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Jours tranquilles à Paris
5 septembre 2020

Berlusconi rattrapé par le coronavirus

Silvio Berlusconi, 84 ans, a été testé positif mais est asymptomatique. Photo EPA

Souvent opposés aux restrictions décidées par Rome pour lutter contre la pandémie, des ultra-riches italiens, dont Silvio Berlusconi, ont été rattrapés par le coronavirus après des agapes en Sardaigne où la jet-set tombe volontiers le masque.

Ex-chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi et deux de ses enfants ont été testés positifs à la Covid-19, touchés par ce que la presse appelle « la malédiction de la Côte d’Émeraude », refuge des riches et super-riches. La Costa Smeralda tient son nom de la couleur de la Méditerranée bordant les rives du nord-est de la Sardaigne, dont Porto Cervo et Porto Rotondo, les Saint-Tropez locales, sont les deux stations les plus prisées. Refuge des riches pendant l’été, la région regorge de restaurants et discothèques de luxe où le champagne coule à flots.

L’endroit le plus connu et le plus couru, pour qui peut se le permettre, reste le « Billionaire » de Flavio Briatore, ex-manager de l’écurie de F1 Benetton. C’est par le « Billionaire » que le scandale est venu : Flavio Briatore et Berlusconi, amis de longue date, se sont vus le 12 août dans la résidence sarde du Cavaliere. Une dizaine de jours plus tard, Flavio Briatore, 70 ans, est testé positif à la Covid-19, de même que plusieurs des employés du « Billionaire », entraînant la fermeture de l’établissement. Entre-temps, plusieurs célébrités y ont été contaminées.

36 000 morts

Si son médecin assure que Silvio Berlusconi est asymptomatique, Flavio Briatore, lui, a été hospitalisé à Milan dans un état jugé sérieux. Il est sorti le 29 août.

Tous deux avaient critiqué les mesures de restriction imposées par le gouvernement pour lutter contre la pandémie qui a fait près de 36 000 morts dans la péninsule. Vent debout contre la fermeture des discothèques, Flavio Briatore avait notamment accusé le gouvernement de « vouloir criminaliser les jeunes ».

Depuis la seconde moitié d’août, et alors que la Sardaigne devient un important foyer de contamination, Silvio Berlusconi, 84 ans, a multiplié les tests, selon les médias, jusqu’aux deux derniers, les plus récents, qui ont révélé sa positivité au nouveau coronavirus. Milliardaire et l’un des hommes les plus riches d’Italie, il pensait probablement être à l’abri dans sa somptueuse villa Certosa.

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4 septembre 2020

Témoignages - Travailler de façon nomade : mode d’emploi

teletravil et nomade

THE DAILY TELEGRAPH (LONDRES)

Cinq Britanniques, qui exercent des métiers très différents, ont profité du confinement et du télétravail pour mettre les voiles vers de nouveaux horizons. Ils racontent ce qui fut une expérience enrichissante amenée à se démocratiser.

Le coronavirus a changé le monde de bien des manières, il a aussi modifié notre façon de travailler. En avril, l’Office britannique des statistiques a révélé que 49,2 % des adultes actuellement employés travaillaient de chez eux en raison des mesures de distanciation physique.

Depuis, plusieurs entreprises comme Twitter, Shopify ou Slack ont annoncé que leurs salariés seraient dorénavant autorisés à télétravailler de manière permanente et certains pays, comme la Barbade, l’Estonie et les Bermudes misent sur la tendance en proposant désormais des visas pour les “nomades numériques”.

Partir sans démissionner ni même demander un congé

En théorie, cela n’a rien de compliqué. Auparavant, pour troquer le ciel gris et la routine britannique pour passer quelques mois ou un an à l’étranger, il fallait soit démissionner soit négocier avec sa hiérarchie pour obtenir un congé sans solde. À présent, il est possible de lever l’ancre sans même prendre de congé.

Mais quels sont les avantages concrets à travailler à l’autre bout du monde ? Il faut prendre en compte les coûts, la logistique et le risque d’isolement quand on s’installe dans un pays où l’on ne connaît peut-être personne, surtout en période de pandémie. Alors combien de personnes quittent vraiment leur pays pour travailler de l’étranger ? Réponse : plus que vous ne l’imaginez. Un récent appel à témoignage m’a permis de récolter beaucoup plus d’histoires que ce que j’avais anticipé.

Direction la Grèce

Pour Dimitra Paputsakis, responsable des relations publiques pour Siren Comms, son installation en Grèce a été facilitée par la présence de membres de sa famille : “Je suis originaire de Grèce et j’ai de la famille là-bas, c’était donc l’occasion de passer plus de temps avec eux que les traditionnels dix jours de vacances.”

Le soutien et la compréhension de ses collègues ont également joué un rôle. “Ils ont compris que mentalement, cela pouvait être une période compliquée et que le fait de passer du temps avec ma famille, loin de la ville, pouvait vraiment m’aider.” La principale exigence de son entreprise à l’égard des télétravailleurs de l’étranger était qu’ils veillent à pouvoir travailler efficacement et à avoir accès à une bonne connexion Internet ainsi qu’à une ligne téléphonique.

Tout n’a pourtant pas été simple.

Le voyage jusqu’en Grèce a été extrêmement stressant puisque les règles sur le passage des frontières ne cessaient de changer. Mais c’est génial de pouvoir travailler de là-bas.”

Direction l’Italie

L’expérience de Julia Buckley, rédactrice ayant quitté le Royaume-Uni pour l’Italie, a été quelque peu différente :

J’habitais dans une maison où l’un d’entre nous a dû se mettre en quarantaine, donc nous avons tous dû nous mettre en quarantaine – ce qui n’était pas nécessairement un problème pour moi puisque je fais partie des personnes vulnérables. Mais j’avais de plus en plus de mal à me dire que la moitié du pays pouvait enfin sortir, que mes amis et collègues retrouvaient une vie normale tandis que moi j’étais toujours confinée chez moi.”

Buckley avait déjà vécu en Italie à l’époque où elle était étudiante. Parlant très bien italien, elle avait prévu de venir quelques mois en 2019 pour rafraîchir ses compétences linguistiques avant de commencer un nouveau travail. “Mais mon calendrier a été bousculé et j’avais abandonné l’idée de partir quand j’ai commencé mon nouveau travail cette année. Ça me paraissait encore plus impossible après le Brexit.”

En juin, pourtant, Buckley demande à son nouveau chef si elle peut s’installer en Italie pendant cette période de télétravail généralisé. “Il a dit oui.” Elle habite aujourd’hui à Venise, où elle a plusieurs amis proches. Les loyers ont baissé “parce qu’il n’y a pas assez de touristes pour faire grimper les prix” et ses dépenses contribuent à “stabiliser un tout petit peu l’économie” d’une ville durement frappée pendant la pandémie.

Concernant son installation, “ça a été extrêmement facile, résume Buckley. J’ai trouvé un appartement en un jour, et j’ai réservé mon billet d’avion dès que les restrictions de voyage ont été levées.”

