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Jours tranquilles à Paris
24 mai 2019

Critique Festival de Cannes 2019 : avec « Matthias et Maxime », Xavier Dolan bâtit un pont entre passé et avenir

Le cinéaste québécois était de retour sur la Croisette, mercredi, avec un long-métrage touchant et intimiste sur deux trentenaires, dans lequel il interprète l’un des rôles-titres.

SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION

A trente ans, une vie s’est édifiée à partir de laquelle une autre continue, où il va falloir trouver sa place, faire des choix. Né en 1989, Xavier Dolan y est pile, à cet âge dont il aurait eu tord de se moquer. Puisque en le mettant en scène, il réussit un de ses plus beaux et un de ses plus touchants films.

Sélectionné en compétition à Cannes, Matthias et Maxime se place à ce seuil de l’existence où, après l’enfance qui construit et l’adolescence hésitante, arrive le moment où, dit-on, il faut décider. Les personnages du nouveau long-métrage de Xavier Dolan en sont arrivés là. Le cinéaste également qui s’y est d’ailleurs donné un rôle.

Voilà sans doute pourquoi Matthias et Maxime contient la trace de ce que le réalisateur canadien nous a auparavant raconté dans Tom à la ferme et Mommy tout en l’ouvrant à un champ plus large. La trace aussi de l’écriture et du style des précédents films, auxquels se sont ajoutées d’autres formes de réalisation dont une des vertus est d’arrondir, sans les abandonner, les tensions formelles du cinéma de Dolan. Sur ce pont qu’il bâtit entre passé et avenir, Matthias et Maxime dégage un charme qui fait croire aux promesses.

A ce moment de l’existence, des amitiés ont soudé des bandes dont les liens et la complicité semblent encore indestructibles. Il en est ainsi de Matthias (Gabriel D’Almeida Freitas), Maxime (Xavier Dolan), Rivette (Pier-Luc Funk), Franck (Samuel Gauthier), Brass (Antoine Pilon), Sharif (Adib Alkhalidey) qui, issus de milieux différents, se sont rencontrés pour la plupart au lycée et continuent de se retrouver, entre eux, et sans filles, le temps d’une soirée.

Un baiser « pour de faux » peut tout changer

Ou d’un week-end, comme c’est le cas au début du film, où ils sont tous réunis dans un chalet de l’un d’entre eux, situé en pleine nature, auprès d’un lac. Une seule ombre est inscrite dans ce cadre idyllique : Erika, sœur de Rivette et adolescente excitée qui s’est imposée parce qu’elle a le projet d’y réaliser un petit film pour son école. Deux potes lui ayant fait faux bond, alors qu’ils devaient y jouer une scène, il lui faut trouver des remplaçants. Avec plus ou moins de bonne grâce, Matthias et Maxime s’y soumettent, ignorant qu’ils vont devoir s’embrasser.

Un baiser, même donné « pour de faux », peut tout changer. Celui-ci crée en tout cas un trouble auquel ils n’étaient pas préparés. Matthias, en couple avec Sarah depuis quelques années, tente de ne pas en faire une histoire tandis que Maxime semble l’oublier.

Une fois rentrés à Montréal, les deux amis d’enfance reprennent leur existence où ils l’avaient laissée. Matthias retrouve sa compagne, son costume cravate et le poste qu’il occupe au bureau de son père où il est promis à un bel avenir. De son côté, Maxime qui doit s’envoler dans quinze jours pour l’Australie où il continuera d’être barman, s’applique à régler la mise sous tutelle de sa mère (Anne Dorval), alcoolique depuis peu abstinente qui ne parvient plus à se prendre en charge. Le visage de Maxime dont près de la moitié est recouverte d’une tâche de naissance n’a probablement pas aidé à faire de lui le préféré de cette mère. Ce privilège ayant été réservé à son frère qui, lui, a déjà fui la maison familiale.

Ce départ lance un compte à rebours qui cristallise avec précipitation les sentiments. Lesquels, retenus chez Maxime, chassés par Matthias avec une énergie dont il n’est pas tout à fait dupe, ne pourront échapper à la mise à l’épreuve à laquelle les obligent deux « garden-partys ». L’une est organisée par la mère de Rivette, l’autre par celle de Matthias. Elles ont pour but de réunir toute la bande pour dire au revoir à Maxime. Elles deviendront le cadre contraint à une explosion de courants contraires et de combats intimes sans l’avènement desquels l’avenir semble impossible.

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Une partition silencieuse au service des émotions

Il y a, dans le film de Xavier Dolan, la vie quotidienne qui occupe les êtres différemment selon le milieu social auquel ils appartiennent. Brouillonne autant que terriblement responsable chez Maxime, soucieux de sa mère dont les accès de violence disent toutes les frustrations. Réglée et entourée de bienveillance chez Matthias qui avance sans se poser de questions.

On les regarde l’un et l’autre suivre les lignes d’une route qui n’est pas la même. Celle qui est droite pour Matthias vacillera plus que l’autre. Le trouble et sa prise de conscience se jouent, ici, par d’infinis détails qui s’observent dans l’interprétation des deux acteurs (mise en action du corps, arrêt des regards), dans les dérèglements et les déraillements de la mise en scène.

Xavier Dolan use de l’image, du cadrage, des mouvements de caméra, et de la musique comme d’une partition silencieuse mise au service des émotions.

Dans Matthias et Maxime, il use aussi de son art à mettre en mouvement, et sur un rythme tendu, les scènes de groupe qui nous met au centre de la pagaille et de sa montée en puissance. Ainsi que de son talent à verser dans une forme de lyrisme qu’il tient en respect par une extrême pudeur. Il déploie enfin cette faculté qu’il a de savoir si bien se poser sur un visage, un échange intime, un instant de peu qui, entrelacés les uns les autres, dessine des vies faites de rien, de grands tumultes et de sensations.

« Matthias et Maxime », film canadien de Xavier Dolan. Avec Xavier Dolan, Gabriel D’Almeida Freitas, Anne Dorval (1 h 59).

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