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Jours tranquilles à Paris
25 mars 2019

Enquête - Des catholiques atterrés veulent du changement

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Par Cécile Chambraud - Le Monde

L’idée que l’Eglise catholique traverse une crise profonde gagne du terrain parmi les catholiques engagés. Beaucoup expriment désormais la volonté d’agir pour changer l’institution.

Le refus par le pape François de la démission du cardinal Philippe Barbarin aura été le coup de grâce. En un mois, l’accumulation des informations liées à des scandales a laissé bien des catholiques groggy. Ils ont successivement appris que l’ancien cardinal américain Theodore McCarrick, accusé d’agression sexuelle sur un mineur, avait été défroqué ; la mise en cause du nonce dans une affaire d’atteinte sexuelle ; la sortie du film de François Ozon sur les victimes du père Preynat ; la publication du livre Sodoma sur l’homosexualité, pourtant peccamineuse aux yeux de l’Eglise, de nombre de ses hiérarques ; la diffusion d’un documentaire d’Arte montrant l’ampleur des viols de religieuses par des prêtres ; la condamnation à six ans de prison, en Australie, du cardinal George Pell, numéro trois du Vatican, pour agression sexuelle sur mineur.

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Déjà, l’été précédent, il avait fallu encaisser le décompte des enfants victimes de prêtre dans les diocèses de Pennsylvanie et d’Allemagne au cours des dernières décennies. « Accablement », « colère », « humiliation », « stupeur » : chacun cherche aujourd’hui à exprimer le sentiment qui domine après cette série.

Certes, des catholiques continuent de voir une volonté de nuire à leur Eglise derrière certaines révélations. Mais le réflexe obsidional cède de plus en plus souvent devant les faits. L’idée que l’Eglise catholique traverse une crise profonde gagne du terrain. Des comparaisons historiques sont tentées. On fait appel à l’époque pré-grégorienne, aux papes Borgia, au grand ébranlement de la Réforme.

Emerge la conviction que l’épreuve sera de longue durée. « J’ai clairement le sentiment que ce n’est pas moi qui verrai le renouveau de l’Eglise, explique l’essayiste et blogueur Erwan Le Morhedec, et peut être pas même mes enfants. Mais nous sommes à un moment historique que nous n’avons pas le droit de rater. » « L’Esprit mène l’Eglise vers la vérité tout entière, croit François Debelle, diacre à Marseille. Nous vivons une lame de fond qui va tout balayer, cette génération, ceux qui ont peur de se dévoiler, ceux qui continueront de se mettre en travers. » « Une perte de confiance dans la hiérarchie se répand », assure Guillaume de Prémare, délégué général de l’association Ichtus.

« On ne peut plus se cacher derrière son petit doigt »

Ces révélations sont douloureuses. « Avec ce martèlement des affaires, explique Erwan Le Morhedec, nos digues personnelles sont attaquées. » Certains sont touchés de près. « Plusieurs figures spirituelles qui m’ont conduit vers l’Eglise ont dérapé. Un prêtre qui m’a marqué a fait six ans de prison pour attouchements sexuels », témoigne Arnaud Bouthéon, un ancien de la Manif pour tous toujours très investi dans la vie chrétienne. François Debelle a jeté sa « colère » dans un glossaire de la pédophilie lorsqu’il a appris qu’un ami prêtre avait été condamné à de la prison pour viol d’enfant. A Versailles, avec d’autres mères de famille, Camille de Metz-Noblat, une fidèle qui a longtemps été « un pur produit clérical qui ne remettait pas en cause la hiérarchie », vient de fonder une association d’aide aux victimes d’abus, face à ce qu’elle estime être l’inertie du diocèse dans un cas qui l’a touché de près.

Au-delà de la consternation, commence à s’exprimer la volonté d’agir pour changer. Car l’idée que quelque chose, dans la configuration organisationnelle et doctrinale de l’Eglise, a contribué au désastre commence à infuser. Erwan Le Morhedec l’a résumé ainsi dans une chronique publiée par La Vie, le 14 mars : « Il n’est plus possible de laisser perdurer le système ecclésial actuel. (…) La révolte qui habite les cœurs et les entrailles des fidèles de toutes sensibilités ne peut pas rester lettre morte. » « On ne peut pas simplement se dire qu’on va passer à autre chose. On ne sait plus ce qui tient debout aujourd’hui », plaide l’essayiste. « Les révélations sont telles qu’on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt », dit François Mandil, délégué national des Scouts et guides de France.

La difficulté, c’est que l’Eglise n’a pas la culture du débat. Sa structure verticale, qui met à part et en haut les hommes ordonnés (évêques et prêtres essentiellement), ne la favorise pas. Risquer une critique, formuler une proposition de réforme, c’est encourir le reproche de menacer la « communion » ecclésiale. Pourtant, les catholiques qui expriment l’urgence d’une réforme le font bien de l’intérieur. « Je ne suis pas dans la confrontation, je veux être dans une démarche ecclésiale, insiste Erwan Le Morhedec. Mais le sentiment qu’il n’est pas possible d’attendre que le mouvement vienne des évêques est largement partagé. » « On ne se parle pas, regrette Arnaud Bouthéon. Les évêques sont perdus, les prêtres sont perdus, les laïcs sont perdus et on ne se rencontre pas. » Les canaux du dialogue sont à inventer.