Je suis toujours dans les catégories à risque donc je ne vais pas dans les bars ou les restaurants. Les Italiens sont très protecteurs envers leurs seniors, ils respectent les règles mais je me suis fait des amis ici plus vite que n’importe où ailleurs. J’ai l’impression d’avoir trouvé l’endroit où passer le restant de mes jours.”

“Je travaille depuis un combi Volkswagen.”

Si la Barbade et les Bermudes peuvent être des destinations alléchantes, il semblerait que les télétravailleurs britanniques se concentrent sur les pays européens en raison de leur facilité d’accès, de la possibilité de voyager sans visa et d’une atmosphère de relative “normalité”.

Certains n’ont même pas eu besoin de quitter le Royaume-Uni pour se transformer en “nomades numériques”.

Hannah Summers, journaliste, avait prévu de camper cet été en Écosse. “Après le Covid-19, nous avions encore plus désespérément envie de sortir de notre appartement londonien”, explique-t-elle. Quand son voyage a coïncidé avec une “superbe opportunité de travail”, Summers a donc décidé de combiner les deux. “Je travaille trois ou quatre jours par semaine depuis un combi Volkswagen.”

“Ça se passe étonnamment bien, confie-t-elle. Je pense que ça m’a appris un peu de discipline et de souplesse. J’ai toujours eu besoin d’avoir un bureau en ordre.”

Grâce au combi, ses coûts de vie sont limités, mais l’un des inconvénients de cette façon de télétravailler est la nécessité de se connecter à Internet depuis un mobile. “Je pense que ça vaut le coup, dit-elle. Pendant ma pause ou à la fin de la journée, je peux aller promener mon chien sur une plage déserte au lieu des rues de Londres.”

Je ne pense pas que je pourrais faire ça sur du long terme puisqu’une telle souplesse tend à mélanger les temps de travail et de divertissement. L’inconvénient est peut-être de ne jamais vraiment déconnecter. C’est toujours une question d’équilibre.”

“Maintenant tout ce passe sur Zoom”

Anna Sebastian, responsable de bar dans un des meilleurs hôtels de Londres, The Artesian, n’aurait jamais cru pouvoir un jour faire du télétravail. Travailler dans l’hôtellerie implique généralement une présence physique.

Mais après avoir été mise au chômage technique, Sebastian s’est lancée dans un tour d’Europe pour “petit budget” en acceptant des missions de conseils pendant son voyage pour améliorer l’ordinaire. Elle est actuellement au Portugal.

Son périple touche à sa fin – “Je viens d’apprendre que je devais retourner au travail le 1er septembre” –, mais elle est désormais une adepte du télétravail depuis l’étranger.

“Si mon boulot me le permettait, je ferais ça à temps plein, dit-elle avec enthousiasme. Je n’ai eu qu’à monter dans un avion et partir. Tout ce dont j’avais besoin, c’était une bonne connexion wifi, c’est tout. Tout se passe sur Zoom maintenant, donc la transition a été très facile.”

Il y a une énorme communauté de gens qui travaillent de l’étranger, ajoute-t-elle. Il y a tellement de gens qui ne vont pas retourner au bureau avant 2021 et qui ont décidé de louer une villa pour s’installer dans un pays chaud où la vie n’est pas chère.

La vie est beaucoup moins chère ici. Londres, c’est ma maison, c’est là où je suis née, mais c’est aussi une ville très chère, ici votre salaire s’évapore beaucoup moins vite.”

Attention aux risques financiers et sanitaires

Greg Dickinson, du Telegraph Travel, a également goûté aux joies du télétravail en passant un mois à Amsterdam.

“J’ai toujours rêvé de vivre un certain temps à l’étranger, mais je n’ai jamais eu le courage de quitter mon poste pour sauter le pas, explique-t-il. C’était l’occasion rêvée de tester ce mode de travail sans perdre mon boulot.”

J’ai choisi Amsterdam en raison de sa proximité avec le Royaume-Uni (une heure d’avion), parce que tout le monde y parle anglais et parce qu’apparemment la vie y avait l’air plus ou moins normale malgré la pandémie – ce qui était le cas.”

Le décalage horaire a eu pour effet d’allonger ses matinées – “Avant de commencer à travailler, j’allais me promener le long d’un canal jusqu’à une boulangerie du quartier Jordaan” – tandis que le soir venu Dickinson “rencontrait des amis d’amis expatriés, jouait au foot ou allait profiter d’un des nombreux coins de baignade de la ville. Il faut bien le reconnaître, la qualité de vie ici est très supérieure à celle de Londres.”

C’est pour des raisons financières que Dickinson est finalement rentré. “J’ai dû retourner au Royaume-Uni pour ne pas complètement me ruiner (je continuais de payer mon loyer à Londres).”

Il y avait aussi un risque accru de confinement puisque le nombre de contaminations commençait à augmenter aux Pays-Bas. “J’ai eu la chance de prendre un billet retour pour un vendredi soir, soit huit heures avant que ne soit instauré le confinement, le 15 août à 4 heures du matin.”

Le télétravail va se démocratiser

Quelle que soit l’expérience des télétravailleurs ou leur lieu de résidence, il est certain que ce mode de travail va se développer, même lorsque les mesures sanitaires seront allégées.

Je connais beaucoup de gens dans mon secteur, et d’amis dans d’autres milieux, qui étudient des moyens de démocratiser le télétravail, explique Paputsakis. Je pense que le bureau traditionnel ne sera plus jamais comme avant.”

“Un des points positifs de la pandémie est d’avoir fait comprendre à certaines entreprises que le télétravail et la souplesse des horaires pouvaient parfaitement fonctionner”, confirme Summers.

“Je travaille plus et mieux depuis chez moi, j’ai beaucoup plus d’énergie et je suis bien dans mon environnement. Et je suis aussi tellement plus heureuse de ne pas avoir à faire des trajets épuisants au quotidien”, souligne Buckley.

“Ce mois passé à Amsterdam m’a fait comprendre qu’il était tout à fait possible à notre époque de travailler depuis un autre pays”, ajoute Dickinson, qui relève toutefois un point noir imprévu dans son expérience. “Cela m’a aussi profondément attristé de savoir que nous ne jouirons bientôt plus de cette liberté de mouvement en Europe. Quel désastre d’avoir décidé de nous priver du bonheur de vivre sur ce merveilleux continent.”

Emma Cooke

Source

The Daily Telegraph

LONDRES http://www.telegraph.co.uk

4 septembre 2020

François Bayrou

bayrou45

4 septembre 2020

Critique - « Jusqu’ici tout va bien », une expo qui a « La Haine »

Par Emmanuelle Jardonnet

Le Palais de Tokyo, à Paris, marque les 25 ans du film de Mathieu Kassovitz, devenu culte, en invitant les élèves de la jeune école d’art et de cinéma Kourtrajmé à le revisiter.

