le Monde » a reconstitués.

La main droite est ouverte et levée, l’autre posée sur un exemplaire de la Constitution. Il est peu avant 14 heures et le jeune député de l’opposition Juan Guaido fait face à plusieurs dizaines de milliers de manifestants rassemblés sur l’avenue Francisco de Miranda, cœur de Caracas. « Aujourd’hui 23 janvier 2019, lance-t-il, en tant que président de l’Assemblée nationale, invoquant les articles de la Constitution bolivarienne, devant Dieu tout-puissant et devant mes collègues de l’Assemblée, je jure d’assumer formellement les pouvoirs de l’exécutif national en tant que président en charge du Venezuela. » Tonnerres d’applaudissements.

A peine une dizaine de minutes plus tard, alors que les opposants au régime de Nicolas Maduro battent encore le pavé, Donald Trump annonce dans un communiqué et un tweet qu’il reconnaît le président par intérim.

La déclaration du président américain fait l’effet d’une bombe. Non seulement elle prend de court les dirigeants chavistes, surprend par son côté abrupt et risqué en termes diplomatiques, mais elle renvoie à une action coordonnée inédite.

Il est 15 heures et Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des Etats américains, basée à Washington, félicite l’impétrant. Encore un quart d’heure et c’est au tour du Canada de reconnaître Juan Guaido. Arrive le Brésil, cinq minutes plus tard. Puis la Colombie et le Pérou. Encore deux heures, et c’est le président du Conseil européen, Donald Tusk, qui dit « espérer que toute l’Europe va être unie en soutien des forces démocratiques au Venezuela ».

Une partition complexe

Jamais un opposant au régime chaviste n’avait suscité un tel élan d’unanimité. En moins d’une après-midi, Juan Guaido, encore inconnu quelques jours plus tôt de la majorité des Vénézuéliens et de la communauté internationale, est devenu le visage d’une opposition qui s’était surtout distinguée, depuis des années, par ses divisions malgré les faiblesses du régime. Pour la première fois, glisse un diplomate occidental à Caracas, elle fait preuve d’une capacité à s’unir, et de manière significative.

Cette bascule spectaculaire n’a été possible qu’après des mois de tractations en coulisses, de diplomatie secrète, de messages cryptés. Avec le recours aussi à de nombreux intermédiaires auprès de figures historiques de l’opposition comme Leopoldo Lopez, assigné à résidence depuis sa sortie de prison en 2017, ou d’autres partis en exil.

Pour comprendre ce tour de force, il faut remonter les fils, reprendre les étapes. Il a pour point de départ Caracas, mais pas seulement. Il y a aussi Washington, avec un Donald Trump et une administration obnubilés par le Venezuela, comme ils peuvent l’être par l’Iran ou la Corée du Nord. Madrid aussi, où vit une grande partie de la diaspora antichaviste. Le Brésil encore, et la Colombie. Autant de lieux et d’acteurs multiples engagés dans une partition complexe.

Aux Etats-Unis, dès la campagne présidentielle de 2016, le candidat Trump a assuré que l’élection de son opposante démocrate, Hillary Clinton, transformerait le pays en « Venezuela à grande échelle ». En meeting en Floride – qui compte une importante communauté d’expatriés vénézuéliens, élément électoral à prendre en compte –, ce candidat peu versé dans la défense des droits de l’homme assure être « aux côtés du peuple opprimé » du Venezuela, « qui aspire à la liberté ».

juan55

« Alignement des planètes »

Selon Fernando Cutz, chargé du Venezuela depuis janvier 2017 au sein du Conseil de sécurité national, le président Trump s’y intéresse « dès les premiers jours » de son arrivée à la Maison Blanche. Le contexte l’explique : un « alignement des planètes », comme l’a rappelé l’expert lors d’une récente conférence à Washington, avec l’arrivée au pouvoir de nouveaux gouvernements de droite en Argentine, en Colombie puis au Brésil, et la dégradation de la situation humanitaire au Venezuela.

De fait, dès son deuxième jour à la Maison Blanche, Donald Trump exige un topo. Il demande si une intervention militaire américaine peut être envisagée. Les conseillers, inquiets, répondent qu’une invasion serait un désastre. Un mois plus tard, il reçoit dans le bureau Ovale Lilian Tintori, l’épouse de l’opposant Leopoldo Lopez, en compagnie du vice-président Mike Pence et de Marco Rubio, sénateur républicain de Floride.

Fait notable, le président évoque le Venezuela avec tous les dirigeants d’Amérique du Sud qui lui rendent visite au début de son mandat : le Péruvien Pedro Pablo Kuczynski en février 2017, l’Argentin Mauricio Macri en avril, le Colombien Juan Manuel Santos en mai. Ce même mois, l’administration adopte les premières sanctions contre des figures du régime de Nicolas Maduro. D’autres suivront à l’été. La pression s’installe, une stratégie s’ébauche.

