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Jours tranquilles à Paris
23 mai 2019

Zahia, pas si facile d’être une fille facile

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Par Laurent Carpentier

L’ex call-girl fait ses débuts d’actrice dans le film de Rebecca Zlotowski dans un rôle qui lui ressemble.

Le bar du Carlton. Panthéon des lèvres siliconées et des faux seins en pamplemousse. On vient de croiser Lelouch, on y a interviewé Jarmusch à l’étage au-dessus. Elle arrive, avec un quart d’heure de retard, petite poupée Barbie, plastique surréaliste enfermée dans une robe Louis Vuitton, talons élégants défiant les lois de la gravité : Zahia. La Zahia, qui, avant d’être à 27 ans, l’héroïne d’Une fille facile de Rebecca Zlotowski, présenté aujourd’hui à la Quinzaine des réalisateurs, a filé des cauchemars à Ribéry et Benzema : les deux footballeurs qui avaient fait appel à ses services de call-girl alors qu’elle était mineure. Le scandale lui avait donné un nom et une étiquette collante.

AVEC SOPHIA – LE PERSONNAGE QU’ELLE INCARNE DANS LE FILM DE REBECCA ZLOTOWSKI –, ELLE SE RECONNAÎT AINSI UN « MÊME GOÛT POUR L’AVENTURE ET LA LIBERTÉ »

Elle a fait avec. Une fille facile donc. « Petite, je n’avais qu’une envie : grandir vite. Je voulais être pilote d’avion et j’avais hâte d’avoir le corps d’une femme. Pour être honnête, j’étais un peu hystérique là-dessus. J’avais envie que le monde entier me voie. Dès qu’il y avait du soleil, je mettais une mini pour m’épanouir. » Du soleil, à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), en banlieue parisienne, où la petite Algérienne débarque lorsqu’elle a 10 ans, il n’y en a pas trop. Zahia Behar s’en fiche : « Même en allant à l’école, je voulais m’amuser avec ce corps. Je ne comprenais pas qu’on ne comprenne pas. Je voulais mettre une robe courte. On me disait : “Pourquoi tu t’habilles comme une pute ?”. J’ai fini par me demander : “Qu’est-ce qu’il y a de mal à être une pute ?” C’est eux qui ont un problème. Une femme n’a pas à sacrifier son plaisir pour satisfaire cette société. »

Elle est comme ça, Zahia. Sans filtre. Et d’un seul coup, elle nous plaît. On rembobine. Exit les a priori sur une carriériste misant sur ses lèvres pneumatiques (« Un peu de botox, comme nous tous, mais je n’ai jamais eu recours à la chirurgie esthétique… ») pour tracer son chemin. D’ailleurs, lorsqu’on cherche à plaire, aujourd’hui, on ne cite pas Brigitte Bardot comme une égérie, et la juste cause des phoques « qui sont en train de se faire massacrer au Canada », comme le dernier signe de l’amour inconditionnel. Sous le fond de teint, on découvre une fille entière qui, maladroitement peut-être, réclame – comme Bilal, le chanteur de l’Eurovision – le juste droit de choisir sa peau et son destin.

« Moi, je séduis sans le laisser voir »

Avec Sophia – le personnage qu’elle incarne dans le film de Rebecca Zlotowski –, elle se reconnaît ainsi un « même goût pour l’aventure et la liberté. J’admire ces femmes qui se fichent de la morale. Comme Isabelle Adjani dans L’Eté meurtrier. Oh, comme j’adore ce film ! » Elle réfléchit, puis ajoute, désarmante (on pourrait croire en effet Adjani en 1983 dans le film de Jean Becker) : « Bon, la façon qu’a Sophia de séduire un homme n’est pas du tout la mienne. Elle a un côté racoleur. Moi, je séduis sans le laisser voir. »

Dans les salons du Carlton, un homme d’un certain âge, bien habillé, sourire mielleux, œil menteur, s’est assis à la table à côté de nous. Il se lève, lui tend la main, l’air du loup dans Tex Avery. Elle répond poliment, habituée qu’elle est aux impolis et aux intrus.

ON DÉCOUVRE UNE FILLE ENTIÈRE QUI, MALADROITEMENT PEUT-ÊTRE, RÉCLAME LE JUSTE DROIT DE CHOISIR SA PEAU ET SON DESTIN

Pas nous. On voudrait parler d’amour. Elle répond : « Je n’ai pas ça, en ce moment, dans ma vie. Je suis plus souvent triste qu’heureuse. Des fois je me dis : “Zahia, tu es amoureuse de la dépression”. Mais même le véritable amour – cette idée qu’on se fait du couple, glorifié par la société –, est superficiel. On se marie pour quoi ? Pour stimuler notre cerveau. On est amoureux d’une image. Et si on rencontre une autre personne qui nous offre une autre stimulation, on s’en va. »

Avant de déménager à Londres où elle vit (« Pour apprendre l’anglais. Et puis j’y suis des cours de théâtre »), avant d’être aujourd’hui applaudie à Cannes, avant de devenir mannequin (2011), avant de poser en Marianne dénudée pour Pierre et Gilles (2014), Zahia Behar a mesuré ce qu’il en coûte de défier les règles du jeu. Un jour, à Paris, à la Cinémathèque, un ami l’a emmenée voir La Divine de Wu Yonggang. Un classique du cinéma muet chinois tourné en 1934. L’histoire d’une prostituée qui essaye d’élever son petit garçon et se retrouve confrontée à l’injustice du bannissement. « C’est ce qui arrive encore aujourd’hui dès qu’une femme a envie de s’épanouir sexuellement à l’égal d’un homme. En regardant La Divine, je me suis mise à pleurer. Et je n’arrivais plus à m’arrêter. »

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