Il y a un quart de siècle, La Haine, de Mathieu Kassovitz, venait mettre une claque en noir et blanc à la France, en lui montrant une jeunesse prête à exploser dans la Cocotte-Minute de cités concentrant à la fois misère et pression policière musclée.

Dix ans plus tard, des émeutes embrasaient ces mêmes territoires après le drame de trop : l’électrocution dans un transformateur EDF de deux adolescents qui tentaient d’échapper à un contrôle de police, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Puis, en 2019, déboulait « l’enfant » de La Haine : Les Misérables, de Ladj Ly.

Entre-temps, le collectif Kourtrajmé, né de ce même terreau, avait (auto) produit nombre de clips et de films nourris de cultures urbaines et, en 2018, Ladj Ly lançait, à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), l’école de cinéma Kourtrajmé, une structure d’enseignement artistique alternative, qui se retrouve propulsée, en septembre, dans le temple parisien de l’art contemporain, le Palais de Tokyo, avec l’exposition « Jusqu’ici tout va bien ».

« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : “Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien…” », entendait-on dans La Haine. C’est donc aussi l’histoire de trois potes, Mathieu Kassovitz, Ladj Ly et l’artiste JR, capables de déplacer des montagnes, ou du moins les regards portés sur la jeunesse des cités, jusqu’à cette exposition organisée en un temps record (deux mois) dans un Palais de Tokyo à la programmation bousculée par le Covid-19.

Frontière entre l’illicite et ses formes de beauté

« En 1995, Mathieu Kassovitz comme ses acteurs avaient la haine face à la stigmatisation des banlieues, aux violences policières et sociales. A l’occasion des 25 ans du film, on a demandé à la trentaine d’élèves de l’école Kourtrajmé ce qui leur foutait la haine aujourd’hui », explique Hugo Vitrani, le commissaire de l’exposition, qui a rendu ce tour de force possible au Palais de Tokyo, alors même que l’actualité venait raviver les tensions au cœur du film.

« Avoir la haine, c’est un moteur, c’est avoir le feu à l’intérieur, et cette haine est toujours là, commente Mathieu Kassovitz. Le sujet de ce film, c’est les bavures policières. En 1995, les jeunes des quartiers étaient catégorisés dans des pourcentages. Aujourd’hui, beaucoup de succès sortent des quartiers. Les élèves montrent qu’une façon d’exprimer cette haine passe par l’art et la créativité. »

Les clins d’œil au film laissent ainsi place à une prise de pouls des préoccupations et des aspirations de la jeunesse. Il y a bien sûr des films, sept courts-métrages, comme le poignant C’est à toi qu’je parle, de Muriel Biot, 22 ans, qui donne la parole à trois habitants de Clichy-Montfermeil, non-émeutiers à l’époque, mais solidaires. En contrepoint, Ismaël, un policier qui a, lui aussi, grandi là, témoigne anonymement de son expérience. Ou 10 minutes chrono, de Maurad Dahmani, 41 ans, qui met en scène une équipe de journalistes embarqués avec des policiers, et moque les reportages biaisés sur les cités.

Beaucoup d’œuvres titillent la frontière entre l’illicite et les formes de beauté qui peuvent en jaillir, comme l’hommage aux acrobates en motocross qui pratiquent des rodéos urbains sans casque, par Ismaël Bazri, 26 ans. Son installation associe des pièces détachées au sol, comme après une course-poursuite fatale, et des photographies extatiques où se lit « le besoin d’adrénaline pour tromper l’ennui ».

Ismail Alaoui Fdili, 28 ans, s’est, lui, intéressé aux chaises monoblocs en plastique, utilisées partout, et notamment par les guetteurs dans les cités : « Je les ai imaginées comme du mobilier urbain, en béton, pour ces personnes chargées d’alerter de l’arrivée de la police. L’installation de vingt chaises vides évoque aussi bien des tombes que les grands ensembles, eux aussi construits à la chaîne. »

Place des femmes, ubérisation et colonialisme

On retient aussi l’impressionnante série de portraits – surtout d’anciens braqueurs et des policiers – peints sur de larges supports de récup par Baye-Dam Cissé, 34 ans, qui a collecté leurs récits, ou les dessins hyperréalistes de Tiziano Foucault-Gini, 24 ans, de restes de projectiles lancés par les forces de l’ordre pendant les manifestations.

Un intrus semble s’être glissé parmi les élèves : derrière « Clément Perrin » se cache Ecilop, un graffeur qui a pour spécialité de peindre des véhicules de police sur les toits de Paris. Il signe ici deux œuvres à l’insolence régressive : une voiture de police piñata, « Objet à détruire » suspendu dans les airs, hors d’atteinte, et une installation sous forme d’invitation à un jeu de peinture sur véhicule de police… Ce sera « du vandalisme ou de l’art », selon que la personne se fasse attraper ou pas.

D’un poème que l’on voit se rédiger sur un smartphone (Tiah Mbathio, 30 ans) en reconstitutions (notamment la chambre de la sœur de Vinz dans La Haine, par Emilie Pria, 23 ans) émergent des sensibilités restées hors champ dans le film. Par ses photographies délicates, Nouta Kiaïe, 24 ans, évoque les questions d’identité sexuelle, quand Elea Jeanne Schmitter, 27 ans, s’intéresse à la (sous-)représentation des femmes avec une série d’autoportraits dirigés de femmes pionnières dans leur milieu. Autres signes des temps : l’ubérisation de la société par Tassiana Aïttahar, 23 ans, qui a documenté les moments d’attente entre livreurs Uber Eat de l’intérieur, les fantômes du colonialisme vus par Joyce Kuoh Moukouri, 29 ans, ou les jeux d’appropriation mutuelle entre le monde de la mode et les cultures de rue (Djiby Kebe, 20 ans).

Dehors, un collage monumental de JR montre les barres de Clichy-Montfermeil imbriquées dans le Palais de Tokyo, avec la vraie tour Eiffel se terminant en ombre portée dans la cité. Les Kourtrajmé se seraient-ils tapé l’incruste dans le centre d’art, comme Saïd, Hubert et Vinz à un vernissage d’art contemporain dans La Haine ? L’opération muséale éclair semble, en tout cas, faire mouche, avec un week-end d’ouverture pris d’assaut par un public jeune.

« Jusqu’ici tout va bien », Palais de Tokyo, prolongé jusqu’au 11 septembre, de 12 heures à 21 heures, horaires élargis jusqu’à minuit à partir du jeudi 3. Ouvert tous les jours sauf le mardi. Entrée de 9 € à 12 €, gratuit pour les moins de 18 ans (et les habitants de Clichy-Montfermeil).

4 septembre 2020

Jean Castex

castex21

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4 septembre 2020

Récit - Chevaux mutilés : de la Suisse au Royaume-Uni, des précédents qui interrogent

Par Damien Leloup - Le Monde

De nombreux cas de chevaux mutilés ont été recensés en France ces dernières semaines, suscitant une grande émotion et diverses opérations pour retrouver les coupables. Dans les deux pays, des affaires similaires avaient suscité le même phénomène, avant d’être finalement attribuées à des causes naturelles.

