Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
17 juillet 2019

Autoportrait - à la Fondation EDF

IMG_8550

Publicité
17 juillet 2019

En Bretagne, l’angoisse des algues vertes ravivée

algues22

Par Nicolas Legendre, Saint-Brieuc, envoyé spécial

Six plages jonchées d’« ulva armoricana », mise en cause dans plusieurs décès, ont été interdites d’accès.

Dans l’anse d’Yffiniac (Côtes-d’Armor), ce mois de juillet a des allures de janvier. Aucun enfant ne joue sur les plages. Très peu de promeneurs s’aventurent sur le sentier côtier. Depuis le printemps, les algues vertes prolifèrent ici en quantité exceptionnelle : un tapis malodorant recouvre à perte de vue les sables et vasières de cette réserve naturelle située en baie de Saint-Brieuc. Alors que d’autres zones du littoral breton sont concernées, dans une moindre mesure, par un phénomène semblable, et qu’une succession d’événements a contribué, ces dernières semaines, à braquer de nouveau les projecteurs sur ce « fléau » armoricain, les autorités évoquent un nécessaire durcissement des mesures de lutte.

En juin, près de 500 hectares de la baie de Saint-Brieuc ont été constellés d’ulva armoricana, selon les observations effectuées par le Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA). Un record, pour cette période de l’année ; 150 kilomètres plus à l’ouest, dans la baie de Douarnenez (Finistère), des quantités importantes d’algues ont tapissé plusieurs plages.

L’intégralité du littoral breton, qui totalise 2 730 kilomètres de linéaire côtier, n’est pas concernée, et seules six plages sont actuellement interdites d’accès, alors que la région en compte environ 500. Il n’empêche : dans la péninsule, qui subit depuis quarante ans le « verdissement » des estrans (partie du littoral périodiquement recouverte par la marée), les esprits s’échauffent.

Une énième pétition dénonçant « l’échec total des plans mis en œuvre » pour remédier au problème a été lancée récemment par des associations bretonnes. Et le spectre du risque sanitaire lié à l’inhalation de sulfure d’hydrogène, gaz exhalé dans certaines circonstances par les algues en décomposition, hante à nouveau les esprits.

Conjoncture météorologique

Samedi 6 juillet, un jeune ostréiculteur de 18 ans est décédé brutalement en baie de Morlaix (Finistère). Trois jours plus tard, un estivant de 70 ans trouvait la mort alors qu’il nageait à Plonévez-Porzay, dans le même département. Il s’agit, dans chaque cas, de zones concernées par des proliférations de « laitue de mer ».

La préfecture a ordonné l’autopsie du corps de l’ostréiculteur. Les résultats doivent être communiqués d’ici à la fin du mois de juillet. Dans ce contexte, une certaine fébrilité est perceptible chez les élus locaux et les représentants de l’Etat, qui redoutent le possible déferlement d’un tsunami médiatico-politique en cas de lien avéré entre l’un de ces décès et la présence d’algues vertes.

Selon les experts du CEVA, les proliférations actuelles sont principalement liées à la conjoncture météorologique (hiver relativement calme, fortes pluies en juin, températures élevées en juillet).

Cette « poussée de fièvre » intervient alors que la quantité d’algues vertes a tendance à diminuer en Bretagne depuis la fin des années 2000. La profession agricole, responsable, selon les scientifiques, d’environ 95 % des rejets d’azote dans les cours d’eau, a en effet consenti – de l’avis général – des efforts importants. L’évolution des pratiques agronomiques a entraîné une baisse des niveaux d’azote, donc une diminution des quantités de nitrates dont se « nourrissent » les ulves. Mais, dans ce domaine, une stagnation a été observée depuis deux à trois ans, sans que cela soit pour le moment expliqué.

Thierry Burlot, vice-président (PS) du conseil régional de Bretagne chargé de l’environnement, considère que « le discours ambiant, consistant à dire que les choses s’améliorent, a peut-être entraîné un certain relâchement ». Et d’évoquer la « lenteur au démarrage » du deuxième plan gouvernemental de lutte contre les algues vertes, mis en place à partir de 2017. De quoi donner du grain à moudre aux associations de protection de l’environnement qui plaident à l’unisson en faveur d’un « changement de braquet » dans la transformation des pratiques agricoles.

« Cela fait déjà trois ans que les taux de nitrates ne baissent plus, déplore Jean-Yves Piriou, vice-président de l’association Eau et rivières de Bretagne. Si l’on veut faire descendre les chiffres beaucoup plus bas, il faudra des mesures nouvelles, beaucoup plus ambitieuses. »

Indéniable évolution

Le conseil régional et l’Etat semblent abonder (au moins partiellement) en ce sens. Ce qui, en soi, constitue une sorte de tournant. Les uns et les autres prennent certes des pincettes et précisent qu’il ne s’agit en aucun cas de « stigmatiser les agriculteurs » – le sujet, de fait, s’avère sensible, puisque la profession dispose d’un poids économique et symbolique considérable en Bretagne. Mais le discours des autorités témoigne d’une indéniable évolution.

« Jusque-là, la profession agricole a toujours eu le souci d’appréhender les rejets de nitrates de façon globale et qu’on ne cible pas individuellement les exploitations, explique M. Burlot. Mais je pense que cette approche n’est plus possible. On sait désormais où sont les dépassements. Donc il faut agir, aller voir les personnes concernées, expliquer et sanctionner. »

La préfète de région, Michèle Kirry, tout en plaidant pour une « évolution » plutôt qu’une « révolution », indique que l’Etat souhaite « renforcer les contrôles ciblés ». Elle ajoute qu’elle sera « particulièrement vigilante sur le développement des exploitations et notamment l’agrandissement des élevages intensifs », alors que l’Etat est accusé de laxisme dans ce domaine depuis des années.