« Troïka de la tyrannie »

En plein mois d’août 2017, dans son golf du New Jersey, Donald Trump prend de court ses conseillers en déclarant : « Nous avons beaucoup d’options pour le Venezuela. Et, au fait, je ne vais pas exclure une option militaire. » L’entourage du président temporise, mais sa détermination ne fait plus l’ombre d’un doute, d’autant qu’un groupe d’Etat américains exaspérés par le statu quo vient de se constituer à Lima. En marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le 16 septembre, Donald Trump ajoute : « Les Etats-Unis ont pris d’importantes mesures pour tenir le régime responsable de ses actes. Nous sommes prêts à prendre d’autres mesures si le gouvernement du Venezuela persiste sur la voie d’imposer un régime autoritaire au peuple vénézuélien. »

En novembre 2017, puis tout au long de 2018, l’administration multiplie les sanctions. Autour du président américain, plusieurs architectes de cette nouvelle approche sont des défenseurs historiques d’une diplomatie musclée.

Une des figures clés, déjà présente dans l’équipe de transition entre l’élection et l’investiture de M. Trump, s’appelle Mauricio Claver-Carone, avocat et fils d’émigré cubain. Il a été l’un des plus fermes détracteurs de la politique latino-américaine de Barack Obama. Nommé coordinateur et assistant spécial à la Maison Blanche, il rejoint une équipe de partisans d’une ligne dure, soutenu par le sénateur Marco Rubio.

Le sénateur du Parti républicain de Floride, Marco Rubio arborant une casquette de soutien à Juan Guaido, à la frontière vénézuélienne avec la Colombie, le 17 février. | LUIS ROBAYO / AFP

Autre « faucon », le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, annonce le 1er novembre 2018, à Miami, que les Etats-Unis appliqueront une tolérance zéro en Amérique latine, qualifiant Cuba, le Nicaragua et le Venezuela de « troïka de la tyrannie ». Il affirme que les Etats-Unis vont appliquer de nouvelles sanctions visant le secteur aurifère vénézuélien et les entités détenues ou contrôlées par les militaires et services secrets cubains.

Visite secrète de Guaido à Washington

Le 12 décembre, Marco Rubio et le sénateur démocrate Bob Menendez (New Jersey) enjoignent M. Trump de contester la légitimité de Nicolas Maduro et de reconnaître l’Assemblée nationale (AN), tenue par l’opposition, comme la seule instance démocratique et représentative du pays, tandis que l’Assemblée constituante (ANC), élue dans des conditions controversées en juillet 2017, s’est arrogé l’essentiel des pouvoirs du Parlement.

Selon plusieurs sources, à peine quelques jours plus tard, mi-décembre, Juan Guaido, qui n’est pas encore le président de l’Assemblée nationale, traverse discrètement la frontière colombienne en contournant le poste douanier avant de s’envoler vers Washington pour une visite secrète. Il y rencontre Luis Almagro et Marco Rubio, comme l’a confirmé le bureau du sénateur. Son séjour a été préparé par deux exilés, Carlos Vecchio et David Smolansky. Juan Guaido ne rencontre pas Bob Menendez. Toutefois, la position de l’administration est largement partagée par le camp démocrate, qui reste néanmoins hostile à la moindre intervention militaire.

Autour du jour de l’an, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, se réunit avec plusieurs alliés clés et évoque le cas vénézuélien. Le 2 janvier, il s’entretient avec ses homologues brésilien et colombien. Avec le président Ivan Duque, il ira même jusqu’à évoquer un plan d’action et une collaboration « régionale et internationale ».

A ce stade, les réseaux se densifient. L’activisme des opposants vénézuéliens en exil permet de pousser les pions auprès des différentes chancelleries. Un semblant d’unité se dégage. La pression de Washington fait le reste.

« Travail intense et collectif »

Antonio Ledezma, ancien maire de Caracas et figure de la diaspora, a lui aussi joué un rôle prédominant. Dès son arrivée en Espagne, fin 2017, il s’entretient avec le président du gouvernement espagnol d’alors, Mariano Rajoy. Quelques jours plus tard, il part pour Washington, où il voit des fonctionnaires de la Maison Blanche, du département d’Etat et du Congrès. Puis à Strasbourg, où il se réunit avec le président du Parlement européen, Antonio Tajani, et avec des responsables de tous les partis espagnols.

