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Jours tranquilles à Paris
26 février 2019

Antiterrorisme, diplomatie : le pari irakien d’Emmanuel Macron

Par Marc Semo

Le pays, point d’équilibre dans une région tiraillée par les conflits et les rivalités de puissances, « a vocation à retrouver un rôle de pivot », selon le chef de l’Etat, qui accueillait lundi son homologue irakien.

Les autorités françaises misent sur l’Irak. Elles considèrent Bagdad comme un partenaire majeur aussi bien sur le terrain de l’antiterrorisme face à l’organisation Etat islamique (EI) que sur le plan diplomatique, pour revenir pleinement dans le jeu au Moyen-Orient. « Le relèvement de l’Irak est un signe d’espoir pour toute la région », a souligné Emmanuel Macron lundi 25 février dans une conférence de presse aux côtés de son homologue irakien Barham Saleh, à l’issue d’un déjeuner à l’Elysée.

Le président français avait prévu de se rendre en Irak en février ou début mars, projet renvoyé en raison de ses engagements dans le débat national. C’est donc son homologue, un Kurde dont les pouvoirs sont surtout symboliques, comme le prévoit la Constitution irakienne, qui s’est rendu à Paris avant une visite du chef de l’Etat « d’ici quelques mois ».

Comme pour souligner l’enjeu sécuritaire commun, le matin même du début de la visite, les autorités de Bagdad reconnaissaient le transfert dans leur pays de treize djihadistes présumés français capturés en Syrie par les Forces démocratiques syriennes (FDS), les partenaires de la coalition internationale. « Toute personne accusée d’avoir commis des crimes en Irak, contre le peuple irakien, contre les installations irakiennes, nous la recherchons pour la juger », a précisé Barham Saleh sans pour autant confirmer la nationalité des détenus.

A son côté, Emmanuel Macron s’est aussi refusé à tout commentaire sur leur nationalité ou leur identité. « Pour les Français majeurs détenus qui seraient transférés, il reviendra d’abord aux autorités irakiennes de décider souverainement s’ils doivent faire l’objet de procédures judiciaires sur place », a-t-il précisé. Le cadre ainsi fixé reste celui affirmé sous la présidence Hollande. En laissant quasiment carte blanche aux autorités irakiennes – sauf pour la peine de mort – il est suffisamment souple pour permettre le transfert, le jugement en Irak et l’incarcération de certains djihadistes français capturés en Syrie. Ils bénéficieront néanmoins comme tout citoyen français « du droit à la protection consulaire ».

Une pièce essentielle dans la lutte contre ce qui reste de l’EI

Le retrait américain de Syrie, même s’il sera plus limité qu’annoncé par Donald Trump en décembre 2018, avec le maintien sur place de 200 hommes, fait de l’Irak une pièce essentielle dans la lutte contre ce qui reste de l’EI. « La menace terroriste demeure et nous restons aux côtés des Irakiens aussi bien politiquement que militairement », a insisté le président français.

irak et france

Son homologue irakien a rappelé, aussi bien à l’Elysée que quelques heures plus tard devant l’Institut français des relations internationales (IFRI), la nécessité de « stabiliser et solidifier une victoire qui si elle est importante ne marque pas la fin de l’extrémisme et du terrorisme que nous avons connu ». Et d’insister en mettant en garde contre tout sentiment d’euphorie sur « la nécessité de ne pas crier victoire trop tôt » en affrontant maintenant « les causes profondes », notamment économiques et sociales du djihadisme.

« L’Irak a vocation à retrouver un rôle de pivot dans la région », a également encouragé Emmanuel Macron. Le pays est un partenaire clé, chez lequel la France peut bénéficier d’un terrain favorable. « Le refus, justifié, de participer en 2003 à l’intervention menée par les Etats-Unis qui a renversé Saddam Hussein a été un handicap vis-à-vis des autorités de Bagdad et de la majorité chiite, mais la guerre menée en commun contre Daech [acronyme de l’EI en arabe] a changé la donne », souligne un haut diplomate français. « Les Irakiens regardent vers la France aussi parce que l’Amérique n’est pas fiable, que les Russes n’ont pas grand-chose à apporter pour la reconstruction et que les pays du Golfe hésitent face à un pays à majorité chiite et gardant de bonnes relations avec l’Iran », renchérit une source proche du dossier.

De relativement bonnes relations avec tous les acteurs

« L’intérêt de l’Irak est d’être un point d’équilibre et de rester en dehors des querelles de nos voisins », a insisté Barham Saleh devant l’IFRI. Bagdad est en effet la seule capitale régionale à entretenir de relativement bonnes relations avec tous les acteurs, aussi bien l’Iran que le régime syrien mais aussi l’Arabie saoudite. Tout cela en restant lié aux Etats-Unis, qui maintiennent sur place quelque 5 000 hommes. Une montée des tensions entre Washington et Téhéran pourrait néanmoins tout remettre en cause, ce qui explique une très prudence des investisseurs occidentaux, dont les Français, même si Paris a accordé 1 milliard d’euros d’aides sur quatre ans pour la reconstruction.

Cet équilibre se retrouve aussi sur la scène politique intérieure avec une politique plus « inclusive » pour toutes les minorités. Le nouveau premier ministre, Adel Abdel Mehdi, francophone et francophile, nommé en octobre 2018 après un compromis entre les deux blocs chiites rivaux, en est le symbole. « La stabilité du pays passe par la capacité à construire des solutions politiques incluant toutes les composantes de la société irakienne », a souligné Emmanuel Macron, évoquant notamment les chrétiens et les Yézidis et en rendant hommage à cet égard aussi bien au premier ministre qu’au président irakien.

Celui-ci s’était rendu dans la matinée à l’Unesco, qui avait lancé il y a un an le projet « faire revivre l’esprit de Mossoul » la grande ville multiculturelle du nord dévastée par les djihadistes. Une manière de souligner l’importance de cet héritage commun.

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