Plus d’une trentaine de cas dans une douzaine de départements recensés par les services de l’Etat ; plus de cent sur une carte participative mise à jour par des internautes. Depuis le début de l’année, et plus encore depuis l’été, des chevaux sont retrouvés portant les traces de profondes coupures, atrocement mutilés ou morts. Une oreille, le plus souvent la droite, parfois la gauche, manque sur le cadavre ; un œil a été arraché ; parfois, les parties génitales ont été enlevées, et le museau est atrocement abîmé. Jeudi 3 septembre, une nouvelle enquête pour « acte de cruauté envers animaux » a été ouverte par le parquet de Limoges après la découverte dans la matinée du cadavre d’une jument mutilée.

C’est l’œuvre de dangereux « barbares », préviennent les autorités, dont le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie. Les mutilateurs, particulièrement bien préparés et organisés, ne laissent pas de traces ; dans certains cas, des caméras de vidéosurveillance situées à proximité du méfait n’ont rien enregistré de notable ; dans d’autres, des chiens de garde n’ont pas empêché l’attaque. Les attaques se succèdent à un rythme effréné sur l’ensemble du territoire, et visent des animaux de grande taille, capables de se défendre à coups de sabots.

LE PORTRAIT-ROBOT DE L’AGRESSEUR PRÉSUMÉ A ÉTÉ PARTAGÉ PLUS DE 500 000 FOIS SUR FACEBOOK

Sur les forums et les groupes Facebook de passionnés de chevaux, l’émotion est gigantesque. Des milliers de messages ont été publiés ces derniers jours pour organiser des rondes, choisir un modèle de caméra de surveillance, ou partager des photographies de véhicules suspects aperçus près d’un pré. Le portrait-robot d’un agresseur présumé, gérant de centre pour animaux, dans l’Yonne, a été partagé plus de 500 000 fois sur Facebook.

Mais qui donc s’attaque ainsi aux chevaux ? Les enquêteurs, qui n’ont trouvé aucun point commun entre les différentes attaques hors du mode opératoire supposé, envisagent la piste d’une « secte sataniste » ou « d’un jeu macabre coordonné via Internet ».

Chaque année, des chevaux sont tués ou blessés par des humains. Mais dans la totalité des cas identifiés ces dernières années, les mobiles sont bien plus prosaïques ; on recense notamment des accidents de chasse ou de la circulation, des vengeances personnelles ou des cambriolages, ou, plus rarement, des actes zoophiles. L’existence d’une cabale nationale visant à démembrer des chevaux serait une première. Mais une autre hypothèse, peu envisagée jusqu’à présent, est pourtant très crédible : celle que les « mutilateurs de chevaux » n’existent tout simplement pas. Ou en tout cas, pas sous la forme imaginée.

Une affaire étrangement similaire en Suisse

A l’été 2005, une étrange série de mutilations d’animaux agite la Suisse. Des chevaux, des vaches, et surtout un âne baptisé Coca, doux comme un agneau et qui promenait les enfants à Couvet, dans le canton de Neuchâtel, sont retrouvés morts et atrocement mutilés. Pendant plusieurs semaines, les enquêteurs mobilisent de très importants moyens pour retrouver le « sadique des champs », et l’affaire fait les gros titres de toute la presse. Jusqu’au mois de septembre.

« J’AI LE COUPABLE. ON A RETROUVÉ DES POILS, ET CE SONT DES POILS DE CANIDÉ », AFFIRME OLIVIER GUÉNIAT

Olivier Ribaux, à l’époque analyste pour la police, se souvient très bien de cette discussion téléphonique avec Olivier Guéniat, qui dirigeait en 2005 la police judiciaire du canton. « Il m’a dit : “J’ai le coupable” », raconte-t-il au Monde. « J’étais un peu étonné, je lui ai dit, “ah bon, comment tu as fait ?”. Il m’a dit : “Avec l’ADN ! On a retrouvé des poils, et ce sont des poils de canidé”. »

Quelques semaines plus tôt, de retour de vacances, Olivier Guéniat avait décidé de tout reprendre à zéro : autopsies, témoignages, prélèvements… Il se rend dans un abattoir pour tester méthodiquement sur des carcasses différents types de couteaux, pour voir si les blessures coïncident avec celles relevées sur les cadavres. Les conclusions sont sans appel : ni l’âne Coca ni aucun des autres animaux examinés n’ont été tués par l’homme. Les bêtes sont mortes de cause naturelle, avant d’être mutilées par des charognards – renards, corbeaux et rongeurs.

Chasse aux satanistes au Royaume-Uni

Le même scénario s’est déroulé, avec quelques variations, dans de multiples pays ces dernières années. Au Royaume-Uni, d’abord : entre 1983 et 1993, une mystérieuse série de plus d’une centaine de mutilations de chevaux est signalée dans le Hampshire ; aucun suspect ne sera jamais arrêté. A l’époque, déjà, la presse tabloïd alerte sur les « tueurs satanistes », sans qu’aucun lien ne soit réellement établi.

Alan Jones et Alison Griffiths, respectivement historien et policière, ont longuement étudié le sujet ; s’ils se disent toujours convaincus qu’une ou plusieurs personnes ont attaqué des chevaux dans la région à l’époque, leur analyse statistique des attaques montre que, contrairement à ce qui était avancé dans la presse, les dates des « attaques » n’avaient aucun rapport avec les supposés « jours de sacrifice » d’un calendrier sataniste. « Dans quelques cas, des symboles avaient été dessinés sur place. Mais ils n’avaient aucun sens, et avaient possiblement été laissés pour faire peur », expliquent-ils au Monde.

UNE PRIME DE 20 000 LIVRES STERLING EST OFFERTE PAR LE « DAILY MAIL » ET DES ASSOCIATIONS

A l’époque, la police déploie des moyens impressionnants pour tenter d’attraper lesdits « satanistes » : des dizaines d’enquêteurs sont mobilisées, vingt-six suspects sont interrogés puis relâchés ; une prime de 20 000 livres sterling (qui correspondraient à environ 40 000 euros aujourd’hui) est offerte par le Daily Mail et des associations de défense des chevaux pour toute information permettant d’arrêter les coupables, sans succès.

L’enquête officielle est plus ou moins abandonnée à la fin des années 1990. Mais un homme la poursuit : Ted Barnes, ancien enquêteur de la Metropolitan Police Equine Crime Unit, qui travaille alors pour la Ligue internationale pour la protection des chevaux. Mais après quinze ans d’enquête, M. Barnes conclut que les coupables n’existent pas.