En janvier 2018, une réunion en Amérique du Sud lui donne l’occasion de dialoguer avec Mauricio Macri, Pedro Pablo Kuczynski et le Chilien Sebastian Piñera. De retour en Europe, M. Ledezma s’entretient en avril avec Emmanuel Macron, à l’Elysée. « Il nous a donné son soutien et son engagement à nous aider à résoudre la crise », affirme l’opposant.

A Madrid, sur une idée de Mariano Rajoy, l’ancien maire de Caracas décide d’aider à l’établissement d’un canal de communication entre l’UE et les quatorze pays des Amériques et des Caraïbes du « groupe de Lima ». Il évoque le sujet lors d’une nouvelle tournée au Pérou, où, le 14 avril, au siège de l’ambassade des Etats-Unis, il s’entretient avec le vice-président Mike Pence. Il se rend ensuite au Brésil, au Chili, au Costa Rica, au Panama, aux Etats-Unis puis au Mexique pour un premier contact avec l’entourage du nouveau président, Andrés Manuel Lopez Obrador. Celui-ci se démarquera de l’initiative.

« Le travail a été intense et collectif », insiste M. Ledezma. A ses côtés, on retrouve Carlos Vecchio, mais aussi Lester Toledo, le député du parti Voluntad Popular, celui de M. Guaido, la représentante de l’opposition vénézuélienne en Suisse, Maria-Alejandra Aristiguieta, l’ancien président du Parlement Julio Borges et le consultant Carlos Blanco. Au Venezuela, cette équipe est en contact avec l’ancienne députée de droite Maria Corina Machado et avec Leopoldo Lopez.

L’ancien maire de Caracas, Antonio Ledezma, en exil en Espagne, participant à une manifestation contre le président vénézuélien Nicolas Maduro, à Madrid, le 13 janvier. | OSCAR DEL POZO / AFP

L’histoire s’accélère

« La proclamation de Guaido s’est décidée en moins de vingt jours, précise Antonio Ledezma. Il y avait bien un plan qu’il allait être président de l’Assemblée, mais il n’y avait pas d’accord sur le fait qu’il assume une présidence temporaire. Certains, comme [l’ancien candidat à la présidentielle] Henrique Capriles, étaient contre. Maria Corina Machado et moi étions convaincus que Guaido devait franchir le pas en se basant sur la Constitution. Nous avons obtenu les soutiens de Leopoldo Lopez et de Julio Borges. »

Le 5 janvier, Juan Guaido est donc désigné, par un système de rotation, président de l’Assemblée nationale. Le 11, au lendemain de la prestation de serment de Nicolas Maduro pour un second mandat présidentiel de six ans, le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, John Bolton, publie un communiqué dans lequel il indique : « Nous appuyons en particulier la décision courageuse du président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, d’invoquer les dispositions prévues par la Constitution du Venezuela et de déclarer que Maduro ne détient pas légitimement la présidence du pays. »

L’histoire s’accélère. Après une brève tentative d’arrestation par des agents du service bolivarien de renseignement, le 13, Juan Guaido reçoit un appel de Mike Pence. Selon le compte rendu publié par la Maison Blanche, le vice-président exprime « le ferme soutien des Etats-Unis à l’Assemblée en tant que seul organe démocratique légitime du pays » et « encourage M. Guaido à construire l’unité des groupes politiques ».

Le jour même, Juan Guaido reçoit un coup de fil chaleureux du député Eduardo Bolsonaro, fils du président brésilien, Jair Bolsonaro, et émissaire informel de son père. Le parlementaire a offert un « soutien plein et entier à notre action pour restaurer notre démocratie », confie alors le Vénézuélien au quotidien O Globo.

« Grand marché diplomatique »

L’activisme d’Eduardo Bolsonaro n’est pas nouveau. En novembre 2018, soit quelques jours à peine après l’élection de son père, il avait rencontré Marco Rubio lors d’un déplacement de trois jours aux Etats-Unis. Casquette floquée « Trump 2020 » sur la tête, Eduardo Bolsonaro s’est d’abord entretenu avec deux hauts fonctionnaires de la Maison Blanche en marge d’une conférence à l’American Enterprise Institute, un cercle de réflexion conservateur où était également présent Mike Pence. Puis, avec Luis Almagro, il parle de « scénarios politiques aux Amériques ». Le lendemain, il rencontre le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, le sénateur du Texas Ted Cruz, ainsi que l’ancien conseiller stratégique du président et idéologue ultranationaliste Steve Bannon.

Dans la foulée, une rencontre avec Marco Rubio. Elle est brève, mais sans doute décisive. Le sénateur de Floride y aurait évoqué l’idée d’un « grand marché diplomatique » : en échange d’une aide pour, notamment, faire entrer le Brésil dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Brasilia s’engagerait dans la résolution de la crise au Venezuela.

