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Jours tranquilles à Paris
17 mai 2019

Critique « Douleur et gloire » : dans le labyrinthe d’Almodovar, la beauté à chaque détour

aldo22

Par Thomas Sotinel

Avec son dernier long-métrage, en compétition à Cannes, le cinéaste espagnol livre son film le plus achevé depuis « Volver », et le plus étourdissant depuis « Parle avec elle ».

SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION

L’AVIS DU « MONDE » – CHEF-D’ŒUVRE

Les petits maux qui minent un homme vieillissant sont assez répandus pour n’intéresser que les intéressés et – dans le meilleur des cas – ceux qui l’entourent.

Pedro Almodovar, 70 ans le 25 septembre, les a placés au service de son cinéma. De cette mise au pas de contrariétés quotidiennes il a fait naître son film le plus achevé depuis Volver, le plus doux depuis La Fleur de mon secret, le plus étourdissant depuis Parle avec elle.

On trouvera au centre de Douleur et gloire un réalisateur vieillissant et fameux, Salvador Mallo. Pour l’incarner, Antonio Banderas s’est un peu vieilli (il a une bonne dizaine d’années de moins qu’Almodovar), beaucoup ébouriffé, affirmant, dès les premières séquences, la proximité entre auteur et personnage. On peut s’amuser à rechercher les détails empruntés à la vie quotidienne de Pedro Almodovar qui, depuis la sortie triomphale de son film en Espagne, le 22 mars, s’amuse à semer des petits cailloux dans tous les sens.

Mieux vaut faire connaissance avec Salvador Mallo, comme si on ne savait rien de lui. Ce qui lui arrive dans Douleur et gloire – la peur à l’approche d’une fin pourtant encore lointaine, le doute sur la distance déjà parcourue, les consolations fugaces et les douleurs nouvelles – est tout à fait commun. Mais parce que Pedro Almodovar lui a conféré le privilège de vivre dans la fiction, Salvador Mallo bénéficie de l’opération magique par laquelle la beauté s’impose au monde, si trivial et cruel soit-il.

Flash-back lumineux

Du Labyrinthe des passions (1982) à Douleur et gloire, Antonio Banderas n’a jamais été meilleur que chez Almodovar. C’est l’un des plus jolis traits d’esprit de ce film que de donner à cet acteur qui dépend tant du réalisateur qui le dirige, justement, le rôle d’un cinéaste, et de lui permettre d’atteindre une complexité et une profondeur inédites dans sa carrière.

On découvre Salvador vivant en reclus dans un bel appartement qui ressemble un peu à un musée, beaucoup à une chambre funéraire – c’est comme ça que l’éclaire le chef opérateur José Luis Alcaine. Salvador ne tourne plus, il passe du temps à flotter entre deux eaux à la piscine pour soulager son dos et avale des théories de petites pilules. Il est surveillé par une femme de ménage immigrée et une assistante dévouée, qui s’inquiètent de le voir se détacher peu à peu de la vie.

Il rêve au passé, et d’abord à son enfance, qui surgit en flash-back lumineux, au centre desquels brille la figure de sa mère, Jacinta (Penélope Cruz). On voit l’artiste se tordre de douleur sous les coups de l’âge et du manque d’inspiration sans que cette souffrance, somme toute ordinaire, envahisse le film.

La beauté est à portée de main, dans les objets qui entourent l’artiste stérile, dans les souvenirs par lesquels il se laisse envahir, pour se réfugier dans l’illusion que le cours du temps peut s’inverser.

Coïncidences magiques

C’est une femme aussi, une actrice, Zulema (Cecilia Roth, qui jouait déjà dans Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, il y a bientôt quarante ans), qui administre au reclus un premier électrochoc. Elle lui apprend qu’Alberto (Asier Etxeandia) est revenu à Madrid. Alberto, l’interprète d’élection avec qui Salvador s’est fâché, le mauvais garçon qui jouait dans un des plus grands succès du cinéaste, que l’on s’apprête justement à projeter dans une copie restaurée.

La réconciliation avec Alberto rapproche un peu Salvador de la société des vivants. Le calumet de la paix qu’ils se choisissent est un souvenir du garnement prodigieux que fut Almodovar en ses débuts.

Une fois franchi ce pas, les coïncidences magiques prennent les commandes du récit. Ces retrouvailles en amènent d’autres, avec un amant argentin (Leonardo Sbaraglia). Dans un mouvement parallèle, les retours en arrière atteignent de nouvelles régions de la vie du réalisateur de fiction, comme les derniers jours de sa mère ou ses premières émotions amoureuses, à l’orée de l’adolescence.

Pour interpréter la vieille femme, Almodovar a fait appel à l’extraordinaire Julieta Serrano, aujourd’hui octogénaire. On a vu Julieta Serrano plus jeune, dans Femmes au bord de la crise de nerfs, par exemple, elle n’a jamais ressemblé à Penélope Cruz. D’ailleurs, le personnage de la mère mourante, sèche, indifférente aux succès et aux tourments de son artiste de fils, n’a presque rien à avoir avec la déesse protectrice des souvenirs d’enfance : ici, la fiction engendre d’autres fictions, les souvenirs se cristallisent et deviennent des histoires, sans que jamais on ne se perde en chemin, jusqu’à entrevoir, tout au bout, l’apaisement.

« Douleur et gloire », film espagnol de Pedro Almodovar. Avec Antonio Banderas, Penélope Cruz, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia, Julieta Serrano (1 h 52). Sortie le 17 mai.

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