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Jours tranquilles à Paris
20 mai 2019

Entretien - Claude Lelouch à Cannes : « Je voulais filmer les yeux et les rides qui sont autour »

Par Clarisse Fabre

Le réalisateur raconte les retrouvailles d’Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant pour son dernier film « Les plus belles années d’une vie ».

Tout va très vite pour Claude Lelouch, à Cannes : présentation de son film Les plus belles années d’une vie avec Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, interview avec la presse… Et le réalisateur âgé de 81 ans, qui n’aime surtout pas perdre son temps, ne s’en plaint pas.

Son dernier long-métrage parle justement de l’amour qui continue en dépit de l’âge, et de « la vie avec ses conneries », dit-il, évoquant le personnage de Jean-Louis Trintignant, un coureur automobile qui courait aussi derrière les femmes. Cinquante ans après Un homme et une femme (1966), Claude Lelouch tenait absolument à cette « troisième mi-temps » avec les mêmes comédiens.

Pourquoi avez-vous eu envie de réunir à nouveau Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée ?

Ce genre de films, si on était raisonnable, il faudrait avoir l’intelligence de ne pas le faire. Trois vieux cons qui refont un film, qui est-ce qui va aller les voir ? Jean-Louis me disait : il n’y a que les survivants qui iront le voir.

Mais le rationnel a peur de tout. Je me suis rendu compte que je suis mieux conseillé par mon instinct que par mon intelligence. Alors j’ai appelé Anouk et Jean-Louis, et je leur ai dit : c’est pas normal que l’on soit encore vivant et que l’on n’utilise pas cette histoire. On a le devoir de faire ce film. J’ai envie de travailler avec ce grand scénariste qu’est la vie. Il y a très peu de gens qui ont droit à une troisième mi-temps, et à la troisième mi-temps c’est le moment de faire la fête. Je me suis jamais autant amusé…

Les retrouvailles du couple sont parasitées par les pertes de mémoire de Jean-Louis. Comment avez-vous écrit cette partie du film ?

Cette histoire, je l’ai vécue avec Annie Girardot, dont j’ai été très proche. Quand elle a eu son Alzeimer, sa fille m’a dit : la seule personne dont elle se souvient c’est toi. Elle me demande : comment va mon p’tit Claude ? Je suis donc allé voir Annie : elle m’a reconnue, et puis elle ne me reconnaissait plus. Ces allers-retours instantanés entre mémoire et pertes de mémoire, je me disais : ce serait formidable qu’on en fasse quelque chose un jour. C’est donc l’histoire de Jean-Louis et Anouk. On a écrit le film avec ma compagne qui est écrivaine, Valérie Perrin. A nous deux on a pu faire le côté féminin, et le côté masculin.

Pourquoi fallait-il séparer les deux genres ?

Une vie de femme, c’est plus compliqué qu’une vie de mec, j’ai toujours été admiratif du genre féminin. Je le trouve touchant, bouleversant. Si je fais des films, c’est pour les femmes. J’ai toujours dit que les femmes, c’est des hommes réussis. Les mecs, ils sont pas fiables, je m’en méfie. Je me méfie de tous les hommes. J’ai cette vision du monde qui vaut ce qu’elle vaut. Je suis encore un peu macho, j’ai des traces…

Chaque fois qu’il revoit Anne, Jean-Louis pense que c’est une nouvelle femme, une conquête potentielle…

Ce film, c’est le portrait d’un galopin. Cette femme lui fait penser à Anne, et ça suffit à Jean-Louis. S’il y avait eu de vraies retrouvailles, ils se seraient forcés à s’aimer, ils auraient fait semblant. J’avais envie de faire un film sur la vie et nos conneries.

Le nombre de gens qui passent à côté d’une histoire parce qu’il y en a un qui a fauté dans le couple… Soyons plus tolérants. Dans le film, l’un des personnages dit : « On est fidèle tant qu’on n’a pas trouvé mieux ». C’est terrible cette phrase, mais ça nous tire vers le haut, ça nous oblige à être bon. L’amour c’est un travail, un gros travail, il ne faut pas se reposer.

Le personnage de Jean-Louis est plein de défauts : il plaide coupable, il dit « pardon », c’est magnifique, il fait son procès et n’attend pas que quelqu’un le fasse. Tous les personnages de mes films existent, je les ai rencontrés : il n’y a pas de héros ni de salauds, il y a des gens qui sont un peu moins dégueulasses que d’autres.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans le visage des comédiens âgés ?

Je voulais filmer les yeux. Quand vous regardez quelqu’un dans les yeux, vous voyez si la personne ment ou pas. Je voulais filmer les yeux et les rides qui sont autour. Ces rides, elles parlent, c’est un roman. Autour du visage de Jean-Louis, il y a la mort qui rôde, autour du visage d’Anouk, c’est la vie.

Les dialogues étaient très écrits mais au moment du tournage j’ai envie d’oublier l’écriture – elle devient alors la roue de secours. Souvent dans le film j’ai soufflé les dialogues à Anouk et Jean-Louis, pour qu’ils n’aient pas trop de temps pour apprendre, et qu’ils répètent à toute allure. On s’est mis d’accord sur les improvisations. Comme lorsque Jean-Louis dit au personnage d’Anne : « Quand je vois votre poitrine, je vois double ».

J’ai dit à Jean-Louis : il faut pouvoir dire des choses que l’on ne s’autoriserait pas de dire à quarante ans. A partir d’un certain âge, il y a prescription. Je voulais aussi montrer que l’on peut vivre l’amour à n’importe quel âge. On peut aussi faire l’amour à n’importe quel âge, il y a mille et une façons de le faire.

Dans ce film, vous insérez votre court-métrage, C’était un rendez-vous (1976) : une traversée de Paris en un seul plan séquence, à toute allure, avec la caméra fixée au pare-chocs de la voiture. Quel est le sens de ces images ?

C’est le film dont je suis le plus fier, et dont j’ai le plus honte aussi, car je fais tout ce qui est interdit : je grille les feux rouges, les stops… C’est la métaphore parfaite du temps qui passe. Et avec Alzheimer, tout se mélange pour le personnage, passé présent futur. C’est aussi l’idée de la vitesse, c’est essentiel pour Jean-Louis qui a été coureur automobile.

La vitesse c’est quelque chose de très important dans ma vie. Les gens qui traînent foutent toute leur vie en l’air. Pour ma part, je commence à me rapprocher de la ligne d’arrivée, il me reste très peu de films à faire. En en même temps, j’ai une boulimie de cinéma que je n’ai jamais eue.

Quels sont vos projets ?

Je suis en train de terminer un film que j’ai tourné avec des amateurs et des comédiens professionnels. Je les ai réunis à Beaune (Côte-d’Or) pour une journée de fête autour des vendanges, c’est un clin d’œil à Jour de fête de Tati.

Je voulais faire quelque chose d’expérimental, et je l’ai entièrement tourné au téléphone portable. J’ai retrouvé mes 20 ans ! Ce film m’a été inspiré après le vol de mes affaires. J’étais parti à la montagne travailler et au retour on m’a tout volé dans la voiture : des carnets avec toutes les notes que j’avais écrites depuis soixante ans, un scénario, un ordinateur. Je me suis dit : il faut que je réinvente ma vie, et c’est comme ça que j’ai fait ces deux films, Les plus belles années d’une vie et La vertu de l’impondérable, lequel sortira à la fin de l’année.

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