Les comptes rendus et tweets des uns et des autres ne disent rien d’un tel accord. Quoi qu’il en soit, le 17 janvier, le président brésilien Jair Bolsonaro s’affiche aux côtés de Miguel Angel Martin, le président de la Cour suprême vénézuélienne en exil, affirmant que son gouvernement fera « tout son possible pour rétablir l’ordre, la démocratie et la liberté au Venezuela ». Sur la photo figure aussi Ernesto Araujo, le ministre brésilien des affaires étrangères qui, dans une note, s’empresse de décrire le Venezuela de Nicolas Maduro comme une « mécanique de crime organisé fondé sur la corruption généralisée, le narcotrafic et le terrorisme ».

Le président brésilien Jair Bolsonaro posant aux côtés de Miguel Angel Martin, le président de la Cour suprême vénézuélienne en exil, le 17 janvier à Brasilia. | ALAN SANTOS / SERVICE DE PRESSE DE LA PRESIDENCE BRESILIENE / AFP

Cette même journée, Ernesto Araujo s’entretient à Brasilia avec Antonio Ledezma, Julio Borges et Carlos Vecchio. Des représentants de la diplomatie américaine et du groupe de Lima sont présents, ainsi que l’omniprésent Eduardo Bolsonaro. « Là, nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il fallait consolider les soutiens internationaux pour reconnaître Guaido s’il franchissait le pas », précise M. Ledezma. Peu après, le Brésil se dit prêt à reconnaître Juan Guaido comme président, si l’Assemblée nationale en décidait ainsi.

Cargaison humanitaire estampillée « US aid »

Le 22 janvier, une délégation d’élus de Floride se rend à la Maison Blanche pour demander à Donald Trump de faire de même. Mike Pence s’entretient avec lui au téléphone, le soir même. Il veut s’assurer que le jeune député invoque bien la Constitution pour justifier son action.

La suite est connue. Nicolas Maduro a dénoncé un putsch et Juan Guaido annoncé l’arrivée pour le 23 février d’une aide humanitaire internationale.

La Maison Blanche a été la première à envoyer une cargaison, estampillée « US aid », à Cucuta, à la frontière colombienne. Cette semaine encore, lors d’un discours à Miami, devant des étudiants en grande majorité vénézuéliens et d’origine cubaine, Donald Trump a rappelé qu’il était toujours à la recherche d’une transition pacifique entre les deux leaders, mais que « toutes les options » restaient « ouvertes ».

22 février 2019

A la frontière entre le Brésil et le Venezuela, l’angoisse de l’affrontement

Par Claire Gatinois, Pacaraima, Brésil, envoyée spéciale

Alors que l’aide humanitaire promise par l’opposant Juan Guaido doit être acheminée samedi, les militaires fidèles à Maduro restent postés debout à la frontière.

Il était un peu plus de midi quand Margarita (le nom a été modifié), 71 ans, a franchi la frontière. Arpentant à pied les montagnes, le cœur battant la chamade, l’élégante vieille dame munie d’une petite valise emmagasinant toute sa vie, a défié le président Nicolas Maduro. Un « dictateur » qu’elle attend désormais de voir « tomber ». « Je veux que le Venezuela redevienne ce qu’il était », dit-elle.

Ce vendredi 22 février, dans un petit café de Pacaraima, ville brésilienne à la frontière avec le Venezuela, la septuagénaire se remet avec peine de son audace. A un âge où elle ne devrait plus se préoccuper que de ses petits-enfants, la voici clandestine, affolée à l’idée d’être ramenée dans son pays. Ou pire encore.

Depuis la veille au soir, le président du Venezuela a ordonné la fermeture de la frontière et de l’espace aérien du pays. Les Vénézueliens comme Margarita, fuyant la misère et la faim, n’ont eu d’autre choix que de prendre des chemins de traverse avant que la situation n’empire.

Deux morts, une quinzaine de blessés

Dans quelques heures, samedi 23 février, doivent arriver à Pacaraima les camions chargés de 200 tonnes de vivres et de médicaments venus des Etats-Unis qui tenteront de traverser une frontière désormais verrouillée. Une « guerre humanitaire », comme la qualifie le Brésil, censée faire plier les soutiens militaires de Nicolas Maduro et permettre à son opposant, Juan Guaido, président de l’Assemblée nationale et chef d’Etat autoproclamé, soutenu par une vingtaine de pays européens, dont la France, d’accéder au pouvoir.