A l’exception d’une poignée de cas où une intervention humaine est possible, la plupart s’expliquaient par des mutilations causées par des charognards, ou des blessures accidentelles du cheval, expliquait-il en 2001 au Guardian. Même les blessures les plus suspectes, touchant les parties génitales et souvent attribuées à un pervers sexuel sadique, ont d’autres explications : « Une jument en chaleur peut avoir un comportement aberrant, se frotter contre un poteau ou un objet coupant, et ensuite tenter de soulager la douleur en continuant de se frotter, ce qui occasionne des blessures atroces. Un cheval ne s’arrête pas parce qu’il voit du sang. »

En 2013 à Dartmoor, dans le Devon, la mort d’un poney retouvé sans son sexe, sa langue et avec une oreille manquante, avait été attribuée à des satanistes. Jusqu’à ce que l’autopsie confirme que l’animal était mort de causes naturelles, puis partiellement dévoré par des charognards. | CAPTURE D’ÉCRAN

Autres animaux, mêmes conclusions : entre 2015 et 2018, le pays se passionne pour l’affaire du « tueur de chats de Croydon », dans la banlieue sud de Londres. Plusieurs centaines de corps de félins mutilés sont signalés, des moyens colossaux sont investis dans la traque d’un sadique, avant que l’enquête ne conclue que les animaux avaient été renversés par des voitures et mutilés, là encore, par des corbeaux et des renards.

Le FBI et la piste extraterrestre

Des séries semblables sont signalées entre 1993 et 2003 en Allemagne – aucun « pferderipper » (éventreur de chevaux) ne sera jamais identifié. Mais aussi aux Etats-Unis, où les mutilations d’animaux – des chevaux mais aussi et surtout des vaches – alimentent, depuis les années 1970, différentes thèses, dont celle, très populaire, d’une intervention extraterrestre. En 1979, le FBI s’empare du dossier, et confie une enquête à Kenneth Rommel, vétéran de l’agence fédérale qui a travaillé durant vingt ans sur les braqueurs de banques. L’enquêteur rouvre les dossiers de 96 cas, six chevaux et 90 vaches, tous au Nouveau-Mexique – où se situe la célèbre zone 51, censée avoir recueilli l’épave d’un OVNI qui se serait écrasé près de la ville de Roswell.

Son rapport, aujourd’hui public, est sans appel : « Je n’ai rien trouvé dans les rapports qui indique que ces animaux ont été mutilés par autre chose que des prédateurs ou des charognards. Toutes les preuves suggèrent fortement que ces animaux sont morts de mort naturelle ou de blessures courantes, et ont ensuite été partiellement dévorés par des charognards. »

Seuls deux cas semblaient compatibles avec des blessures à l’arme blanche. Dans des interviews postérieures, l’agent se montrera plus direct, et aussi peu amène pour les forces de l’ordre et pour la presse : « Vous avez le shérif machin-chose, qui n’est même pas capable de retrouver sa propre voiture de police, qui vous dit “Ça ressemble à une coupure faite par un laser chirurgical”, et comme les journalistes adorent ce genre de trucs, ils le répètent. Moi, si j’étais journaliste, je commencerais par lui demander, “Shérif, comment se fait-il que vous vous y connaissiez autant en lasers chirurgicaux ?” »

Blessures trompeuses

C’est un point commun dans de nombreux cas de mutilations signalées en France : des blessures qui semblent avoir été faites à l’aide d’un couteau ou d’un scalpel, suggérant qu’une intervention humaine est évidente, voire le fait d’un professionnel, vétérinaire, boucher ou médecin. Or, ce n’est pas si simple : comme le note une abondante littérature scientifique, les blessures causées par des charognards peuvent à s’y méprendre ressembler à des coups portés par une arme blanche. Les morsures de renard, par exemple, peuvent avoir une forme « surprenamment droite, semblable à celle d’un coup de couteau », notait en 1989 le Canadian Veterinary Journal. Les coupures et blessures similaires, parfois impressionnantes, sont courantes chez les chevaux.

« LES VÉTÉRINAIRES SOIGNENT, CE NE SONT PAS DES MÉDECINS LÉGISTES ! », EXPLIQUE OLIVIER RIBAUX

En 2005, en Suisse, même des policiers et vétérinaires aguerris se sont trompés, se souvient Olivier Ribaux, aujourd’hui professeur à l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne et vice-doyen de la faculté de droit : « Quand on est policier, et qu’on intervient sur un homicide, on sait comment faire, on a l’habitude ; un animal, moins. Et les vétérinaires soignent, ce ne sont pas des médecins légistes ! » Seule une autopsie en bonne et due forme permet de confirmer ou d’infirmer l’origine d’une blessure. Les analyses menées par le réputé Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale ont ainsi permis d’écarter toute intervention humaine dans la mort d’un cheval, retrouvé avec un œil et une oreille en moins, le 17 août, près de Roanne (Loire).

Climat de panique

Plus complexe encore, certains détails qui semblent suggérer une intervention humaine, comme un rituel satanique, s’avèrent trompeurs. Le fait que seule une oreille ait été prélevée, ou encore la disparition de l’appareil génital ou d’un œil, trouvent une explication très logique dans le comportement des charognards, qui s’attaquent en priorité aux parties aisément accessibles et moins protégées par de la peau épaisse. Ces animaux n’ont pas la force nécessaire pour soulever la tête d’un cheval, et s’attaquent donc à l’oreille et à l’œil exposés…

« DES TOURISTES PASSENT UNE NUIT EN GARDE À VUE PARCE QU’ILS OBSERVENT LES VACHES AVEC DES JUMELLES », SE RAPPELLE OLIVIER RIBAUX

En Suisse, enquêteurs et journalistes ont fait leur autocritique, et tiré des leçons de l’étrange épisode du « zoophile des champs », comme ils l’avaient surnommé en 2005. Survenue en plein été, l’affaire avait « bénéficié » d’une actualité par ailleurs morne, qui avait contribué à sa mise en avant permanente. Mais le climat de panique avait nui à l’enquête, juge M. Ribaux. « Imaginez la situation. Il y a une pression sur les enquêteurs, le politique s’en mêle, il y a des patrouilles de paysans armés… Des touristes se font arrêter et passent une nuit en garde à vue parce qu’ils observent les vaches avec des jumelles… C’est difficile de réfléchir à d’autres hypothèses. Un contexte s’est construit, dès qu’on voit une bête morte dans un champ, tout de suite on pense que c’est lié à l’affaire. »

Quelques articles de presse publiés en août. Plusieurs centaines d'articles ont été publiés sur le sujet, y compris dans de très nombreux journaux étrangers.

En France, de nombreux propriétaires d’animaux revisitent aussi, à la faveur de l’actualité, la mort plus ancienne de leur animal. En 2019, « j’ai retrouvé la doyenne des juments du troupeau morte dans le pré avec une oreille en moins. A l’époque nous avions pensé à un animal. (…) Aujourd’hui, je suis sûr que c’était déjà ces malades mentaux », écrit ainsi une internaute, parmi de nombreux témoignages similaires, sur un groupe Facebook de propriétaires de chevaux. D’autres, à l’inverse, se montrent très prudents, pour ne pas « alimenter une psychose », comme cette propriétaire d’une jument retrouvée avec une « entaille nette » qui envisage aussi la piste d’une blessure accidentelle.