Dans ce contexte, la sortie en librairie le 12 juin de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite (La Revue dessinée-Delcourt), a rencontré un vif écho. Résultat de trois années d’enquête menée par la journaliste indépendante Inès Léraud, avec le dessinateur Pierre Van Hove, ce document met notamment en lumière la supposée « politique de l’autruche » de l’Etat face à la prolifération desdites algues, et dénonce l’imbrication d’intérêts économiques, politiques et industriels qui aurait conduit à la minimisation des risques environnementaux et sanitaires. Tiré à 6 000 exemplaires, l’ouvrage est en cours de réimpression.

algues20

De très nombreux paramètres

Impossible, à ce stade, de savoir si la situation actuelle entraînera des évolutions majeures sur le front des algues vertes. Notamment parce que la lutte contre ce phénomène, qui dépend de très nombreux paramètres, se révèle extrêmement complexe. Il faudrait, pour l’éradiquer totalement, atteindre une moyenne de 10 mg/l de nitrates dans les cours d’eau bretons, contre 30 à 35 actuellement et plus de 50 en 1990.

« La Bretagne est la région de France qui a le plus travaillé sur la qualité de l’eau ces dernières années et qui a le plus de réglementations en la matière, affirme Edwige Kerboriou, éleveuse laitière à Plouzélambre (Côtes-d’Armor) et vice-présidente de la chambre d’agriculture de Bretagne. Les agriculteurs ont pris conscience de l’enjeu et y travaillent. Mais c’est long et il n’y a pas de solution idéale. »

Autant d’éléments qui amènent à relativiser les paroles d’Alain Cadec, président (Les Républicains) du conseil départemental des Côtes-d’Armor, qui déclarait en début d’année, alors qu’un bassin-versant de son territoire venait de sortir d’une procédure européenne de contentieux sur la qualité de l’eau : « On est en train de gagner la bataille des nitrates. »

17 juillet 2019

Nobuyoshi Araki

araki66

araki68

araki33

17 juillet 2019

Pionniers de l’aventure spatiale, les Soviétiques ont pourtant perdu la course

Par Pierre Barthélémy

La Lune, une aventure (3/6). Le 4 octobre 1957, les Russes réussissent, avec Spoutnik, la première mise en orbite d’un satellite autour de la Terre. Les missions Luna puis l’exploit de Iouri Gagarine, le 12 avril 1961, assoient leur avance sur les Etats-Unis. Mais, après 1965, les déconvenues s’accumulent.

C’est une Lune miniature en tôle peinte, accompagnée de deux petits astronautes et de fusées minuscules, tous montés sur des aimants. Un jouet que la marque savoyarde Mont-Blanc commercialise en 1968, un an avant que Neil Armstrong fasse son premier pas historique.

Les instructions de la notice disent ceci : « Le globe lunaire dont vous disposez maintenant est une reproduction très précise de l’ensemble des régions connues de notre satellite naturel. Vous remarquerez que nous y avons fait figurer les emplacements des impacts de toutes les fusées, russes et américaines, qui ont, à ce jour, atteint leur but. En plaçant les fusées magnétiques, rouges pour l’URSS et blanches pour les USA, vous aurez une vision précise et immédiate de cette grande “COURSE À LA LUNE”. Au fur et à mesure des futurs atterrissages (alunissages), vous continuerez à marquer les “points” des deux “challengers”. Enfin, quand arrivera le grand jour du premier cosmonaute se posant sur la Lune, vous placerez ce héros historique sur le globe, exactement au lieu même de son atterrissage. Sera-t-il rouge ou blanc ? »

En réalité, en cette année 1968, les Soviétiques ont déjà perdu la course depuis un petit moment. Comme l’explique Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherches au CNRS et spécialiste des politiques spatiales, le premier à vouloir révéler le pot aux roses s’appelle Leonid Vladimirov : « C’est un journaliste scientifique qui a fui l’URSS en 1966. Il présente alors à des éditeurs britanniques un projet de livre où il affirme que l’Union soviétique n’est plus dans la course à la Lune. Personne n’accepte de le publier. »

Lorsque son ouvrage paraît finalement en 1971 sous le titre The Russian Space Bluff (Tom Stacey, non traduit), Leonid Vladimirov raconte en introduction comment, après avoir demandé l’asile politique au Royaume-Uni, il a été ébahi de constater que les Occidentaux croyaient dur comme fer à la possibilité qu’un Soviétique soit le premier à fouler le sol sélénite. Il a beau, devant le directeur d’une des plus grandes maisons d’édition londoniennes, s’exclamer que « c’est impossible », son interlocuteur regarde sa montre et lui répond : « Je crains que le nombre des choses impossibles dans ce monde devienne de moins en moins grand. Mais s’il y a quelque chose d’impossible, croyez-moi, c’est la publication de votre livre. Du moins jusqu’à ce que nous ayons la réponse à la question de savoir qui sera le premier » à aller sur la Lune.