A vingt-quatre heures du coup d’envoi, les militaires postés à la frontière, debout derrière leur bouclier semblent toujours jurer fidélité au dirigeant Maduro qui se prétend l’héritier de la révolution bolivarienne. A 70 kilomètres de là, côté vénézuélien, à Kumarakapay des affrontements avec les forces de l’ordre ont tourné au massacre.

Deux personnes, sans doute des Pemons (indigènes), ont été tuées, une quinzaine d’autres sont blessées ; certaines sont dans un état grave. Ces Vénézueliens auraient subi des tirs de balles réelles en s’opposant aux barrages des soldats afin de laisser l’aide humanitaire entrer dans le pays. « Les militaires font aussi partie du peuple ! », se désole Marcel Perez. L’œil cabossé, le jeune homme faisait partie de la troupe attaquée.

Pour seule réponse, Nicolas Maduro a renforcé son soutien aux forces de l’ordre. « Morale maximale, cohésion maximale, action maximale. Nous vaincrons », a-t-il écrit sur Twitter.

Les morts, puis les propos belliqueux ont plongé Pacaraima dans l’angoisse. « La vengeance est inhérente à la culture des Pemons, on est en droit de craindre des représailles et une escalade », soupire le père Jesus, à la tête de la paroisse de Pacaraima. Arrivé il y a neuf ans dans cette petite ville sans charme, le prêtre a vu progressivement débarquer ces Vénézuéliens fuyant la misère et la faim considérant le lieu comme un « paradis ». Il a également assisté à la montée de la haine et de la xénophobie de la part de Brésiliens d’ordinaire si accueillants.

Cellule de crise à Brasilia

Venu à Pacaraima dans la matinée, le député Antonio Carlos Nicoletti du Parti social libéral (PSL), qui est aussi celui du président Jair Bolsonaro, s’est montré préoccupé face aux risques de dérives. Assurant s’être entretenu avec le chef de l’Etat le mercredi précédent, le parlementaire promet que rien ne sera fait qui puisse nuire aux intérêts des Brésiliens. L’Etat du Roraima dépend de l’énergie achetée au Venezuela. Et la station de combustible qui alimente la ville de Pacaraima, est aux mains des Vénézuéliens.

Alerté par la montée des tensions, le gouvernement a convoqué une cellule de crise à Brasilia avec le président Jair Bolsonaro. Sans renoncer à l’opération, le pays a prévenu que son action s’arrêterait à la frontière. Dit autrement à aucun moment le Brésil ne remettra en cause la souveraineté vénézuélienne pour forcer le passage de l’aide humanitaire, laissant les opposants ou les pro-Maduro, décider du cours des événements.

Une position prudente, souhaitée par les militaires en position de force dans le gouvernement. Et plus nuancée que celle qu’aurait défendu initialement Ernesto Araujo, le ministre des affaires étrangères, admirateur du président des Etats-Unis Donald Trump.

Allaitant son fils de deux ans à même le sol, Ariannis Esperalta, 20 ans, qui a traversé la frontière lundi, se fiche, elle, de savoir si l’opération humanitaire tournera à l’affrontement. Seul lui importe de savoir que Maduro quittera le pouvoir. « Qu’il s’en aille », supplie-t-elle.

Au Venezuela, où le taux d’inflation dépasse un million de pourcents, un salaire minimum ne suffit plus à acheter un poulet ou un kilo de fromage.

22 février 2019

Au Venezuela, le système sanitaire s’est effondré, « plus rien ne marche »

Par Jean-Pierre Bricoure, Caracas, correspondance

Ce secteur est devenu la face la plus douloureuse de la crise que traverse le pays. Au point d’être au cœur de la polémique sur l’aide d’urgence promise pour le 23 février par l’opposant Juan Guaido.

Dans une ruelle de Caracas, près du centre-ville historique et ses quelques rares magasins encore ouverts, l’endroit tient de la forteresse moderne. Derrière les grilles, l’entrée est gardée par un militaire en uniforme, l’arme à la main et le regard dilettante sur un hall entièrement vide. Devant la sortie, à l’autre bout de cet hôpital pédiatrique JM de Los Rios, le plus grand des quatre établissements pour enfants de la capitale vénézuélienne, un autre soldat est assis aux côtés d’un membre de la milice bolivarienne, ce corps spécial créé par le gouvernement et armé par les militaires.

