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Jours tranquilles à Paris
25 mai 2019

« On a beaucoup discuté de la manière de chuter de Gena Rowlands » : entretien avec Virginie Efira

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Avec « Sibyl » , Virginie Efira retrouve Justine Triet pour un nouveau portrait de femme au bord de la crise de nerfs. Interview : Toma Clarac

Votre rencontre avec Justine Triet a été comme un coup de foudre. Votre amitié a-t-elle bouleversé votre manière de travailler ?

Notre rencontre est simple comme une évidence. J’ai eu aussi-tôt envie de connaître son monde, de lui voler tous ses amis ! À l’époque de Victoria, c’était le travail qui nous avait réunies. La relation s’était bâtie sur le film et son héroïne nous avait servi de lien. Là, c’est un peu l’inverse. La question était : « Qu’est-ce qu’on va faire de notre relation maintenant ? » Ça s’est dessiné très facilement, même si j’ai eu peur, un temps, qu’elle ne me confie plus ses envies. Je lui disais souvent : « Telle actrice est géniale. Tu devrais travailler avec elle », comme s’il fallait exorciser quelque chose. J’avais peur que le projet qu’elle pourrait porter avec une autre soit une affaire taboue entre nous, alors que ça ne me pose aucun problème... Enfin, je crois (rires). On a un rapport équilibré. Avant le film, je lui avais suggéré qu’on reprenne un peu de distance ; je ne sais pas si on l’a vraiment fait. Le regard qu’elle a porté sur moi a changé ma vie de manière très concrète. Elle pourrait tout me demander ou presque. Je ne connais pas ma limite avec elle.

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Victoria n’allait pas très bien. Sibyl va encore plus mal...

Vous voulez dire qu’on a franchi un cap ? Il ne faudrait pas qu’on en fasse un troisième : ça va finir en corbillard... Justine est très attirée par l’idée de la chute. C’est quelque chose d’existentiel, mais aussi de physique. On a beaucoup discuté de la manière de chuter de Gena Rowlands. On a revu Opening Night. Il y aun truc en commun avec Sibyl. Dans les rôles qu’elle joue, tout a beau être complètement défait, ses cheveux restent incroyables – et ce n’est pas anecdotique. Sibyl va mal, mais sa situation n’est pas catastrophique. Son mec n’est pas navrant ; les enfants sont cools : on pourrait considérer qu’il y a pire. Mais c’est justement là que se joue quelque chose de moins lisible. Un truc que Justine ne laisse pas filtrer. Elle est dans la drôlerie tout le temps. C’est un vrai personnage burlesque qui pose des questions absurdes aux gens, mais ce n’est pas non plus le prototype de la fofolle.

On se demande à qui ses personnages ressemblent le plus.

Dans Victoria, il m’est arrivé d’imiter Justine par moments, mais je dois bien être là, quelque part. Ça vaut aussi pour le film de Paul Verhoeven [Benedetta, sortie prévue en 2020], même si je ne suis pas une nonne lesbienne de la Renaissance obsédée par Jésus. Ou pour Un amour impossible. Le film de Catherine Corsini trimbale une mélancolie et j’ai pu puiser dans la mienne.

Sibyl est-il un film de famille ?

Si c’est l’idée que notre propre intimité est intéressante et qu’elle se suffit à elle-même, alors non. On était souvent entre proches sur le tournage. Ça donne des choses amusantes, mais la question c’est plutôt : à quel moment ça peut être intéressant et à quel moment ça devient dangereux ? En règle générale, ça nous a facilité la vie. On s’est débarrassé des politesses superflues. Ce qui ne veut pas dire qu’on se parlait mal, mais qu’on pouvait se dire les choses. Et dans les scènes avec Niels [Schneider, son compagnon], on a pu s’appuyer sur une confiance préexistante.

Le film s’est construit au montage. Comment avez-vous navigué dans cette chronologie éclatée ?

À l’instinct. L’avantage, dans ce cas, pour un acteur, c’est qu’il n’est jamais vraiment en position de trop penser son personnage. Quelque chose de lui reste étranger. Il faut avoir confiance dans le metteur en scène, bien sûr. La séquence au Stromboli, par exemple, était extrêmement floue pour moi. Pourquoi arrive-t- elle dans cette fête ? Pourquoi couche-t-elle avec Gaspard Ulliel sur la plage ? Mais, après tout, Sibyl le sait-elle elle-même ? Il y a du plaisir à se perdre dans ses méandres.

Stromboli, le volcan, c’est pour Rosselini/Bergman ?

Justine voulait un lieu qu’on ne voit pas souvent dans le cinéma français. Elle voulait une plage très exotique, des palmiers, une eau claire... L’occasion de tourner à Stromboli est arrivée plus tard, mais ça a ouvert quelque chose. On sent que c’est un endroit chargé. Le lieu ouvre une correspondance possible, mais le but n’était pas de dire : « Regardez comme on est intelligents. »

C’est votre première en compétition dans un rôle principal. Ça veut dire quelque chose ?

Victoria, à la Semaine de la critique, avait été une expérience marquante. J’avais surtout fait des films de marché jusque-là, avec des choses très chouettes dedans, mais d’un coup, on me disait que j’avais fait un film anormal, ce qui répondait à un désir profond. Je suis mal à l’aise dans les moments chargés de symboles, mais le rite cannois avait un sens. Là, j’imagine que c’est un peu la même chose, avec une exposition dix fois plus forte.

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