« Le jouet de Korolev »

Pour Isabelle Sourbès-Verger, cette « censure » s’explique parce qu’« il était impensable, en 1966, de dire que les Américains étaient en train de courir contre quelqu’un qui ne faisait pas la course ». Cela posé, si, dans cette seconde moitié des années 1960, Leonid Vladimirov se transforme à son corps défendant en Cassandre moderne, c’est aussi parce que, depuis près d’une décennie, la planète est biberonnée à l’idée que l’URSS détient une grande avance dans le domaine spatial. De fait, les Soviétiques ont à leur crédit une impressionnante série de premières qui commence le 4 octobre 1957. Le monde entier est sidéré par le bip-bip émis par Spoutnik-1, le premier satellite artificiel.

Directeur de la rédaction du magazine Ciel & Espace et grand connaisseur du spatial russe, Alain Cirou se rappelle sa rencontre, en 2007, avec Boris Tchertok, le dernier membre vivant (il est mort en 2011) de l’équipe ayant réalisé ce lancement historique. A la question « Que représentait Spoutnik pour ses constructeurs ? », l’ancien ingénieur répond du tac au tac : « Rien du tout ! La tâche essentielle pour nous, c’était de faire une fusée, le missile intercontinental R-7 », aussi connu par son surnom de fusée « Semiorka ».

« LE MONDE A COMMENCÉ À S’AFFOLER. ET NOUS, ON NE SAISISSAIT PAS BIEN CE QUI SE PASSAIT : POURQUOI APPLAUDISSAIT-ON UNE PETITE BOULE PLUTÔT QUE NOTRE BELLE FUSÉE ? », SE REMÉMORAIT BORIS TCHERTOK EN 2007

Mais, en ce début d’automne 1957, Sergueï Korolev, principal acteur et metteur en scène du spatial soviétique, a insisté auprès de Nikita Khrouchtchev, le numéro un du Kremlin, pour que la R-7 emporte dans l’espace une très simple sphère d’aluminium, munie d’antennes, d’une batterie et d’un émetteur radio. Voilà Spoutnik, que les ingénieurs surnomment « le jouet de Korolev ». Deux ou trois jours après le décollage, se remémorait en 2007 Boris Tchertok, « le monde a commencé à s’affoler. Et nous, on ne saisissait pas bien ce qui se passait : pourquoi applaudissait-on une petite boule plutôt que notre belle fusée ? »

Les succès de « l’homme nouveau »

Seul Sergueï Korolev a pressenti l’importance symbolique de cette première mise en orbite d’un objet façonné par des humains : Homo sapiens a dorénavant accès à l’espace, il ne sera bientôt plus prisonnier de la Terre.

« Cela avait échappé à Khrouchtchev, à l’agence Tass, à tout le monde, décrypte Alain Cirou. Spoutnik, c’est un point que l’URSS marque sans le faire exprès ! Cela n’a pas été voulu, prémédité… Si, ensuite, les premières dans l’espace se succèdent, c’est avant tout parce que les Soviétiques disposent des capacités d’emport avec la R-7. »

MOSCOU COMPREND QUE LE CIEL AU-DESSUS DE NOS TÊTES S’AVÈRE LE LIEU RÊVÉ POUR LA PROPAGANDE DU SYSTÈME COMMUNISTE

Il y a une autre raison, moins technique et beaucoup plus politique. Ainsi que le souligne Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, Moscou comprend que le ciel au-dessus de nos têtes s’avère le lieu rêvé pour la propagande du système communiste : les succès des cosmonautes soviétiques seront ceux de « l’homme nouveau, émancipateur. L’espace ne sera pas seulement un affrontement de deux puissances, mais aussi un affrontement de deux modèles, de deux sociétés. La question qui se pose alors aux Etats-Unis est : notre modèle de société permet-il de faire cela ? »

Et la question va revenir de manière lancinante. Le 3 novembre 1957, la chienne Laïka est le premier être vivant à partir – et à mourir – dans l’espace. En janvier 1959, la sonde Luna-1 devient le premier engin à quitter l’orbite terrestre et à survoler la Lune (à environ 6 000 km d’altitude). Quelques mois plus tard, le 13 septembre, Luna-2, en s’écrasant sur notre satellite, est le premier vaisseau spatial à toucher un autre astre. Le 7 octobre, Luna-3 photographie pour la première fois la face cachée de la Lune.

En août 1960, Spoutnik-5 est la première mission à ramener sur Terre sains et saufs les êtres vivants (deux chiens, quarante souris, deux rats ainsi que des plantes) qu’elle a lancés dans l’espace. Ce qui prépare le premier voyage spatial et la première mise en orbite d’un humain, réussie avec Iouri Gagarine le 12 avril 1961. Un an plus tard, en août 1962, ce sont deux vaisseaux habités, Vostok-3 et 4, qui sont simultanément dans l’espace. Le 16 juin 1963 s’envole la première femme, Valentina Terechkova.

Première sortie extravéhiculaire

Même si, entre-temps, John Fitzgerald Kennedy a mis son pays en ordre de bataille pour le programme Apollo, surnage l’impression générale que les Etats-Unis ne cessent de courir derrière l’URSS. Paradoxalement, c’est un nouveau succès qui va montrer aux Soviétiques leurs propres limites. Le 18 mars 1965, Alexeï Leonov devient le premier homme à faire une « marche de l’espace », ce qu’en termes moins imagés on nomme une « sortie extravéhiculaire ». En direct à la télévision, il s’extrait du Voskhod et flotte dans l’espace, seulement relié au vaisseau par un genre de cordon ombilical de quelques mètres.