Ici, chaque visiteur doit montrer patte blanche avant de quitter l’hôpital. Officiellement pour éviter les vols de médicaments et d’équipements. « Une aberration », souffle Laura, infirmière trentenaire, officiant depuis plusieurs années dans l’établissement et qui ne dira pas son vrai nom par peur de représailles : « C’est simple, nous manquons de tout, il n’y a plus rien, ni antibiotiques, ni ustensiles. Les gardes sont là dans tous les centres hospitaliers pour nous montrer que le pouvoir continue à contrôler la situation, et surtout pour éviter les fouineurs et les journalistes. »

En 2016, déjà, le New York Times avait publié un long reportage sur l’état catastrophique du système de santé au Venezuela. Il pointait l’indigence, l’état de délabrement et la situation catastrophique des soins dans plusieurs établissements de la capitale, la ville de Mérida et sur le littoral. Le papier rappelait comment la crise économique avait provoqué une situation d’urgence sanitaire où le taux de mortalité des jeunes mères était multiplié par cinq. L’article, illustré par des photos bouleversantes et amplement partagé sur les réseaux sociaux, avait provoqué un choc national. « Nous savions que la situation était désastreuse, que des enfants mourraient de dénutrition et d’autres par manque de personnel médical, mais pas à ce point et de cette manière globale », insiste la soignante.

A l’époque, le président Nicolas Maduro, successeur d’Hugo Chavez, avait écarté d’un revers de la main les critiques. Il affirma que « nulle part ailleurs au monde, excepté à Cuba, il n’existe un meilleur système de santé que le vénézuélien ».

« Le système s’écroulait de l’intérieur »

Depuis, et malgré les dénégations du régime, la situation a empiré. La santé est même devenue la face la plus douloureuse de la crise que traverse le pays. Au point de s’être installée au cœur de la polémique qui secoue le Venezuela ces dernières semaines sur l’aide d’urgence promise pour le 23 février par l’opposant Juan Guaido, président autoproclamé en janvier.

« Le système s’est effondré, plus rien ne marche », affirme le docteur Alejandro Risquez. Médecin pédiatre et épidémiologiste, il est une des voix critiques du système depuis plusieurs années. Reconnu dans le milieu, il a plusieurs fois participé aux réunions avec les représentants étrangers des Nations unies (ONU) pour dresser le diagnostic annuel des services de santé vénézuéliens.

« A partir de 2015, les officiels du régime ont commencé à ne plus divulguer leurs chiffres, affirme-t-il. L’année suivante, ils n’ont donné que le taux de mortalité infantile. Alors qu’il baissait chez nos voisins, il avait augmenté de 30 % au Venezuela. »

Pendant les premières années du régime chaviste, nombreux ont été les spécialistes à reconnaître que la mise en place des programmes gouvernementaux comme les Missions Barrio Dentro, touchant les zones les plus pauvres du pays, ont permis d’obtenir des avancées en matière de santé publique. Avec les accords signés par Fidel Castro, au début des années 2000, environ 35 000 médecins ou aide soignants cubains se sont installés dans les quartiers. Les Missions Barrio Dentro II sont ensuite venues en aide aux cliniques, aux petits dispensaires, les CDI.

« Jusqu’au mitan des années 2010, une époque où les dollars entraient, tout allait apparemment pour le mieux, explique le médecin. Mais la corruption s’est enracinée, et de manière endémique. Au ministère, les militaires ont pris les commandes. Les projets ont commencé à capoter. Des sommes colossales ont été investies dans les hôpitaux, de 2008 à 2013, mais rien n’a marché. En 2012, nous sommes soudainement devenus la risée du monde entier parce que nous n’avions plus de papiers toilettes. C’était un signe que le système s’écroulait de l’intérieur. »

En 2012, une année avant le décès d’Hugo Chavez, le prix du pétrole commence à dévisser. Sous Nicolas Maduro, le baril passe de 120 à 40 dollars, une catastrophe pour le pays qui possède les plus grandes réserves de la planète. C’est la chute. « La machine s’est arrêtée, dit M. Risquez. Soins défaillants, hyperinflation et pénuries : les gens ont fini par ne plus se soigner ou sont partis. Jusqu’en 2015, j’avais entre soixante et cent patients par jour. Ils ne sont plus que trois. »

Corruption, vols, trafics et détournements

Un rapport rédigé en novembre 2018 par Medicos por la Salud, un réseau de médecins qui récolte des données sur la crise sanitaire depuis 2014, est à ce titre cruellement révélateur. Selon l’enquête, la moitié des services de rayons X du pays ne fonctionnent plus, et 18 % ne marchent que par intermittence.

Plus de la moitié des laboratoires sont fermés. Plus de la moitié des hôpitaux ont des pannes électriques, trois-quarts manquent d’eau courante et deux-tiers connaissent des pénuries de médicaments – le chiffre monte à 83 % dans la capitale.