« Créer des lieux de dialogue »

« Que faire ? Il y a à l’évidence une réflexion profonde à mener sur le rapport au pouvoir, au service. La position du prêtre au-dessus de tout ne va pas pouvoir tenir », affirme François Mandil. « S’il vous plaît les chrétiens, cessez de nous appeler mon père, appellation infantilisante et de nous mettre ainsi nous, les prêtres, sur un piédestal », a conjuré sur Facebook Frédéric Ozanne, prêtre, « aumônier scout et salarié du bâtiment ». Mais certains ne croient pas à une véritable remise en cause. « La structure fondamentale du pouvoir ne bougera pas, prédit Guillaume de Prémare. Le pouvoir est lié au sacerdoce, aux évêques comme successeurs des apôtres. » François Debelle propose de séparer le pouvoir temporel de la paroisse, confié à un « président » laïc, du pouvoir spirituel du prêtre.

« Ce qui manque, pour moi, ce sont les contre-pouvoirs. Un ecclésiastique n’a de compte à rendre à personne. Et pour instaurer des contrepoids, il faut créer une culture de la discussion franche, des lieux de dialogue », estime Monique Baujard, une ancienne directrice (laïque) du service famille et société de la Conférence des évêques de France. Pour elle, l’Eglise doit penser autrement son organisation : « Aujourd’hui, les évêques organisent leur diocèse en fonction des prêtres disponibles. Il faudrait plutôt réfléchir en fonction des besoins des communautés. Se demander : de quoi les catholiques ont-ils besoin pour vivre leur foi dans une société où ils sont minoritaires ? Ce n’est pas seulement de prêtres. » D’ailleurs, « a-t-on besoin d’autant de diocèses, d’administration territoriale lorsqu’on est en terrain missionnaire, comme aujourd’hui ? », interroge Arnaud Bouthéon.

La place des laïcs à des postes de décision à tous les niveaux est réclamée par beaucoup. Celle des femmes aussi, même si la plupart ne veulent pas ouvrir, à ce stade, la question du sacerdoce pour elles. Il y a quelques jours, l’archevêque de Poitiers, Pascal Wintzer, a provoqué un certain émoi en évoquant favorablement la possibilité d’ordonner prêtres des hommes mariés – une hypothèse d’ailleurs à l’étude au Vatican. « Il y a trois ans, ça n’aurait pas été possible », observe François Mandil. La question de « la solitude des prêtres » est fréquemment évoquée.pedo23

« La quête de sens demeure »

Véronique Margron a entamé pour sa part un travail de fond. Dans un livre à paraître le 28 mars, Un moment de vérité (Albin Michel, 192 pages, 18 euros), cette dominicaine qui préside la conférence des religieux de France dissèque, dans « la façon dont est organisée, pensée l’institution catholique », ce qui, selon elle, a favorisé « ce scandale, ce désastre » à la « dimension collective ». « C’est une bonne partie de notre théologie qu’il faut reprendre, écrit-elle. Nous devons à nouveau réfléchir sur la conception de la paternité de Dieu, le sens des sacrements et spécialement la place du célébrant, la question de l’Eglise mère. »

« Comment notre discours sur la sexualité a-t-il pu amoindrir notre lucidité, notre conscience face à ces crimes, s’interroge-t-elle dans son bureau de provinciale des dominicaines. Nous avons tellement lié l’ordre du bien et du mal à celui du permis/pas permis que nous avons induit une collusion spirituelle entre, par exemple, les relations sexuelles préconjugales et les violences sexuelles sur des enfants. » Un afflux de nouveaux témoignages lui sont parvenus après la diffusion du documentaire d’Arte sur les religieuses violées.

Certains s’impliquent. François Debelle veut constituer un site Internet qui soit un « centre de ressources » pour lutter contre la pédophilie. L’association de Camille de Metz-Noblat est entrée en contact avec d’autres associations de victimes. D’autres font appel à un concept théorisé par Benoît XVI pour affronter la sécularisation, celui d’une Eglise retournée à l’état de « minorité créative » capable de façonner l’avenir. Fondateur d’Anuncio, un mouvement de laïcs qui se consacre à l’évangélisation, Raphaël Cornu-Thénard est convaincu que le salut de l’Eglise ne se trouve pas « au niveau organisationnel », mais dans un retour à « une vie mystique », tendue vers « l’union à Dieu ». « La quête de sens demeure. Si l’Eglise n’est pas uniquement orientée vers l’union à Dieu, alors on est dans la préservation des murs », affirme-t-il.

religion55

Et aussi les viols de religieuses !

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