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Jours tranquilles à Paris
9 août 2015

« Le chômage de masse, la plaie de la France »

Pour Jean-Claude Trichet, ex-président de la Banque centrale européenne, le salut de la France, plombée par sa dette, passe par des réformes structurelles nécessaires pour relancer croissance et emploi.

Entretien

Jean-Claude Trichet. Ancien président de la Banque centrale européenne.

Sixième économie du monde, la France doit se ressaisir vite ?

Se réformer surtout en profondeur, pour augmenter son potentiel de croissance à moyen et long terme et sa création d’emplois. Notre problème crucial reste celui du chômage. Depuis le premier choc pétrolier en 1973, avant lequel nous étions en plein-emploi, le chômage de masse n’a fait qu’empirer pour devenir une maladie chronique.

Pourquoi un tel échec ?

Les causes sont multiples. Les grands arbitrages entre les intérêts de nos concitoyens privés d’emplois, d’une part, et les intérêts apparents de ceux qui ont un travail, d’autre part, sont souvent faits en France, au détriment des premiers. Pourtant les Autrichiens, les Danois, les Allemands arrivent à ce que le chômage des jeunes soit assez proche du chômage général, lui-même beaucoup plus bas que chez nous. « Tout se passe comme si la France affichait une regrettable préférence pour le F. chômage. »

Une affaire de bon sens ?

Oui. Nous avons besoin de réduire le chômage actuel de moitié si on veut progressivement éliminer le climat général d’anxiété qui dévaste notre société. Tout se passe comme si la France affichait, quel que soit le pouvoir en place, une regrettable « préférence pour le chômage ».

Comment l’expliquez-vous ?

L’opinion publique française a du mal à comprendre comment fonctionne une économie dans laquelle les consommateurs choisissent librement ce qu’ils préfèrent en fonction du rapport qualité-prix. Nos produits ont perdu des parts de marché en France comme à l’étranger car leurs coûts de production ont trop augmenté. Cela contribue à la persistance de notre chômage de masse.

Plus précisément ?

Depuis la création de l’euro en 1999, les coûts unitaires de production, c’est-à-dire le mélange des traitements-salaires d’un côté et des progrès de productivité de l’autre, ont augmenté, en France, de 17 % de plus qu’en Allemagne.

Est-ce dû aux progrès de productivité ?

Pas vraiment. Ces progrès ont été à peu près les mêmes sur la période. En fait, les Français ont eu significativement plus d’augmentation de revenus que les Allemands mais le prix à payer a été le maintien du chômage de masse. Les Allemands, eux, ont été récompensés de leur modération des revenus, des coûts et des prix à la production par la quasi-élimination du chômage de masse.

D’où vient notre perte de compétitivité ?

Il y a plusieurs causes. L’une d’entre elles est, on vient de le voir, la « compétitivité-coût ». La France avait mené une bonne stratégie de 1983 jusqu’à l’euro : la modération des revenus et des coûts a été poursuivie, sur la base d’un consensus multipartisan, pendant 15 ans. Mais au moment où on a créé l’euro, nous avons abandonné notre stratégie de modération des coûts qui permettait la diminution du chômage. Les Allemands ont fait l’inverse pour regagner leur compétitivité perdue.

Le choc de compétitivité, c’est la reconnaissance du problème de compétitivité-coût en France ?

Oui. Il y a une position gouvernementale claire sur ce point depuis janvier 2014. Mais ce n’est pas simplement l’affaire d’un seul choc mais une question de stratégie de long terme : nous devons poursuivre une stratégie persistante de modération des coûts sur une longue période. « Nous avons des concitoyens imaginatifs, capables de surmonter des difficultés imprévues. »

Avec aussi des réformes structurelles ?

Oui. Nous conservons des rigidités considérables, ce qui entrave la création d’emplois, l’adaptation permanente de l’économie française aux nouveaux marchés mondiaux.

Un diagnostic partagé ?

Je crois qu’il y a désormais un large consensus des grandes sensibilités politiques de gouvernement sur les trois principaux éléments du diagnostic : une économie trop rigide, des dépenses publiques trop importantes et des coûts de production trop élevés.

La France garde des atouts en mains. Sa carte maîtresse ?

La qualité de sa ressource humaine. Nous avons des concitoyens imaginatifs, débrouillards, travailleurs, capables de surmonter des difficultés imprévues. Nous avons aussi des formations d’ingénieurs et de cadres de grande qualité.

Recueilli par Pierre CAVRET.

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