« MES GANTS, MES BOTTES, TOUT MON SCAPHANDRE AVAIT ENFLÉ. COMME LE BIBENDUM DE LA PUBLICITÉ MICHELIN », RÉSUMERA PLUS TARD ALEXEÏ LEONOV

L’ennui, c’est que sa combinaison n’a pas été bien conçue. Dans le vide spatial, elle s’est dilatée. « Mes gants, mes bottes, tout mon scaphandre avait enflé. Comme le Bibendum de la publicité Michelin », résumera plus tard Leonov. Gonflé comme un ballon de baudruche, il ne peut plus passer le sas pour retourner à l’intérieur du Voskhod. « On interrompt alors la retransmission télévisée, raconte Alain Cirou, on diffuse de la musique classique et tout le monde se dit qu’il est mort. C’est un miracle qu’il rentre. » Leonov a tenté le tout pour le tout, il a actionné une valve pour réduire la pression à l’intérieur de son scaphandre et il est passé en force. La fin du vol sera émaillée d’autres incidents, au point qu’Alexeï Leonov et son coéquipier, Pavel Beliaïev, atterriront à plusieurs centaines de kilomètres du point prévu. Le programme Voskhod est abandonné et il faut concevoir un autre vaisseau, le Soyouz. Pendant deux ans, plus personne, de l’autre côté du rideau de fer, ne partira dans l’espace.

Le cosmonaute suivant s’appelle Vladimir Komarov. Les tests menés à vide sur la capsule Soyouz ont mis en évidence plusieurs dysfonctionnements mais peu importe, les autorités soviétiques veulent reprendre la main dans la course à l’espace, profiter du fait que les Américains aient eux aussi subi un coup d’arrêt après le drame d’Apollo-1, un test au sol au cours duquel, le 27 janvier 1967, les astronautes Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee ont péri dans l’incendie de leur module de commande.

Le drame de Soyouz-1

Le 23 avril, Vladimir Komarov décolle de la base kazakhe de Baïkonour. La suite, Alain Cirou et Jean-Philippe Balasse la narrent dans leur livre Les Hommes de la Lune (Seuil, 224 pages, 34,90 euros) : « Très rapidement le vol dégénère, des systèmes vitaux tombent en panne et il faut interrompre la mission. Komarov a tout juste le temps de s’entretenir par radio avec sa famille avant de chuter comme une pierre et de s’écraser au sol. Le parachute ne s’est pas ouvert : le cosmonaute est tué. » Le Soyouz, un des éléments de base du programme lunaire, n’est pas prêt. Si tant est que les Soviétiques ont vraiment pensé un jour être les premiers à aller sur la Lune, cet échec sonne le glas de leurs espoirs.

Soyouz ne constitue même pas le plus important de leurs soucis. Pour emporter un équipage sur la Lune, il faut une fusée surpuissante, et l’URSS ne l’a pas. Surtout, son génie de la propulsion, Sergueï Korolev, l’équivalent soviétique de Wernher von Braun chez les Américains, n’a pas survécu à une opération chirurgicale en 1966.

Avant de mourir, il a développé le lanceur N-1 pour le programme lunaire. « Avec son architecture à trente moteurs en fagot pour le premier étage, c’est un truc de dingue, résume Alain Cirou. Il faut que tous fonctionnent bien ou que les autres compensent. » Mission impossible. D’autant que, souligne Xavier Pasco, « il y a des problèmes de qualité technique industrielle ». Le lanceur vibre de partout, ce qui fait lâcher les tuyauteries, les turbopompes, fuir le carburant… La fusée N-1 sera détruite à chacun de ses quatre vols, effectués entre 1969 et 1972.

« LES RUSSES NE COMMUNIQUENT PAS SUR LEURS ÉCHECS. DERRIÈRE LA FAÇADE, IL Y A BEAUCOUP DE PROBLÈMES TECHNIQUES ET UN DÉCHET MONSTRUEUX », ASSURE ALAIN CIROU

Comment expliquer cette déroute alors que l’URSS est perçue comme la championne incontestée du spatial ? Première raison avancée : la mariée n’est pas si belle. « Le filtre de la propagande, qui ne parle que des succès, fait croire qu’il n’y a que des premières, mais quand on regarde les statistiques, on est effaré par le nombre d’échecs sur les lanceurs, assure Alain Cirou. Alors que pour les programmes américains Mercury, Gemini, Apollo, toutes les fusées partent, côté soviétique, c’est une catastrophe. On a des lancements qui échouent, des fusées qui explosent, des engins qui n’atteignent pas la bonne orbite. Mais les Russes ne communiquent pas sur leurs échecs. Ne ressortent que les annonces victorieuses. Derrière la façade, il y a beaucoup de problèmes techniques et un déchet monstrueux. »

Ainsi, sur les quarante-cinq missions automatiques lancées vers la Lune, seulement quinze, soit un tiers, rempliront leurs objectifs.

« Concurrences internes »

Cependant, la raison profonde de l’échec soviétique dans la course à la Lune est à chercher du côté de l’organisation. Au début des années 1960, « côté Américain, certains se disent que les plans quinquennaux soviétiques ont du bon, et on met sur pied un plan décennal pour Apollo, on réactive la grosse machine de guerre sous l’égide de la NASA, explique Isabelle Sourbès-Verger. Le système russe, lui, n’a pas de structure capable d’exercer un leadership unique. Il n’a pas créé d’agence et fonctionne avec des concurrences internes et plusieurs grands “bureaux d’étude”, les OKB. »

Les trois principaux OKB dans le secteur spatial sont dirigés par Sergueï Korolev, Vladimir Tchelomeï – père de la fusée Proton, lanceur lourd qui est toujours en activité aujourd’hui – et Mikhaïl Yanguel, spécialiste de missiles intercontinentaux. « Khrouchtchev était un paysan dont la philosophie se résumait ainsi : on ne met pas tous ses œufs dans le même panier », explique Alain Cirou.