L’idée du « tueur en série d’animaux » a la vie dure – faute d’autopsies systématiques sur les animaux, de nombreux cas de mutilations sont restés, ces dernières années, sans explication certaine. En Suisse, des années après la série de l’été 2005, de nombreuses personnes restent convaincues qu’un tueur sadique a bien sévi dans les cantons du pays ; et des internautes continuent de mener leur propre enquête sur le « tueur de chats de Croydon ». Aux Etats-Unis, la théorie d’expériences à grande échelle pratiquées par des extraterrestres sur le bétail reste un sujet phare des sites d’ufologie.

Face aux images horribles des corps mutilés, « on a besoin d’explications, note M. Ribaux. Si l’on n’en trouve pas, on va en chercher : rites sataniques, extraterrestres, challenges sur Internet… Paradoxalement, l’hypothèse alternative qui consiste à dire que peut-être il s’agit simplement de morts naturelles apparaît moins claire que les autres ! »

4 septembre 2020

Craig Morey - photographe

craig morey

4 septembre 2020

Récit - Emmanuel Macron célèbre la République au Panthéon pour en dévoiler sa conception

republique 150 ans

Par Olivier Faye

Le chef de l’Etat doit prononcer un discours vendredi à l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République. Une façon de préciser une identité politique brouillée.

Emmanuel Macron devait apporter, vendredi 4 septembre, une nouvelle touche à son tableau impressionniste. Celui d’un chef de l’Etat sans histoire politique qui esquisse depuis trois ans sa vision de la République, de la citoyenneté, de la laïcité, reprenant son travail par endroits, laissant des blancs à d’autres, quand certains (rares) pans de la fresque apparaissent, eux, figés pour de bon.

Le locataire de l’Elysée était attendu au Panthéon pour un discours célébrant les 150 ans de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, par Léon Gambetta. Un événement destiné à valoriser, selon son entourage, des « figures emblématiques et exemplaires de l’histoire de la République », telles que Marie Curie, Joséphine Baker, Félix Eboué ou Gisèle Halimi, à l’occasion d’une cérémonie de naturalisation de cinq personnes, auxquelles le chef de l’Etat veut partager « ce que ça signifie d’être citoyen français en République ». L’occasion pour Emmanuel Macron de s’exprimer sur la République sociale, la sécurité, le séparatisme, et de donner un nouveau coup de pinceau à la construction de son identité politique. « Macron, c’est un produit qui n’est pas terminé, résume un de ses ministres. Il n’a que 42 ans, dans un pays tourneboulé par des crises multiples. »

La capacité émancipatrice de la République

Lors de l’élection présidentielle de 2017, l’ancien ministre de l’économie de François Hollande vantait, au cours d’une campagne se voulant positive, la capacité émancipatrice de la République. La promesse de lutter contre « l’assignation à résidence », plutôt que les harangues autoritaires. « Emmanuel Macron aborde plus la question de la République par le biais des aspirations de la société que celui des “valeurs”, résume son ancienne « plume » et conseiller, Sylvain Fort. Il veut faire en sorte que la promesse républicaine, qui est la possibilité pour chacun de tenir sa place dans la société, soit accomplie, plutôt que d’être dans l’incantation d’un certain nombre de valeurs. » Contrairement à certains au sein du Parti socialiste, donc, Manuel Valls en tête, son rival durant la fin du dernier quinquennat, qui avait fait de la lutte contre l’islamisme et pour une laïcité stricte un de ses marqueurs.

Durant un meeting à Marseille, le 1er avril 2017, à trois semaines du premier tour, Emmanuel Macron saluait « les Arméniens, les Comoriens, les Italiens, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens » présents dans la salle ce soir-là, se plaçant en cela dans les pas de François Hollande, qui avait eu recours au même procédé dans la cité phocéenne lors de sa propre campagne, cinq ans plus tôt. En octobre 2016, dans Challenges, M. Macron défendait l’idée que « si le communautarisme, notamment religieux, a prospéré, c’est bien sur les ruines de nos politiques économiques et sociales » plus que sur un ferment idéologique. « Emmanuel Macron était sur des positions de centre gauche assez ouvertes sur le multiculturalisme, avec une reconnaissance de la diversité française, note Vincent Martigny, professeur de sciences politiques à l’université de Nice et à l’école Polytechnique. Il ne ferait plus ce genre de discours aujourd’hui, car son électorat s’est déporté vers la droite. » « Quand on défend la “France unie” [slogan utilisé ces derniers mois par Emmanuel Macron], on ne distingue pas les citoyens à raison de leurs opinions, de leur culture, de leur sexe ou de leur genre », convient-on à l’Elysée.

Des problématiques d’angoisses collectives

La stratégie macronienne consistant à étouffer la droite sur le terrain économique s’est peu à peu déportée sur celui des « valeurs », afin de consolider cette base électorale. Hier rétif à aborder les débats sur l’identité, qu’il estimait piégés par la droite et l’extrême droite, le chef de l’Etat s’est aventuré, un jour d’avril 2019, à aborder « l’art d’être français » ; en octobre de la même année, il pointait dans les colonnes de l’hebdomadaire ultradroitier Valeurs actuelles ces personnes « qui sont en sécession de la République, qui se moquent de la religion mais l’utilisent pour provoquer la République ».

Depuis un an, il enfourche la thématique sécuritaire, de la lutte contre l’immigration, et considère aujourd’hui qu’il faut embrasser d’un bloc la République, l’histoire de France et sa culture. « Nous avions le sentiment, en 2017, que la société française était malheureuse en raison des problématiques d’accès, au travail, par exemple, ou au soin. Est-ce que c’est cette France-là qui s’est le plus exprimée depuis 2017 ? Ce n’est pas sûr, décrypte Sylvain Fort. Est-ce que ce n’est pas une France anxieuse de l’insécurité, de son identité ? L’approche originelle de l’émancipation s’est diluée dans des problématiques plus classiques d’angoisses collectives. »

Cette dimension identitaire du discours macronien affleurait déjà en 2017 à travers la question du roman national. « Dans le roman national, il y a des grands repères qui aident à construire notre appartenance à la nation, qui sont le rapport à notre histoire et à ses grandes figures que sont les Clovis, les Jeanne d’Arc, etc. », expliquait M. Macron dans un entretien à France Culture, en mars 2017. L’ancien banquier n’avait d’ailleurs pas hésité à l’époque à utiliser la figure de la Pucelle d’Orléans pour marquer sa volonté de casser les frontières idéologiques et culturelles de la gauche, ancrées dans la Révolution française. « L’histoire de la République commence avant [la bataille de] Valmy », en 1792, estimait alors M. Macron. Dans son esprit, l’école républicaine et ses « hussards noirs » ont pour mission d’ancrer ce récit, autant que de contribuer à l’égalité des chances de chacun.

