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Jours tranquilles à Paris
16 avril 2016

Cluedo artistique au Palais de Tokyo

Palais de Tokyo jusqu'au 16 mai 2016.

Au concours, qui n’existe pas, de l’exposition la plus incongrue, celle qui se nomme « Double je » et transforme une partie du Palais de Tokyo en garage aurait de sérieuses chances de l’emporter. Elle répond à une nouvelle ­policière commandée au romancier Franck Thilliez, spécialiste du genre. Elle commence dans un commissariat par l’annonce d’un assassinat. La seule exigence de la commande était que le per­sonnage central soit un artisan. Il se nomme Ganel Todanais et ­affirme en avoir tué un autre, ­Natan de Galois. Les amateurs d’anagrammes ont déjà compris.

L’exposition se présente comme la scène du crime que ­serait la maison de la victime. Elle se parcourt en commençant par le bureau et la chambre à coucher, en continuant par les nombreux et fort encombrés ateliers de la victime, jusqu’à une pièce obscure. Des taches de sang et des indices variés ont été observés par les enquêteurs qui les ont, comme il se doit, préservés à des fins d’analyse. Des bandes de plastique jaune empêchent par endroits le passage, pour rendre la fiction plus convaincante.

palais tokyo 01

Une attention forcenée

La reconstitution des différentes pièces est si complète que l’on s’y laisse presque prendre : établis chargés d’une multitude d’instruments et de matériaux les plus divers, documents dispersés dans le plus complet désordre – en apparence –, images de toutes sortes sur les murs dressés pour l’occasion. Sans oublier le garage, avec sa voiture décorée à la bombe, des motos et l’odeur de peinture pour carrosserie si caractéristique. On y découvre une Suzuki GSX-R 1100 au carénage recouvert de plumes noires, de vraies plumes semble-t-il.

« C’est glauque », comme dit Hervé à Mélanie – deux des enquêteurs de la nouvelle. Et cela exige surtout du visiteur une attention forcenée en même temps que l’abandon de tout a priori sur ce qui relèverait de l’art et sur ce qui n’en serait pas. Cette scène du crime a des côtés marché aux puces et vide-greniers. Pourquoi ce dispositif ? Parce que le Palais de Tokyo a conclu un partenariat avec la Fondation Bettencourt Schueller, qui œuvre à la promotion des métiers d’art. Après « L’usage des formes » en 2015, « Double je » est leur deuxième manifestation commune. Elle associe des femmes et des hommes que l’on considère comme des artistes à des femmes et des hommes que l’on dit – ou qui se disent – artisans d’art.

Cette notion inclut des pratiques et des savoirs variés : plumasserie, marqueterie, ferronnerie, reliure, dentelle, broderie, coutellerie même. Cette dernière est ici au premier plan puisque l’arme du crime est « un étrange couteau fait d’un manche aux allures de colonne vertébrale et d’une lame noire en acier damas », poignard de luxe créé par Jean-Noël Buatois.

Celui qui emplume les motos se nomme Maxime Leroy. Celle qui construit des images en découpant et juxtaposant des matériaux hétéroclites, Marie-Hélène Poisson. Capucine Herveau brode sur à peu près tout ce qui se ­présente sous ses aiguilles. Si le crime a eu lieu chez un artisan aux nombreux talents, c’est évidemment pour justifier la prolifération des objets et des techniques, afin que chacun de ces spécialistes ait sa place.

palais tokyo 02

Fantasmagories macabres

Pour l’occasion, ils sont associés à des artistes plasticiens qui pratiquent la photographie, la peinture, le dessin ou l’installation. Il y a Jorge Molder, aux remarquables photographies spectrales, Jean Bedez, dessinateur halluciné, ou Eudes Menichetti, aussi à l’aise sur métal que sur papier et inventeur de prodigieuses fantasmagories macabres.

Les uns et les autres ont fait assaut d’inventivité et de loufoquerie, et tous ont travaillé ensemble avec une jubilation manifeste. Elle ne l’est jamais autant que dans l’installation qui réunit les cadres dorés monumentaux conçus par Mathias Kiss et les dessins de fil que Janaina Mello Landini tend dans l’espace en faisant s’effilocher de grosses cordes. Leur création conjointe, présentée dans une biennale, en serait aussitôt l’attraction générale. Texte de Philippe Dagen - Journaliste au Monde

« Double je », Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris 16e. Palaisdetokyo.com. Du mercredi au lundi, de 12 heures à minuit. Entrée : de 8 € à 10 €. Jusqu’au 16 mai.

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