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Jours tranquilles à Paris
5 décembre 2017

Turquie : ouverture de grands procès contre des centaines d’universitaires

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Des enseignants sont poursuivis pour « terrorisme » pour avoir signé une pétition favorable à la reprise de pourparlers de paix entre le gouvernement et les Kurdes.

Des centaines d’universitaires ont été appelés à comparaître mardi 5 décembre devant des tribunaux à travers toute la Turquie pour répondre d’accusations de « terrorisme ». Les premières audiences de ces procès ont débuté à Istanbul, où d’éminents professeurs des universités de Galatasaray, de Marmara et d’Istanbul, sont jugés. D’autres procès débuteront plus tard.

Leur crime ? Avoir signé une pétition favorable à la reprise du processus de paix dans le sud-est du pays, à majorité kurde, ce qui fait d’eux de présumés suppôts du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre contre l’Etat turc depuis 1984. Ils risquent jusqu’à sept ans et demi de prison.

En janvier 2016, alors que les hostilités entre le PKK et les forces régulières d’Ankara faisaient rage à nouveau dans les régions kurdes du sud-est du pays, 1 128 enseignants rattachés à différentes universités du pays choisirent d’apposer leur signature sous un texte qui dénonçait « les violations des droits de l’homme », réclamait « la levée des couvre-feux » dans les villes assiégées par les forces spéciales, et demandaient l’accès des lieux à des « observateurs nationaux et internationaux », ainsi que la reprise des pourparlers de paix entre le gouvernement turc et la rébellion kurde.

« Propagande en faveur du PKK »

Aux yeux des autorités, ce geste équivaut à un acte de « propagande en faveur du PKK ». Les universitaires « savaient ce qu’ils faisaient » en le signant, dit l’acte d’accusation émis contre eux. Pourtant, le droit à la libre expression est mentionné dans l’article 26 de la Constitution du pays.

Dès 2016, des mesures administratives — limogeages, non-renouvellements de contrat — ont été prises à l’encontre de 885 d’entre eux. Quatre signataires, assez audacieux pour confirmer publiquement leur attachement à l’esprit de la pétition, furent jetés en prison. Remis en liberté provisoire depuis, ils sont toujours en jugement. Sur les 1 128 signataires, moins de 500 sont restés en Turquie, les autres sont partis à l’étranger pendant qu’il en était encore temps.

Pour Aysen Uysal, professeure de sciences politiques à l’université du 9-Septembre, à Izmir, et signataire de la pétition, plus question de voyager. Le 28 juin, elle et onze de ses collègues, tous signataires, ont reçu une lettre du recteur leur signifiant leur mise à pied. Enseignante depuis douze ans dans cette université, Aysen Uysal était loin de s’attendre à pareil traitement. « Avant cela, mes relations avec la direction de l’université étaient tout à fait normales. J’étais même plutôt bien vue, entre autres pour avoir permis de nombreux échanges d’étudiants dans le cadre du programme Erasmus. »

Son passeport a été annulé, elle ne peut plus quitter la Turquie. « J’avais des colloques à l’étranger, un cours à donner en Suisse, un jury de thèse à Aix-en-Provence le 6 février 2018, mais il m’est impossible de m’y rendre », déplore la jeune enseignante, parfaitement francophone. Sa mise à l’écart a été brutale. « Je travaillais normalement, je corrigeais des copies, je dirigeais des thèses, quand j’ai reçu cette lettre. Je n’en suis pas revenue. La porte de mon bureau a été verrouillée, mon accès au campus a été bloqué. »

Passeports confisqués

Depuis leur limogeage, les universitaires sont devenus des parias. Mis au ban de la société, ils ne peuvent ni espérer trouver du travail en Turquie ni refaire leur vie ailleurs, leur passeport ayant été confisqué. Les collègues qui ne sont pas concernés par ces mesures fuient les signataires de la pétition. « Visiblement, ils ont peur et préfèrent se tenir à distance de crainte de perdre leur statut », explique Aysen Uysal.

En fin de semaine dernière, elle n’avait toujours pas reçu sa convocation au tribunal. « Ce côté imprévisible est une autre forme de répression. La seule certitude est que l’état d’urgence [imposé après le coup d’Etat raté du 15 juillet 2016 et régulièrement reconduit depuis] est la porte ouverte à tous les abus, il n’y a plus de droits. » Avec ses collègues, elle a quand même déposé un recours auprès d’un tribunal administratif pour contester leur mise à pied.

Seule consolation, un élan de solidarité existe entre les enseignants signataires de la pétition. « Ceux qui travaillent aident les autres, le syndicat Egitim-Sen [gauche] organise une caisse de secours, ce qui permet aux plus démunis de survivre et à nous tous d’espérer que, un beau jour, ce cauchemar prendra fin. »

Par ailleurs, un tribunal d’Ankara a condamné, vendredi 1er décembre, Nuriye Gülmen, une universitaire en grève de la faim depuis mars pour contester son limogeage, à six ans et trois mois de prison pour appartenance au DHKP-C, un groupuscule d’extrême gauche classé « terroriste » par Ankara. La cour a ordonné sa remise en liberté conditionnelle dans l’attente de son jugement en appel. Le juge a en revanche abandonné les charges contre Semih Özakça, un autre enseignant jugé dans la même affaire.

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