Au point que deux programmes lunaires différents vont être développés en parallèle ! Celui de Korolev, qui, avec la fusée N-1 et le vaisseau Soyouz, veut se poser sur la Lune. Et celui de Tchelomeï, dont l’ambition, moins grande, consiste à se mettre en orbite autour de notre satellite naturel. « Quand Sergueï Afanassiev est nommé en 1965 à la tête du tout nouveau ministère des machines générales pour essayer de coordonner tout le monde, il n’y parvient pas, constate Alain Cirou. Il y a plus d’une centaine de structures différentes, et le puzzle n’est plus réconciliable. »

« APOLLO A ÉTÉ UN SUCCÈS GRÂCE À SON ORGANISATION À LA SOVIÉTIQUE, TRÈS PYRAMIDALE, ALORS QUE CHEZ LES SOVIÉTIQUES LA MISE EN CONCURRENCE À L’AMÉRICAINE A CONDUIT À UNE DÉPERDITION DES FORCES », RÉSUME LE JOURNALISTE PHILIPPE HENAREJOS

Les efforts sont divisés, les moyens aussi, sans compter que les « concurrents » font parfois des choix techniques différents et qu’ils perdent de l’énergie en lobbying auprès de la Nomenklatura… Pour couronner le tout, les rivalités entre personnes nuisent à l’efficacité.

Le meilleur exemple de cette division, dit Alain Cirou, est celui de « Valentin Glouchko, le roi des moteurs, qui choisit le camp Tchelomeï alors que la fusée N-1 de Korolev avait le plus besoin d’un motoriste ». « L’ironie de l’histoire, conclut Philippe Henarejos, rédacteur en chef à Ciel & Espace, c’est qu’Apollo a été un succès grâce à son organisation à la soviétique, très pyramidale, alors que chez les Soviétiques la mise en concurrence à l’américaine a conduit à une déperdition des forces… »

L’échec de Luna-15

Le 13 juillet 1969, alors que sont effectués, à Cap Canaveral (Floride), les derniers préparatifs d’Apollo-11, la première mission qui posera des hommes sur la Lune, une fusée Proton décolle de Baïkonour. A son bord, Luna-15, un engin qui doit atterrir sur notre satellite, y prélever des échantillons et les rapporter sur Terre. Un exploit technique inédit censé atténuer – si ce n’est masquer, pour les populations de l’URSS – le séisme que va constituer l’annonce du premier pas d’un Américain dans la mer de la Tranquillité. L’ultime épisode de la course à la Lune, même déséquilibré, se joue.

Quand la fusée Saturn-V emporte Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins, la NASA ignore qu’un autre vaisseau spatial prend la même route. En l’apprenant, les Américains oublient la guerre froide et contactent d’urgence leurs homologues soviétiques pour s’assurer qu’il n’y a aucun risque de collision !

Luna-15 reste en orbite lunaire deux jours et entame sa descente alors qu’Armstrong et Aldrin ont déjà fini de fouler le régolithe lunaire. Mais quelque chose se passe mal, et Luna-15 s’écrase lamentablement dans la bien nommée mer des Crises. Dans une langue de bois du plus pur style soviétique, le communiqué de Moscou dit simplement que « la Station a quitté son orbite pour atteindre la surface de la Lune dans la zone prévue »…

Même si l’anecdote constitue une belle mise en abyme de l’échec du projet soviétique, tout n’a pas été à jeter dans cette aventure spatiale. Ce que la mission Luna-15 n’est pas parvenue à faire, Luna-16, 20 et 24 le réussiront, en rapportant sur Terre un total de plus de 300 grammes d’échantillons entre 1970 et 1976. C’est certes mille fois moins que la récolte des missions Apollo, mais il faut noter que les Soviétiques auront l’élégance de partager leur maigre butin avec des chercheurs occidentaux.

Le « paquet » de Buzz Aldrin

Et ce n’est pas tout. « La seule chose forte que l’URSS réussit à faire, reconnaît Alain Cirou, c’est de poser sur la Lune et de piloter deux rovers, les Lunokhod. » Le premier arrive dans la mer des Pluies le 17 novembre 1970, le second atterrit dans le cratère Le Monnier le 15 janvier 1973.

