Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
9 mai 2019

Tempête contre les résidences secondaires en Bretagne

Par Nicolas Legendre, Rennes, correspondance

Des tags dénonçant le nombre de maisons de vacances ont été apposés sur des bâtiments de treize communes du Morbihan, des Côtes-d’Armor et d’Ille-et-Vilaine, le 15 avril. Les cibles sont des stations balnéaires.

Un pourcentage. Un chiffre. Tous deux peints à la bombe. Pas de signature. Pas de texte. Ces graffitis pourraient faire penser à une prophétie cryptée émanant de quelque société secrète.

Les employés de mairie et les élus qui les ont découverts, le 15 avril au petit matin, sur les façades de treize hôtels de ville du Morbihan, des Côtes-d’Armor et d’Ille-et-Vilaine n’ont cependant pas eu de mal à comprendre leur signification. Le pourcentage correspondait à la part des résidences secondaires dans chacune des communes concernées. Le chiffre indiquait la quantité totale desdites résidences dans la collectivité en question.

Flambée des prix de l’immobilier

Ces barbouillages nocturnes, commis simultanément et – très probablement – de façon coordonnée, n’ont pas été revendiqués. Plusieurs plaintes ont été déposées.

Largement relayés par les médias régionaux, les faits ont contribué à alimenter le débat autour d’une préoccupation récurrente en Bretagne : la transformation de cités côtières en zones de villégiature consacrées à une monoactivité touristique. La péninsule armoricaine se classe au quatrième rang des régions françaises ayant le plus important taux de résidences secondaires – ce type d’habitats concernait 13 % du total des logements bretons en 2015, la Corse occupant, quant à elle, la tête du classement, avec 37,2 %.

Quiberon, Carnac, Sarzeau, Damgan, Saint-Philibert, Saint-Gildas-de-Rhuys, Arzon, Locmariaquer, Saint-Cast-le-Guildo, Saint-Jacut-de-la-Mer, Lancieux, Saint-Briac-sur-Mer, Saint-Lunaire… Les treize localités prises pour cibles bordent la Manche ou l’océan Atlantique. Toutes comptent aujourd’hui plus de 50 % de résidences secondaires. A Arzon, ce taux atteint même 80 %.

Avec ses 2 470 kilomètres de côtes (l’équivalent de la distance entre Paris et Moscou), la Bretagne totalise un tiers du littoral métropolitain. Toujours plus attractives, les communes concernées doivent composer avec des réserves foncières limitées.

Les prix de l’immobilier, eux, flambent. En 2018, une maison ancienne se négociait environ 4 000 euros le mètre carré à Quiberon, contre 1 700 à 2 000 euros à l’échelle régionale, selon les données fournies par Ouestfrance-immo.com. Des tarifs prohibitifs pour de nombreux Bretons, qui travaillent dans ces communes mais n’ont donc pas les moyens d’y habiter. Au printemps 2018, des saisonniers ont manifesté à Quiberon pour protester contre le manque de logements et le montant « quasi parisien » des loyers dans le secteur – une première.

« IL FAUT ARRÊTER AVEC LA VISION CARICATURALE DE RÉSIDENTS SECONDAIRES QUI ARRIVERAIENT LE 15 JUILLET ET REPARTIRAIENT LE 25 AOÛT. CERTAINS D’ENTRE EUX VIVENT ICI HUIT MOIS DE L’ANNÉE ! » OLIVIER LEPICK, MAIRE DE CARNAC

A la même période, le collectif Dispac’h (« révolte », en breton), qui se revendique « indépendantiste, anticapitaliste, féministe, écologiste, antifasciste et internationaliste », a mené une action dans plusieurs communes du littoral. Des dizaines d’affiches, sur lesquelles on pouvait lire « Bretagne résidence secondaire, villages en ruine, jeunesse en exil », ont été placardées sur les murs de maisons considérées comme des résidences secondaires. Ewan Thébaud, porte-parole du collectif, dément tout lien avec les récentes dégradations commises sur des mairies. « Nous militons à visage découvert », explique l’intéressé, qui déplore un « manque de courage politique » concernant ce sujet.

« Plus une chance qu’un fardeau »

Olivier Lepick, maire (divers droite) de Carnac, s’inscrit en faux. Sa ville, l’une des stations balnéaires les plus célèbres de France, compte 4 000 habitants en hiver, douze fois plus en été. Sa mairie a été taguée dans la nuit du 14 au 15 avril.

« Ces méthodes me choquent énormément, peste M. Lepick, à l’unisson des édiles concernés. Il faut arrêter avec la vision caricaturale de résidents secondaires qui arriveraient le 15 juillet et repartiraient le 25 août, explique-t-il. Certains d’entre eux vivent ici huit mois de l’année ! Un résident secondaire est un résident principal en puissance, puisque beaucoup d’entre eux s’installent sur place pour leur retraite. Et, en termes économiques, leur apport est énorme. C’est plus une chance qu’un fardeau pour la commune. »

De l’autre côté de la péninsule, Michel Penhouët, maire (Mouvement radical) de Saint-Lunaire, tient un discours semblable. Il insiste sur les « mesures de remédiation » prises par son conseil municipal pour faciliter l’installation d’habitants « permanents », dont la vente de terrains de lotissement « à prix coûtant » destinés à de jeunes ménages, sous conditions de ressources. Mais il affirme qu’il manque d’« outils politiques » pour agir en profondeur.

Loïg Chesnais-Girard, président (PS) du conseil régional de Bretagne, se dit quant à lui « conscient du problème » et assure que sa collectivité soutient les territoires « qui veulent réorienter leur modèle de développement », notamment par le biais d’aide à la transformation du foncier dans les centres-villes. Et d’asséner une formule utilisée en son temps par son prédécesseur, l’actuel ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian : « La Bretagne n’a pas vocation à devenir une Breizh riviera. »

Publicité
Commentaires
Publicité