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Jours tranquilles à Paris
1 mars 2019

Corée du Nord : à Hanoï, la diplomatie Trump victime de sa naïveté et de son amateurisme

Par Gilles Paris, Washington, correspondant - Le Monde

Le président américain avait tout misé sur sa relation personnelle avec Kim Jong-un et sur les perspectives économiques pour le régime de Pyongyang. Cela n’a pas suffi.

L’extrême personnalisation des négociations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord avait été considérée comme le socle d’une dynamique inédite. Elle a peut-être été la raison principale de l’échec constaté à Hanoï, jueudi 28 février, lorsque Donald Trump et Kim Jong-un se sont séparés sans être parvenus à s’entendre sur la moindre déclaration commune.

Le premier sommet tenu à Singapour, en juin 2018, avait déjà montré les limites de ce cadre. Au lendemain de cette première rencontre historique, le président des Etats-Unis avait assuré sur son compte Twitter qu’« il n’y [avait] plus de menace nucléaire nord-coréenne », uniquement pour découvrir ultérieurement que les deux camps avaient une lecture divergente de la dénucléarisation qu’ils s’étaient fixée comme objectif (limitée à la Corée du Nord ou étendue à l’ensemble de la péninsule comme le souhaite Pyongyang).

A Hanoï, ce sont les termes du troc envisagé qui ont posé problème. Donald Trump a assuré que Kim Jong-un souhaitait la levée de toutes les sanctions qui pèsent sur son pays contre le démantèlement déjà promis par le passé de la centrale de Yongbyon. Le ministre nord-coréen des affaires étrangères Ri Yong-ho a plus tard nuancé ces affirmations en assurant n’avoir demandé qu’une levée partielle concernant les mesures qui affectent selon lui le plus durement la population, mais de fait les plus efficaces, en échange de l’arrêt de la centrale.

Le renseignement américain, comme l’a confirmé Donald Trump au cours de la conférence de presse qui a suivi le constat d’impasse, considère que Pyongyang dispose au moins d’un autre site de production de matière fissile.

Lignes rouges américaines

Jusqu’au bout, Donald Trump a mis en avant la relation personnelle forgée selon lui avec son homologue nord-coréen. Quelques instants seulement avant l’échec, le président des Etats-Unis multipliait encore les louanges à propos de son interlocuteur. Lorsque ce dernier, répondant à une question d’un journaliste américain à l’occasion d’une brève interaction avec la presse, avait jugé que sa présence à Hanoï attestait de son sérieux pour parvenir à une dénucléarisation, Donald Trump avait jugé qu’il s’agissait sans doute de « la meilleure réponse que j’ai entendue ».

Il avait enjoint les journalistes à ne pas « hausser la voix » en s’adressant au responsable nord-coréen. Au cours de la brève conférence de presse qui a suivi l’interruption des négociations, il a continué a faire crédit à Kim Jong-un, assurant notamment que ce dernier lui avait assuré n’avoir pas été informé du sort d’un étudiant américain emprisonné en Corée du Nord où il était tombé malade dans des circonstances obscures. Rendu à sa famille alors qu’il était plongé dans un état végétatif, ce dernier était décédé en juin 2018.

Donald Trump a sans doute accordé une importance exagérée aux perspectives de développement économique, présentées avec force hyperboles, qui accompagneraient la levée des sanctions en cas de renoncement par Pyongyang à son programme nucléaire militaire. Une contre-partie sans doute insuffisante pour rivaliser avec l’assurance-vie pour le régime que constitue la possession de l’arme suprême.

Kim Jong-un a peut-être lui-aussi surestimé sa capacité à obtenir plus que Donald Trump était prêt à concéder. Lors de la conférence de presse, le président des Etats-Unis s’est tourné plus d’une fois vers son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, pour que ce dernier rappelle les lignes rouges que la délégation américaine s’était fixées, et qu’elle a au final respectées.

diplomatie trump

Fiasco

Ce refus d’aller au delà a d’ailleurs été immédiatement mis en avant pour contrer l’image négative de l’échec du sommet de Hanoï. Il a été salué, côté républicain, par ceux qui s’inquiétaient que Donald Trump multiple les concessions pour sauver l’apparence d’une dynamique diplomatique.

Cette stratégie de communication aura cependant du mal à effacer une impression fâcheuse d’amateurisme. Richard Haass, ancien de l’administration de George H. W. Bush, a estimé sur son compte Twitter que le fiasco de ce sommet « est le risque que vous courez lorsque vous faites trop confiance aux relations personnelles, lorsque le sommet est mal préparé et lorsque le président signale qu’il est confiant dans sa réussite ».

Les multiples reports ou annulations de visites qui avaient suivi la première rencontre entre les deux hommes à Singapour, en juin 2018, auraient dû alerter. Nommé en août pour accompagner cette nouvelle dynamique diplomatique, l’envoyé spécial de Donald Trump pour la Corée du Nord, Stephen Biegun, avait tardé avant de pouvoir nouer un contact avec le régime nord-coréen. L’homologue avec lequel il avait préparé le sommet de Hanoï, Kim Hyok-chol, n’avait été nommé qu’au début de l’année. Et il n’avait pas été identifié comme tel lorsqu’il avait accompagné le chef-négociateur nord-coréen, Kim Yong-chol, à la Maison Blanche, en janvier, pour annoncer la tenue d’un second sommet.

Les discussions vont se poursuivre

Un fossé d’expertise a séparé par ailleurs les deux équipes. Kim Hyok-chol participe depuis plus d’une décennie aux négociations sur le nucléaire nord-coréen. Il comptait déjà parmi les négociateurs de Pyongyang lors des pourparlers à six (Etats-Unis, Corée du Nord, Corée du Sud, Japon, Chine, Russie) au début du siècle. Stephen Biegun ne disposait d’aucune expérience sur le sujet lorsqu’il a été nommé.

Au cours du voyage de retour, Mike Pompeo a fait profession d’optimisme en assurant que les deux parties s’étaient rapprochées et que les discussions allaient de se poursuivre, sans donner cependant la moindre date.

Son homologue nord-coréen a assuré pour sa part que Pyongyang n’envisageait pas de modifier son offre, mais l’agence de presse officielle de son pays a aussi assuré que Donald Trump et Kim Jong-un « sont convenus de continuer leurs discussions fructueuses ».

trump

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