A eux deux, ils enverront des dizaines de milliers d’images de la Lune et parcourront une cinquantaine de kilomètres, inaugurant l’ère de l’exploration des autres corps du Système solaire par des robots mobiles. « C’était un très bon programme, qui est arrivé trop tard », résume Alain Cirou. Trop tard parce que la course à la Lune est achevée et l’enjeu idéologique qui la sous-tendait, dépassé : « A ce moment-là, analyse Isabelle Sourbès-Verger, plus personne ne croit que le modèle soviétique est le bon modèle. Les Américains ont gagné. »

PAR CE GESTE, LES ASTRONAUTES AMÉRICAINS ENVOIENT IOURI GAGARINE ET VLADIMIR KOMAROV SUR LA LUNE

Aucun Soviétique n’a marché sur la Lune. Oui, les Américains ont gagné, mais pas sans rendre hommage à leurs adversaires. Le 21 juillet 1969, quand ils rentrent dans le module lunaire (LEM), Neil Armstrong demande à Buzz Aldrin : « Et le paquet dans ta manche, tu l’as sorti ? » La réponse est non. « Aldrin, qui est déjà remonté dans le LEM, sort le paquet et il le jette par la porte ouverte, raconte Philippe Henarejos. Armstrong, qui est encore en bas, l’écarte du patin d’atterrissage avec le pied. »

Dans ce mystérieux paquet se trouve l’insigne de la mission Apollo-1, qui porte les noms de Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee, morts en 1967. Il y a aussi deux médailles : la première en souvenir du premier homme dans l’espace, Iouri Gagarine, qui s’est tué dans un accident d’avion en 1968, la seconde à la mémoire de Vladimir Komarov, le « sacrifié » de Soyouz-1. Par ce geste, les astronautes américains envoient leurs deux homologues sur la Lune et ils reconnaissent que, tout Soviétiques qu’ils aient été, ils avaient comme eux « l’étoffe des héros ».

17 juillet 2019

Carole Laure

carole laure

Publicité
17 juillet 2019

La une de Libération

libé rugy

17 juillet 2019

La démission de François de Rugy prend de court l’exécutif

rugy55

Par Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié, Manon Rescan - Le Monde

Son départ intervient alors que « Mediapart » s’apprêtait à publier de nouvelles révélations le concernant. Le ministre a déposé plainte contre le site pour diffamation.

La pression aura été trop forte. Une semaine après les premières révélations du site Mediapart concernant des dépenses effectuées dans son logement de fonction au ministère et lors de dîners fastueux donnés lorsqu’il présidait l’Assemblée nationale, François de Rugy a finalement fait le choix, mardi 16 juillet, de démissionner de son poste de ministre de la transition écologique et solidaire.

Une décision qui a pris de court l’exécutif, qui avait décidé de soutenir le numéro deux du gouvernement et diligenté une enquête interne pour tenter de faire retomber la pression.

« La mobilisation nécessaire pour me défendre fait que je ne suis pas en mesure d’assumer sereinement et efficacement la mission que m’ont confiée le président de la République et le premier ministre », a écrit François de Rugy sur son compte Facebook.

Cette démission intervient alors que Mediapart s’apprêtait à publier de nouvelles révélations le concernant. Dans un article mis en ligne en début d’après-midi, et sur lequel le successeur de Nicolas Hulot à la transition écologique avait été interrogé la veille au soir, le site assure que François de Rugy, lorsqu’il était député de Loire-Atlantique, a utilisé son indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) pour payer une partie de ses cotisations à Europe Ecologie-Les Verts (EELV) en 2013 et 2014. Or, non seulement cette indemnité ne peut pas être utilisée pour payer une cotisation à un parti politique, mais l’élu avait déduit ce versement du calcul de son impôt sur le revenu, alors que l’IRFM est déjà défiscalisée.

« Depuis le début de la semaine dernière, Mediapart m’attaque sur la base de photos volées, de ragots, d’approximations, d’éléments extérieurs à ma fonction », s’est plaint François de Rugy sur Facebook, assurant être « soumis à un feu roulant de questions nouvelles et contraint de parer sans cesse à de nouvelles attaques ». Selon lui, « la volonté de nuire, de salir, de démolir, ne fait pas de doute » et c’est pour cette raison qu’il a annoncé avoir déposé « une plainte pénale en diffamation » contre le site d’investigation.

« Un été meurtrier tous les ans ! »

Emmanuel Macron a accepté la démission de son ministre, présentée par l’Elysée comme une « décision personnelle ». Une version accréditée par plusieurs responsables de la majorité, selon lesquels ce ministre fragilisé aurait plié sous la pression.

rugy44

« François de Rugy est en saturation sur le plan personnel. Il est à bout car ce qu’il vit depuis une semaine est violent », observe la porte-parole des députés La République en marche (LRM), Olivia Grégoire. Pour justifier sa décision, il a lui-même mis en avant « les attaques et le lynchage médiatique dont [s]a famille fait l’objet ».

Rien ne laissait pourtant présager une telle volte-face de la part de celui qui disait encore, mardi matin dans Ouest France, vouloir rester à tout prix à son poste. Au contraire : après plusieurs jours de flottement, où certains ministres et députés LRM n’hésitaient pas à l’accabler, l’exécutif et la majorité semblaient bien décidés à faire bloc derrière lui. Le chef de l’Etat avait lui-même lancé lundi une mise en garde contre la « République de la délation » et dit refuser de prendre des décisions « sur la base de révélations » et non de faits, en marge d’un voyage officiel en Serbie.

Selon nos informations, l’exécutif avait même demandé aux membres de la majorité de serrer les rangs derrière le ministre. « Le mot d’ordre, c’est solidarité interne face à la délation », expliquait un poids lourd du groupe LRM à l’Assemblée nationale, lundi soir.

Même si la polémique autour de son train de vie n’a pas été appréciée, l’exécutif ne semblait pas vouloir laisser tomber le soldat Rugy. Au risque de donner une victoire à la presse. « La première volonté, c’était de ne pas céder à la pression de Mediapart », confiait un ministre, juste avant l’annonce de la démission.