Défense d’une laïcité stricte

Sur la laïcité, enfin, l’homme a d’abord revendiqué une « conception libérale » de ce principe ancré dans la République française. Avant d’être élu, Emmanuel Macron critiquait le « laïcisme », « une conception étriquée et dévoyée de la laïcité » qui dénote, selon lui, « à la fois une insécurité culturelle profonde et une incompréhension historique de la France ». Une fois installé à l’Elysée, il a poursuivi dans ce sens en déplorant devant les représentants du culte, fin 2017, une « radicalisation de la laïcité » et en leur assurant, qu’à ses yeux, « c’est bien la République qui est laïque et non la société ». L’agnostique Macron est en effet convaincu de l’importance de la foi et du rôle des religions. « Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques (…). Je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation », déclarait-il par exemple lors de son discours prononcé au collège des Bernardins, à Paris, en avril 2018. Mais les pressions d’une partie de son camp – en premier lieu de son ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, attaché à la défense d’une laïcité stricte, en particulier face à la radicalisation islamiste –, tendent à brouiller cette image de libéralité.

Reste, pour finir, à comprendre l’opportunité de ce discours du 4 septembre. « Parler de la République, en France, c’est une formule convenable pour parler d’identité politique, ce ne sont pas des discours neutres. C’est préparer la présidentielle », estime Vincent Martigny. « Tous les acteurs politiques invoquent plus ou moins la République depuis les années 1980, abonde Chloé Gaboriaux, maîtresse de conférences à Sciences Po Lyon et directrice de la revue Mots. Les langages du politique. Le gros problème, c’est qu’on sait très peu de choses sur cette République, sa définition, car chaque intervenant y met ses propres valeurs. » « Chez Emmanuel Macron, il y a une grande plasticité du rapport à la République, des inconnues et des hésitations, relève l’historien Jean Garrigues. Les pères fondateurs de la IIIe République avaient la capacité de rassembler dans un idéal collectif car ils avaient pour répulsif le modèle d’Ancien régime, monarchiste, autoritaire et clérical. La société n’est plus du tout la même aujourd’hui, les questions sont beaucoup plus complexes. » Rendant le tableau bien plus indéchiffrable.

4 septembre 2020

Le doigt dans le nez...

doigt dans le nez

4 septembre 2020

Entretien - Roselyne Bachelot : « L’Etat n’abandonnera personne »

bachelot49

Par Brigitte Salino, Cédric Pietralunga, Sandrine Blanchard

Transition numérique, répartition des aides, distanciation physique dans les salles… La ministre de la culture dévoile ses premières pistes de travail dans le cadre du plan de relance de 2 milliards d’euros pour le secteur.

Dans un entretien au Monde, Roselyne Bachelot explique comment elle compte utiliser les 2 milliards d’euros prévus dans le plan de relance du gouvernement pour sauver un secteur culturel sinistré par la crise du Covid-19 et préparer l’avenir. « La culture patrimoniale doit se repenser pour conquérir des publics qui s’en éloignent de plus en plus », estime la ministre.

Le gouvernement va consacrer 2 % de son plan de relance, soit 2 milliards d’euros, à la culture. Est-ce à la hauteur du désastre que connaît le secteur ?

D’abord, ce plan de relance est un plan global, avec des mesures structurantes sur l’emploi, la formation, l’écologie. Tout cela va bénéficier aussi à la culture. Il y a beaucoup plus de 2 milliards qui lui sont consacrés dans ce plan ! La rénovation des bâtiments publics, la rénovation énergétique, la mobilité du quotidien, le renforcement des fonds propres des TPE [très petites entreprises], le soutien aux collectivités territoriales, tout cela va participer à la relance de la culture.

Ce plan a-t-il vocation à remplacer le plan d’urgence, annoncé en mai par Emmanuel Macron ?

Les mesures d’urgence, de plus de 5 milliards d’euros, ne sont pas fondues dans le plan de relance. Le chômage partiel va notamment continuer, avec un dispositif amélioré pour le secteur culturel. C’est nécessaire, la culture est le deuxième secteur le plus sinistré après celui des transports. Mais je passe aujourd’hui à la deuxième phase de mon action.

Comment avez-vous décidé la répartition des fonds alloués par le plan de relance ?

J’ai voulu prendre en compte de façon équilibrée l’ensemble des grands secteurs de la culture et me placer dans une vision dynamique, pour préparer l’avenir. C’est pour ça qu’une part importante sera consacrée à la modernisation des filières. Je me refuse à opposer culture patrimoniale et culture numérique. La culture patrimoniale doit se repenser pour conquérir des publics qui s’en éloignent de plus en plus. Je pense par exemple aux théâtres, qui sont désertés par les jeunes…

Concrètement, comment faire ?

Il faut accélérer la transition numérique, pour avoir des nouvelles offres culturelles. Permettre des visites immersives des expositions. Accéder aux œuvres de manière différente – en passant, cela permettra de diminuer la pression du public sur certains trésors culturels. Diffuser en direct des spectacles vivants, concerts ou pièces de théâtre. Numériser les catalogues, les fonds d’archives. Il y a des chantiers considérables à mener dans le numérique. L’idée n’est pas de supplanter l’offre patrimoniale mais de diminuer la pression sur celle-ci ou de la faire découvrir. Parfois, on n’ose pas aller à l’opéra, pensant que c’est trop cher, alors que c’est moins cher qu’un concert de rap ou de rock. Mais on peut le découvrir en direct sur sa tablette ou sur sa télé, et avoir envie d’y aller. C’est cela que je veux faire.

Comment vont s’articuler les aides entre le secteur public et le secteur privé ?

Sur les attributions fines, je ne peux pas répondre aujourd’hui. On y travaille actuellement avec les professionnels. Mais il n’y en a pas que pour le subventionné. Le plan de relance pour la création artistique comporte 220 millions d’euros pour le spectacle vivant privé, secteur qui a le plus souffert. Ce chiffre s’ajoute aux 100 millions de soutien qui viendront compenser une partie des pertes d’exploitation des salles de spectacle et de cinéma, quand la rentabilité, du fait des mesures sanitaires imposées, n’est pas atteinte.

Les responsables du théâtre privé estiment que cela ne leur permettra de tenir que

jusqu’à la fin de l’année. N’y a-t-il pas un effort particulier à faire ?

Il est assez difficile de savoir si le public va revenir dans les salles, si nous sommes dans une situation transitoire ou pas. Nous verrons bien. Pour l’instant, en incitant à la reprise de l’activité, ça marche. Je ne joue pas les Cassandre mais si la crise sanitaire s’amplifiait et qu’on était obligé de recourir à des mesures plus contraignantes, on remettrait les choses sur l’établi. Pour l’heure, on a un plan calibré. Quoi qu’il en soit, l’Etat n’abandonnera personne.

La reprise de l’épidémie de Covid-19 ne risque-t-elle pas d’enfoncer encore plus le secteur ?

