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Jours tranquilles à Paris
20 mars 2017

Entre l’UE et la Turquie, le divorce indicible

Par Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen, Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen

Malgré les tensions, les Européens ne veulent pas rompre avec Ankara, afin de préserver l’accord migratoire.

Un an après l’accord du 18 mars 2016 destiné à stopper les flux de migrants transitant par la Turquie, que Bruxelles avait alors salué comme un nouveau départ dans ses relations avec Ankara, l’Union européenne (UE) et la Turquie sont au bord de la rupture. Et les Européens se demandent s’ils pourront supporter longtemps encore les outrances et les provocations du président turc Recep Tayyip Erdogan sans mettre définitivement fin au processus d’adhésion d’Ankara, dont les négociations ont commencé en 2005 et qui traînent depuis en longueur.

La ligne rouge a été largement franchie après que le président Erdogan a récemment traité de « nazis » les dirigeants allemands et néerlandais qui avaient fait annuler des meetings de ses ministres entendant faire campagne pour son référendum – prévu le 16 avril, il doit renforcer considérablement ses pouvoirs. Dans la foulée, le ministre turc de l’intérieur, Süleyman Soylu, a averti, jeudi 16 mars, que son pays pourrait laisser passer 15 000 réfugiés par mois vers l’Europe. La veille, son collègue des affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, menaçait de « mettre fin unilatéralement » à l’accord sur les migrants.

Comparée à l’outrance des propos turcs, la réaction des Européens reste modérée. « Des comparaisons avec le nazisme ou des déclarations agressives contre l’Allemagne ou d’autres Etats membres sont inacceptables », ont affirmé François Hollande et Angela Merkel, jeudi 16 mars. Certes, il n’est plus question d’organiser un sommet UE-Turquie au printemps pour lancer une modernisation de l’accord douanier entre les deux parties – qui date de 1995 –, alors que les Européens l’avaient envisagé fin 2016 dans un geste de conciliation vis-à-vis d’Ankara.

« Ambiguïté »

Les dirigeants de l’Union refusent toutefois de dénoncer officiellement le processus d’adhésion de la Turquie. Les discussions, brièvement relancées en juin 2016 avec l’ouverture d’un nouveau chapitre – sur les questions budgétaires –, sont complètement gelées depuis l’automne. Un diplomate bruxellois résume le point de vue des Européens : « Comme disait le cardinal de Retz, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. » Malgré les accusations de M. Erdogan, reprochant à l’UE de ne pas l’avoir suffisamment soutenu après la tentative de coup d’Etat de mi-juillet 2016, puis de ne pas libéraliser assez vite les visas pour les Turcs (contrepartie attendue de l’accord sur les migrants), les Européens restent stoïques. Ils refusent de donner des arguments à un président islamo-conservateur qui semble s’être définitivement détourné de l’Union.

« Les discussions d’adhésion sont au point mort, et le pouvoir turc ne veut manifestement plus se rapprocher de nous. Est-il, dès lors, intelligent de les dénoncer officiellement, alors que cela va inciter Erdogan à diaboliser encore plus l’Union ? Cela n’améliorerait en rien la situation », explique un diplomate européen. Le vieil argument selon lequel il faudrait maintenir les négociations d’adhésion pour ne pas décourager les Turcs pro-européens, alors qu’une partie de la population subit de sévères purges après le coup d’Etat de juillet 2016, continue aussi de porter.

Les Européens, particulièrement les Allemands, n’ont surtout aucune envie de mettre davantage en danger l’accord migratoire, qu’à Bruxelles on qualifie de « succès ». De fait, les flux de personnes venues de Turquie se sont taris. Même s’ils commencent à s’y habituer tant elles sont devenues répétitives depuis des mois, les dirigeants prennent les menaces turques très au sérieux. « La route des Balkans a beau être fermée, si Ankara rouvrait les vannes, la Grèce se trouverait à nouveau dans une situation très délicate », estime Yves Pascouau, spécialiste des migrations à l’European Policy Centre, un think tank basé à Bruxelles.

« Les Turcs vont continuer à hausser le ton jusqu’au référendum, il faut tenir », glissait, il y a quelques jours, un dirigeant de l’Union. Les Européens y parviendront-ils si Ankara multiplie les provocations ? La tension avec La Haye n’est pas retombée. L’annulation par la mairie de Rotterdam d’une nouvelle manifestation pro-Erdogan, prévue vendredi 17 mars, en est un signe.

Calmer le jeu

Sur le plan diplomatique, Mark Rutte, le premier ministre néerlandais sortant, qui devrait être reconduit à ce poste, tente de calmer le jeu sans pour autant céder aux exigences du pouvoir turc, qui a réclamé des excuses officielles après l’interdiction faite à deux ministres de faire campagne aux Pays-Bas. La fermeté, du moins verbale, sera aussi la règle du futur gouvernement néerlandais. L’Appel chrétien-démocrate (CDA), qui a de bonnes chances d’y participer, réclame un arrêt officiel des négociations d’adhésion avec la Turquie. Les Pays-Bas pourraient donc se ranger du côté de l’Autriche, qui demande la même chose. Le Parlement européen s’est aussi récemment prononcé dans ce sens, toutes familles politiques confondues, y compris la gauche.

« Un jour, le débat [sur l’arrêt des négociations avec Ankara] aura lieu, estime une source européenne de haut niveau. Mais on ne peut pas faire cela à chaud. Il faudra attendre la fin du référendum turc, puis des élections en France et en Allemagne. »

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