Mais à partir du moment où cette affaire virait au feuilleton, la position de François de Rugy devenait de plus en plus intenable. « On n’a pas besoin de se faire un été meurtrier tous les ans ! », s’agace un député LRM.

Comme lui, plusieurs élus macronistes craignaient que l’épisode ne dégénère en regrettable série estivale, comme cela a été le cas un an auparavant avec l’affaire Benalla. Et ils préconisaient, en conséquence, de ne « pas laisser pourrir l’affaire ». « Il ne faut pas que cela dure car cela fait beaucoup de tort », estimait ainsi un membre du gouvernement, mardi midi. Surtout, comment François de Rugy, si fragilisé par les accusations contre lui, aurait-il pu être crédible pour porter l’ambition écologique de l’exécutif ?

Crainte d’un retour du « tous pourris »

La démission du numéro deux du gouvernement n’en reste pas moins un nouveau coup dur pour l’exécutif car elle ouvre une nouvelle période d’instabilité au ministère de l’écologie, onze mois après la démission fracassante de Nicolas Hulot. De quoi compliquer la tâche du chef de l’Etat, qui veut faire de la préservation de l’environnement un des marqueurs de l’acte II de son quinquennat. « Malgré cette affaire, il faut absolument qu’on reste audible et crédible sur l’écologie », souligne un ministre. Un défi ardu.

A l’Assemblée nationale, la démission a suscité des réactions contenues mardi après-midi. Damien Abad, député Les Républicains (LR) de l’Ain, a salué une « décision sage qui était devenue inéluctable ». « Sa mission à la tête de son ministère devenait difficile à cause du décalage, au même moment, entre les efforts demandés par l’exécutif aux Français (assurance chômage, aides au logement, réforme des retraites) et l’image renvoyée par ce ministre d’une France qui va bien », a ajouté Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste. Quant au député de la Somme François Ruffin, élu sous la bannière de La France insoumise, il s’est seulement arrêté pour asséner que cette démission est « superficielle » par rapport à l’urgence du dérèglement climatique.

La relative sobriété des réactions s’explique aussi par une crainte, qui plane depuis une semaine au-dessus du Palais-Bourbon : celle du retour du « tous pourris ».

« Quand il y a une affaire de ce type, ce n’est pas le gouvernement et la majorité qui sont perdants, on est tous perdants », commente un élu socialiste. Ces derniers jours, les députés ont constaté à quel point les photos des dîners fastueux à l’Hôtel de Lassay se sont durablement installées dans l’opinion. « J’ai fait un déplacement avec une ministre hier, on ne me parlait que de homards », se désole un député LRM.

Ces craintes se doublent d’une gêne. « On le fait démissionner sur des allégations, des affirmations. C’est la porte ouverte à toutes les dérives ! », fustige le député (LR) de la Manche Philippe Gosselin. Des mots que la majorité n’aurait pas reniés, mardi après-midi.

« Le temps médiatique est devenu le temps de la justice pour les politiques. Mis en cause, vous avez à peine le temps de vous défendre que vous êtes déjà coupable », déplore un député macroniste. « On a l’impression d’être dans une chasse à l’homme, c’est à vous dégoûter d’être ministre ! », s’emporte un autre. En deux ans de mandat, les macronistes ont appris à se méfier de l’un des mots d’ordre, sur lesquels ils ont été élus : l’exemplarité en politique.

Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié et Manon Rescan

rugy68

Elisabeth Borne nommée ministre de la transition écologique et solidaire, en remplacement de François de Rugy. Mme Borne gardera également le portefeuille des transports, sans pour autant prendre le titre de ministre d’Etat de son prédécesseur, a précisé l’Elysée. « La confiance que m’accordent le président de la République et le premier ministre est un immense honneur », a-t-elle réagi sur Twitter. « Déterminée à poursuivre ce combat essentiel qu’est la transition écologique et solidaire. Au travail dès demain », a-t-elle ajouté. La nomination de Mme Borne, dont le portefeuille était déjà placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique, « est une évidence », a commenté la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye.

rugy32

rugy33

17 juillet 2019

Kate Moss

kate moss22

17 juillet 2019

Récit - Au commencement étaient les méduses

meduses22

Par Martine Valo

Nos ennemies les méduses (1/6). Depuis les années 1980, la recrudescence de ces êtres apparus il y a plus de cinq cents millions d’années s’observe un peu partout dans le monde.

Rien à voir avec des mastodontes féroces : les monstres marins n’ont pas l’allure que les marins d’autrefois leur prêtaient. Ils sont souvent invisibles à l’œil nu, plutôt translucides et mous. Leur nombre fait leur force, comme le montrent les blooms (« efflorescences ») de microalgues toxiques et les pullulations d’organismes urticants. Signes d’un océan perturbé, ils sont aussi la promesse de vacances gâchées. C’est ainsi que la méduse est devenue une vedette parmi les planctons gélatineux. Mais son règne demeure injustement sous-estimé, vu sa biomasse considérable.

L’HÉROÏNE DE L’ÉTÉ N’A NI CARAPACE, NI COQUILLE, NI SQUELETTE, NI YEUX, NI POUMONS, NI SANG. ELLE EST COMPOSÉE À 98 % D’EAU

L’héroïne de l’été n’a ni carapace, ni coquille, ni squelette, ni yeux, ni poumons, ni sang. Elle est composée à 98 % d’eau, mais elle a de quoi se défendre. Elle pique tous ceux qu’elle croise – c’est généralement la première chose que l’on sait d’elle – sans aucun discernement, et instille une sensation de brûlure parfois inoubliable.