La situation sanitaire ne s’améliore pas. Le seuil d’alerte est atteint dans dix-neuf départements. Il va nous falloir rester extrêmement vigilants et ne pas desserrer la démarche de sécurité…

La distanciation physique sera maintenue dans les salles de spectacle et de cinéma des départements en zone rouge ?

La doctrine ne peut pas changer pour l’instant. Il n’est pas question de relâcher nos efforts. J’ai obtenu qu’il n’y ait plus de jauge dans les salles des départements verts, ce qui est déjà une demi-victoire ! Par ailleurs, dans les salles parisiennes, la jauge peut atteindre environ 70 %, avec les groupes et les familles qui peuvent rester ensemble. Pour un certain nombre de spectacles, cela couvre la fréquentation habituelle. Pour le port du masque, l’habitude se prend et je rappelle qu’il est autorisé de consommer des confiseries dans les salles de cinéma, ce qui est un élément de rentabilité. On peut ôter son masque pour manger son pop-corn !

Mais comment faire revenir les spectateurs dans les salles ?

Il ne suffit pas d’aider le spectacle, il faut aussi inciter les spectateurs à y retourner. Toutes les normes de sécurité sont élaborées avec les professionnels, qui connaissent le terrain. On ne va pas demander au théâtre de Poche-Montparnasse d’appliquer les mêmes règles que la Philharmonie. On tient compte des situations particulières. Le public comprend qu’on veille à sa sécurité. Je remarque par ailleurs qu’il y a une vraie appétence pour les spectacles en cette rentrée, notamment au cinéma.

Mais on observe aussi que le public âgé ne revient pas…

C’est pour cela qu’on a imposé le port du masque pendant les séances, c’est un élément de sécurité pour les seniors. C’était indispensable. Mais il y a aussi un problème de fond. Aujourd’hui, la moyenne d’âge d’un spectateur au cinéma est de 58 ans. En dix ans, la part des jeunes y a baissé de 11 % ! La question est comment les faire revenir.

Quid des auteurs dans le plan de relance ?

Il y a un dispositif ciblé pour eux. Mais ce n’est pas un solde de tout compte. La situation des artistes-auteurs est l’un des sujets sur lequel je veux aboutir en 2021. C’est l’une de mes toutes premières priorités.

Vous êtes, dites-vous, « ministre des artistes et des territoires ». Est-ce que ce plan de relance va être l’occasion de rééquilibrer l’accès à la culture entre Paris et les régions ?

Ce rééquilibrage fait partie des objectifs, notamment sur la question du patrimoine. Il y aura un effort massif en faveur des monuments historiques, principalement en région. Par exemple, 80 millions d’euros sont destinés au « plan cathédrales » (hors Notre-Dame), ça ne s’est jamais vu. Des cathédrales comme Chartres (restauration des vitraux du transept), Dijon (mise en valeur de la rotonde et de la sacristie), Soissons (restauration du portail est et d’une chapelle), Saint-Denis, etc., seront concernées.

Et en dehors du patrimoine ?

Les états généraux des festivals, que je tiendrai dans la première semaine d’octobre, seront l’occasion de réfléchir à la manière dont ces festivals irriguent le territoire. Comment vont-ils affronter la donne sanitaire, les enjeux écologiques, financiers, la question des intermittents et des bénévoles ? Et puis, quand on abonde le budget des collectivités territoriales, on peut envisager que ce budget alimente notamment des projets culturels.

Le 6 mai, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir lancer des commandes publiques pour aider les artistes. Où en est-on ?

Le président de la République a fait une annonce, elle est budgétée dans le plan de relance. Maintenant, la discussion va s’ouvrir sur les projets qu’on va retenir, dans le cadre de cette commande publique, qui concernera tous les secteurs artistiques.

Quelle est précisément votre marge de manœuvre sur la répartition des deux milliards d’euros au titre du plan de relance ?

Les discussions avec Bercy sont bouclées. Les répartitions ont été arbitrées et n’ont pas vocation à bouger. Jean Castex s’est déplacé rue de Valois ainsi qu’au festival de cinéma d’Angoulême.

Le premier ministre est-il votre meilleur soutien ?

Je suis son meilleur soutien ! Plaisanterie mise à part, on ne peut rien faire si on n’a pas la confiance de son premier ministre. Il est évident, et j’en suis assez fière, que la culture est devenue un enjeu gouvernemental majeur. La culture vit un désastre incroyable. Si ce désastre – dont on n’est pas sorti, mais dont nous faisons tout pour sortir – aura au moins fait prendre conscience aux Français que la culture est un enjeu majeur, c’est toujours ça de pris.

Le Pass culture, toujours en gestation, bénéficiera-t-il du plan de relance ? Ce pourrait être un bon moyen d’attirer un nouveau public ?

Le Pass culture n’est pas inscrit dans le plan de relance mais dans le projet de loi de finances. La politique culturelle de l’Etat ne se résume pas à ce plan. Le Pass culture est un chantier auquel nous réfléchissons car son lancement, sur un certain nombre de départements-test, montre des fragilités. Globalement, sur les 500 euros alloués à chaque pass pour les jeunes de 18 ans, environ 120 euros sont consommés, ce qui interpelle. Et ces consommations sont principalement des « objets revendables » (livres, places de spectacle, etc.). Nous réfléchissons avec le président de la République et le premier ministre à son amélioration.

Vous craignez que le Pass culture soit surtout utilisé pour acheter et revendre ?

C’est un problème. Il peut y avoir, à partir du Pass culture, un effet de marchandisation de l’offre de biens culturels. Comme sur beaucoup de dossiers de démocratisation de la culture, on s’aperçoit qu’il y a besoin d’un accompagnement. A l’intérieur des établissements scolaires et universitaires, un référent Pass culture pourrait informer, motiver. Je travaille actuellement sur ce sujet avec Jean-Michel Blanquer. Mais il ne s’agit pas de créer une administration du Pass culture ! Il y a, globalement, une vraie réflexion, très importante, à mener sur le Pass avant de le généraliser.

L’Opéra de Paris, qui devrait afficher un déficit de 46 millions d’euros en 2020, bénéficiera-t-il du plan de relance ?

Dans les 206 millions prévus pour le spectacle vivant subventionné, 126 millions le seront pour les établissements et opérateurs publics de création. L’Opéra de Paris bénéficiera d’une substantielle enveloppe pour financer à la fois son déficit de fonctionnement sur deux années et son développement.

Le Grand Palais va-t-il bénéficier de ce plan de relance ? Est-ce raisonnable, vu l’état du secteur, de dépenser 450 millions d’euros pour le rénover ?

Le schéma de rénovation du Grand Palais est déjà financé, indépendamment du plan de relance, et l’enveloppe financière qui est consacrée ne change pas. Nous n’avons pas pris ce qu’il y avait sur les étagères pour afficher ces 2 milliards. Il n’y a aucun bourrage dans le plan de relance.

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