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Jours tranquilles à Paris
24 mai 2019

Festival de Cannes 2019 : dans « Sibyl », Virginie Efira s’abîme dans l’ivresse de la fiction

virginie

virginie24

Par Thomas Sotinel

Le troisième long-métrage de Justine Triet, en salles le 24 mai, raconte l’histoire d’une psychanalyste fascinée par une de ses patientes et qui en oublie ses obligations de thérapeute.

SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION – L’AVIS DU « MONDE » : À NE PAS MANQUER

Psychanalyste, mère de famille, dépendante à l’alcool sobre depuis des années, Sibyl a décidé – au moment où Justine Triet fait les présentations – de se remettre à écrire (elle fut jadis une romancière à succès). Aux membres de son cercle des Alcooliques anonymes, elle présente ces retrouvailles avec la fiction comme « une ivresse sans danger ». Pure illusion bien sûr. Elle vient de faire ses premiers pas sur un champ de mines, qui exploseront avec la grâce des feux d’artifice, au long du parcours qu’a tracé la réalisatrice.

Parce qu’elle est aussi interprétée par Virginie Efira, Sibyl apparaît d’abord comme une parente de l’héroïne du film précédent de Justine Triet, Victoria, l’avocate qui abattait les cloisons entre prétoires et foyers, entre libido et burlesque.

Mais si les deux films ont le désordre en partage, Sibyl obéit aux lois d’une gravité nouvelle chez la réalisatrice. Cette sibylle est aveuglée par les reflets de la réalité, voit les ombres comme des êtres et les êtres comme de la chair à fiction. Elle qui voulait imposer un ordre nouveau à sa vie démantèle son existence, une explosion dont l’onde de choc touche tous ceux qui l’entourent.

Un voyage dans le passé

Le film n’est pas très long – cent minutes – et pourtant Justine Triet trouve le temps de faire bondir son héroïne (car malgré sa propension à l’erreur, Sibyl reste toujours brave) dans le temps et dans l’espace, assemblant ces fragments en un édifice aussi complexe qu’un labyrinthe et pourtant presque familier – la représentation cinématographique d’un esprit féminin voué à la fiction.

Enoncé ainsi, le but de cette entreprise apparaît abstrait. Virginie Efira est là pour lui donner un visage, une chair, des larmes, une âme. On connaissait déjà sa capacité à se muer au gré du temps (Un amour impossible, de Catherine Corsini). Cette fois, Justine Triet lui demande non seulement de voyager dans son passé (pour faire revivre à son personnage un grand amour) mais surtout de mettre à nu les termes des contradictions qui la minent.

Elle sera tour à tour une excellente thérapeute et une praticienne sans éthique, une mère aimante et une déserteuse, une menteuse habile et une naïve qui porte en elle toutes les catastrophes. Et elle restera toujours la Sibyl qu’ont inventée la cinéaste et l’actrice.

Dans un premier temps le retour de la psychanalyste à l’écriture se heurte à l’angoisse du curseur qui clignote sur l’écran blanc. Jusqu’à ce qu’elle reçoive l’appel désespéré d’une jeune fille qui refuse d’entendre que le cabinet a fermé.

Transgression

Actrice débutante, Margot Vassilis (Adèle Exarchopoulos) est enceinte d’un comédien connu (Gaspard Ulliel), par l’entremise duquel elle a obtenu son premier grand rôle au cinéma. Dans le film qu’elle s’apprête à tourner, elle aura son amant pour partenaire, et pour réalisatrice la compagne de ce dernier (Sandra Hüller, qui fut la fille de Toni Erdmann). Margot demande à Sibyl si elle doit avorter. Hélas pour la jeune femme, son histoire est si fascinante que la thérapeute en oublie ses obligations. Elle fait traîner sa réponse pour faire durer le drame de Margot et enregistre leurs séances pour nourrir son roman à venir.

Cette transgression l’emmènera très loin, jusqu’à Stromboli (Italie) où se tourne le film, jusque dans les recoins de l’intimité du triangle amoureux qui se déchire sur les décors. Chacune de ces péripéties renvoie Sibyl à son passé, à l’alcoolisme, qui était aussi celui de sa mère, qui reste celui de sa sœur (Laure Calamy), à sa liaison avec Gabriel (Niels Schneider).

Ces personnages sont à la fois des extensions de la psyché de Sibyl et des êtres autonomes. Justine Triet les utilise aussi pour moduler l’humeur du film, pour éclairer la noirceur qui gagne son sujet, ou rappeler que d’autres versions de la réalité existent. En cinéaste (presque) imperturbable face aux frasques de son acteur et à l’irruption de la thérapeute de sa rivale, Sandra Hüller distille un humour glacé qui fait un peu retomber la température.

Dans un mouvement inverse, Laure Calamy, la petite sœur qui vit à la maison avec Sibyl, ses filles et Etienne (Paul Hamy), son compagnon, renvoie sans cesse son aînée à la réalité douloureuse d’une enfance et d’une jeunesse passée à l’ombre d’une mère qui s’est – peut-être – donné la mort. Ce qui n’empêche pas Laure Calamy de profiter à merveille de ses moments comiques à elle.

Sibyl, le film, connaît une première fin, une vingtaine de minutes avant que les lumières se rallument. Justine Triet aurait pu s’arrêter là, le film aurait été brillant. Elle aurait pu aussi occuper le temps qui lui restait à remettre en ordre la vie de son héroïne. Elle préfère mettre en scène la gueule de bois qu’a laissée l’ivresse de la fiction, et sa dissipation, cherchant comme Sibyl ce point ou l’imaginaire et la réalité se rejoignent enfin.

« Sibyl », film français de Justine Triet, avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel, Sandra Hüller, Laure Calamy (1 h 40). Sortie le 24 mai.

virginie22

Virginie Efira

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