Pour autant, elle n’est ni agressive – elle n’a pas de cerveau – ni conquérante –, ce sont les vents modérés et les courants qui, certains jours, la poussent vers la côte, elle et son essaim de congénères. Elle n’est pas un animal saisonnier et supporte très bien les variations de température. Ainsi, entre une et 200 tonnes de Pelagia noctiluca par kilomètre carré sont présentes au large, en Méditerranée, à peu près toute l’année. Cette célèbre méduse vit par 300 ou 400 mètres de fond, où l’eau est à 12 °C ou 13 °C, et remonte la nuit vers la surface, qui peut être à 23 °C en été, pour se nourrir.

Pour les stations balnéaires, la présence des méduses est un réel problème. En installant des filets ou des distributeurs de vinaigre, elles cherchent à en limiter les désagréments. Il n’empêche : les plaintes des estivants, toujours plus nombreux à goûter les joies de l’océan, se multiplient.

Un millier d’espèces

Alors, les méduses prospèrent-elles davantage aujourd’hui qu’hier dans le monde marin ? Depuis les années 1980, des recrudescences s’observent un peu partout dans le monde. Pourtant, les scientifiques hésitent à s’engager sur le sujet, faute de disposer de données fiables dans le temps. Ils concèdent des augmentations par endroits, des fluctuations ailleurs. Mais certains biologistes n’hésitent pas à parler de « gélification » de l’océan, pour évoquer la multiplication de plancton dérivant en masse flasque au gré des courants. Bouillon urticant ou gelée – les Anglais parlent de « jellyfish » –, le phénomène semble de fait favorisé par la dégradation des écosystèmes marins et par la surpêche avant tout.

CERTAINES NE DÉPASSENT PAS DEUX MILLIMÈTRES, QUAND LES « CYANEA » PEUVENT ATTEINDRE DEUX MÈTRES DE CIRCONFÉRENCE AVEC DES TENTACULES DE TRENTE MÈTRES DE LONG

Il y aurait un millier d’espèces de méduses, d’allures, couleurs et tailles très variées. Rondes comme un boulet de canon (Stomolophus meleagris), ou en forme d’œuf sur le plat (Cotylorhiza tuberculata), certaines ne dépassent pas deux millimètres, quand les Cyanea peuvent atteindre deux mètres de circonférence avec des tentacules de trente mètres de long. Elles sont partout : dans les mers chaudes ou froides, et jusque dans les abysses, par 7 000 mètres de fond. On en trouve quelques-unes en eau douce. Le lac de Palau – un ancien bras marin dans le Pacifique –, dans l’archipel des Palaos, en compte des colonies si denses qu’elles changent la couleur de l’eau en surface.

Malgré tout, dangereuses et d’apparence fragile, les méduses fascinent. Lorsqu’elles évoluent, graciles, tout en éclats translucides dans la lumière flatteuse d’un aquarium, le public est conquis par ces drôles de ballerines. Il oublie alors le dégoût qu’il peut ressentir en les voyant affalées comme un monceau de sacs en plastique boursouflés que la mer a déposés sur la plage (tout en leur laissant leur pouvoir urticant). Elles peuvent susciter rêverie psychédélique ou cauchemar, selon les circonstances. Cette ambiguïté et leurs formes délicates n’ont cessé d’inspirer les artistes.

Une capacité de reproduction phénoménale

Leur nom de famille lui-même est évocateur. C’est le naturaliste Carl von Linné (1707-1778) qui l’a donné en 1748, en référence à la redoutable Gorgone au front ceint de reptiles. Peu après, un autre scientifique, François Péron (1775-1810), attribua à différentes espèces de méduses des noms piochés dans cette même mythologie grecque : Pégase, le géant Chrysaor…

Auparavant, elles étaient qualifiées d’« ortie de mer », un terme qui correspond à l’embranchement des cnidaires (du grec knidê : « ortie »), auquel elles appartiennent avec les cténophores, les siphonophores, les coraux et les anémones de mer. Dans leur cycle de reproduction, de nombreuses espèces de méduses connaissent d’ailleurs un stade fixe comme du corail, sous la forme de polypes, de minuscules points qui ne laissent pas aisément deviner ce qu’ils vont devenir.

« LES CORAUX ET LES MÉDUSES SONT COMME LE YING ET LE YANG DE LA FAMILLE DES CNIDAIRES », RÉSUME MARIE-PIERRE PELECQ

« Les coraux et les méduses sont comme le ying et le yang de la famille des cnidaires », selon la jolie formule de Marie-Pierre Pelecq qui en élève à Océanopolis, le grand aquarium de Brest. Tandis que les humains voient avec inquiétude blanchir et dépérir les premiers, ils ne parviennent pas à contenir les secondes. La lutte s’avère inégale face à ces sortes d’estomacs sur tentacules dérivant dans l’océan, rustiques mais doués d’une capacité de reproduction phénoménale.

Les méduses – l’un des premiers organismes multicellulaires présents sur la Terre – étaient là plusieurs dizaines de millions d’années avant tous les poissons et l’évolution animale qui a suivi. Leur fantastique odyssée à travers tous les soubresauts de l’histoire de la planète a tout pour nous impressionner davantage. Respect, l’ancêtre !

meduses

17 juillet 2019

Ellen von Unwerth

ellen25

Publicité
<< < 10 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 40 > >>
Publicité