« C’est révoltant d’avoir autant de pétrole enfui sous nos pieds et de voir les gens mourir parce qu’il n’y a plus de médicaments », souffle Castro Mendez, professeur et docteur spécialisé en infectiologie à Caracas. D’après les statistiques de ce spécialiste proche de l’opposition, le pays a enregistré un excédent de décès de 180 000 individus sur dix ans, soit un mort toutes les vingt minutes pour des raisons dites « anormales » (traitement interrompu, dysfonctionnement de machine à dialyse ou respiratoire, absence d’oxygène dans une ambulance, etc.). « On meurt de malaria au Venezuela plus qu’ailleurs, ajoute-t-il. Les cas de tuberculoses et de diphtérie se multiplient. Il n’y a plus de traitement contre la leishmaniose dans tout le pays et que dire des traitements contre le cancer que l’on ne trouve plus que sur le marché noir… »

Corruption, vols, trafics et détournements : les histoires sordides finissent par constituer le lot quotidien le plus banal de ce Venezuela au bord de la consomption. A Barcelone, une ville sur la côte, les autorités ont arrêté le directeur de l’hôpital public parce qu’il a volé les machines respiratoires utilisées pour traiter les personnes aux poumons malades ainsi que des solutions d’intraveineuses pour les revendre. Il y a encore deux mois, raconte de son côté la jeune infirmière Laura, un camion entier de médicaments, envoyé par une fondation, était parvenu jusqu’à l’hôpital JM de Los Rios. Les caisses ont été déchargées. Puis tout a disparu. « Des enfants sont morts pour ça », glisse-t-elle.

Suivre cette jeune femme dans les couloirs de l’hôpital, c’est se laisser dériver sur une mer de souffrance et de solitudes. Ici, seules deux salles d’opération sur neuf sont encore en état de marche. « Et encore, il faut pour cela que les parents des enfants achètent tout, même les gants et le savon, pour l’opération et les traitements. »

Aux étages, les vitres sont cassées, les murs écaillés, les plafonds défoncés. Certains lits n’ont pas de matelas. Les fauteuils sont usés à l’os. Des couloirs entiers sont condamnés. Les quelques rares dessins d’enfants sont impuissants à consoler l’extrême désolation alentour.

Laura dit enregistrer une mort tous les quatre, cinq jours, parfois plus. « Mais les gens ne viennent plus, ils préfèrent mourir chez eux. »

Dans la première chambre, Luiza, 4 ans. Elle est ici depuis un mois avec une infection respiratoire. Elle a attrapé une maladie nosocomiale. Plus loin, dans une autre chambre, José, 3 ans. Il dort seul dans un lit sale, les yeux à moitié ouverts. Il est atteint de macrocéphalie. Opéré une première fois, il attend une deuxième intervention. « Je me souviens d’Ismaël, glisse Laura, il avait attendu un an pour une opération du cœur. »

Bien sûr, la jeune infirmière voudrait que l’aide humanitaire promise par l’opposition arrive au plus vite au Venezuela et ce malgré l’envoi, par Nicolas Maduro, de l’armée à la frontière. Elle sait que cette aide ne représente qu’une goutte d’eau. « Mais elle permettra peut-être de révéler enfin l’ampleur de cette catastrophe. »

20 février 2019

Venezuela. L’armée déterminée à empêcher l’entrée de l’aide

Semaine sous tension au Venezuela. Malgré les appels de l’opposant Juan Guaido, la majorité des militaires ont assuré rester fidèles à Nicolas Maduro et sont déterminés à empêcher l’aide humanitaire de passer les frontières.

Les militaires fidèles au président Nicolas Maduro se disent déterminés à défendre « l’intégrité territoriale » du Venezuela, face aux milliers d’opposants qui se préparent à converger vers les frontières le but de faire entrer l’aide humanitaire stockée aux portes du pays.

À l’appel de Juan Guaido, reconnu président par intérim par une cinquantaine de pays, quelque 700 000 volontaires, selon l’opposition, ont l’intention de se rendre à bord d’autocars le 23 février aux postes-frontière pour prendre livraison de l’aide humanitaire envoyée par les États-Unis et le Brésil. On ignore toutefois comment ils espèrent déjouer le blocus des militaires.

« Un clown qui se dit président par intérim »

Les présidents colombien Ivan Duque et chilien Sebastian Piñera, parmi les premiers à reconnaître Juan Guaido, ont prévu de se rendre vendredi dans la ville colombienne frontalière de Cucuta pour afficher leur soutien à l’opération. Plusieurs dizaines de tonnes de vivres et de médicaments envoyées par les États-Unis sont stockées dans cette ville, près du pont frontalier de Tienditas barré par les autorités vénézuéliennes.

« Les présidents à la botte des yankees comme ceux de Colombie et du Chili, qui encouragent la provocation et la violence contre le Venezuela, sont en train d’appeler à prendre d’assaut la frontière du Venezuela samedi prochain », a réagi Nicolas Maduro. Qualifiant Juan Guaido de « clown qui dit être président par intérim », il l’a mis au défi de « convoquer des élections » pour « renverser la situation avec le vote du peuple ».

Les militaires ont réaffirmé mardi leur « loyauté sans faille » envers Nicolas Maduro. Ils rejettent obstinément les appels à désavouer le dirigeant socialiste lancés par Juan Guaido et le président américain Donald Trump. Ils ont également annoncé la fermeture de la frontière maritime avec les îles néerlandaises d’Aruba, Bonaire et Curaçao, situées au large du Venezuela. Un avion en provenance de Miami chargé d’aide humanitaire est attendu à Curaçao.

« L’armée restera déployée le long des frontières »

Le ministre de la Défense, Vladimir Padrino, entouré du haut-commandement militaire, a assuré que l’armée ne céderait pas au « chantage ». Il a qualifié de « tissu de mensonges » la présentation par Donald Trump et Juan Guaido de « cette prétendue aide humanitaire » comme un sujet de confrontation entre civils et militaires vénézuéliens. « L’armée restera déployée et en alerte le long des frontières (…) pour empêcher toute violation de l’intégrité du territoire », a averti le ministre.

Juan Guaido a envoyé mardi un message sur Twitter à chacun des chefs militaires des régions frontalières : « Le 23 février, vous devez choisir entre servir Maduro et servir la Patrie », leur a-t-il écrit. Il a également demandé à ses partisans d’écrire à chaque soldat « en argumentant, sans violence, sans insulte » pour expliquer les « raisons pour lesquelles ils doivent se ranger derrière les millions (de Vénézuéliens) qui demandent l’entrée de l’aide ».

Jusqu’à présent, seuls quelques responsables militaires se sont ralliés à Guaido, pour la plupart des officiers subalternes ou n’exerçant aucun commandement. Dernier en date : un conseiller militaire adjoint du Venezuela à l’ONU, le colonel Pedro José Chirinos, qui s’est déclaré mercredi « en désobéissance totale et absolue face au gouvernement illégalement constitué de Monsieur Nicolas Maduro » dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.

Pénuries de nourriture et de médicaments

Samedi, le Brésil va également mettre à disposition de l’aide humanitaire à Boa Vista et Pacaraima (nord) « en coopération avec les États-Unis ». Des aliments et médicaments seront disponibles pour être collectés « par le gouvernement (autoproclamé) de Juan Guaido, par des camions venézuéliens conduits par des Vénézuéliens », a précisé le porte-parole de la présidence brésilienne, Otavio Régo Barros.

L’entrée d’aide venue des États-Unis est un sujet extrêmement sensible au Venezuela, même si le pays est en proie à des pénuries de nourriture et de médicaments qui ont poussé à l’exil plus de deux millions de Vénézuéliens depuis 2015, selon l’ONU. Nicolas Maduro voit dans l’aide humanitaire les prémices d’une intervention militaire américaine, et rejette la responsabilité des pénuries sur les sanctions de Washington. Les tractations diplomatiques se concentrent sur cette question de l’assistance à un peuple qui a faim.

Un mois après s’être autoproclamé président

Après une rencontre avec Juan Guaido mardi, les ambassadeurs de France, du Royaume-Uni, d’Italie, d’Espagne et d’Allemagne, ont annoncé 18 millions dollars d’aide, outre l’envoi par la France de 70 tonnes de médicaments et de vivres. Nicolas Maduro a annoncé l’acheminement mercredi de 300 tonnes de médicaments achetés à la Russie, alliée de Caracas, en plus des 933 tonnes achetées récemment à la Chine, la Russie et Cuba.

Juan Guaido a choisi la date symbolique du 23 février pour l’entrée de l’aide, un mois tout juste après son autodéclaration comme président par intérim, à la suite de la décision du Parlement de déclarer Nicolas Maduro comme « usurpateur » considérant qu’il a été réélu frauduleusement.

Vendredi, un concert pro-Guaido avec des artistes internationaux est prévu à Cucuta, financé par le milliardaire britannique Richard Branson. Un autre concert, organisé par le pouvoir chaviste, aura lieu au même moment, côté vénézuélien.

Mardi, le musicien britannique Roger Waters, un des fondateurs du groupe Pink Floyd, a critiqué le concert organisé par le fondateur du groupe Virgin, qui, selon lui, « n’a rien à voir avec l’aide humanitaire », mais « avec le fait que Richard Branson a pris pour argent comptant ce que disent les États-Unis » sur la situation au Venezuela.

15 février 2019

Vénézuéla

venezuela

Publicité
<< < 1 2 3 4 > >>
Publicité