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Jours tranquilles à Paris
9 août 2019

Les Eglises chrétiennes de Hongkong, très impliquées dans la rébellion

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Plusieurs figures du mouvement revendiquent leur foi catholique, tandis que le diocèse apporte son soutien aux manifestants.

Parmi les surprises du mouvement de protestation à Hongkong, l’irruption du chant de messe Chante Alléluia au Seigneur dès les premières « barricades » a d’abord fait sourire. Il révèle néanmoins comment les Eglises chrétiennes, et notamment la catholique, se sont retrouvées impliquées dans la crise politique déclenchée par l’opposition farouche de la population à un projet de loi d’extradition vers la Chine.

« La plupart des gens qui le chantent ne font pas vraiment attention aux paroles. Ils aiment bien la mélodie », minimise le jeune pasteur Wong, en tenue cléricale, avec étole et croix pectorale, alors qu’il passe dans la foule effervescente de jeunes rassemblés devant le Parlement, le 1er juillet au soir, quelques heures avant que des manifestants en forcent l’entrée. « Il y a beaucoup de tensions. Je les encourage à garder espoir. Chanter apaise », dit-il.

Contrairement à la Chine populaire, où la pratique religieuse est étroitement contrôlée par le Parti communiste, elle est à Hongkong un « droit fondamental » garanti par la Constitution du territoire. Un peu plus de 5 % de la population sont catholiques (400 000 personnes sur 7,4 millions d’habitants), et environ autant protestantes – pour plus de quatre fois plus de bouddhistes et de taoïstes (2 millions).

« Soutien moral »

Tout au long de la contestation, des stands de veillées de prière et des chapelles de campagne sont apparus à proximité des points chauds. L’évêque auxiliaire de Hongkong, Joseph Ha, 60 ans, a lui même activement participé aux veillées de prières œcuméniques face au LegCo, le Parlement de Hongkong. Nombre de tee-shirts portent la « marque » « Jesus », en grosses lettres.

Quelques heures avant la manifestation du 28 juillet à Yuen Long contre l’attaque des triades une semaine plus tôt dans la station de métro du quartier, le député prodémocratie Ray Chan tweetait : « Les amis, soyez malins. Echappez-vous avant que les flics ne perdent la tête. Moi je serai sur place pour prêcher l’Evangile. »

Au cours des affrontements des dernières semaines, des groupes de jeunes croyants se sont retrouvés les yeux fermés et les mains jointes, nez à nez avec un mur de policiers en tenue antiémeute. « Dis donc à ton Jésus de descendre nous voir ! », avait d’ailleurs lancé un policier le 12 juin à un manifestant. Le commentaire fit polémique. Une plainte fut déposée, finalement classée sans suite, fin juin. Depuis l’incident, des pancartes humoristiques avertissent les policiers : « Si vous sortez encore les bâtons, nous recommencerons à chanter Alléluia ! »

Les organisations chrétiennes se sont aussi mobilisées à la suite des quatre morts (dont au moins trois suicides avérés) associées au mouvement de contestation actuel. D’après les autorités sanitaires, ces décès découleraient d’« une épidémie de dépression » dans la jeunesse. L’un des prospectus distribués lors des manifestations, avec en prime une petite croix faite de perles rose, liste une dizaine de numéros d’assistance à contacter « en cas de problèmes de stress » et mentionne des extraits de la Bible.

« Une croyance religieuse peut apporter un soutien moral aux gens qui sont désespérés et sans recours, parfois porteurs de haine. Les Eglises sont très proactives pour offrir un soutien psychologique sans jugement », observe le directeur du centre sur la prévention du suicide de l’université de Hongkong, Paul Yip. « Hier soir [5 août], des jeunes qui cherchaient refuge sont entrées pacifiquement dans les églises de Chun Wan et de Tuen Mun. Ils y ont passé la nuit et les prêtres les ont accueillis », révèle un prêtre étranger qui préfère ne pas être identifié.

Lutte pour la démocratie

Dans sa quête éperdue de démocratie, la jeune génération semble inspirée par les valeurs chrétiennes. Avec plus de 2 500 baptêmes de catéchumènes en 2018, le diocèse de Hongkong baptise plus d’adultes chaque année à Pâques que la France tout entière. Joshua Wong, 22 ans, l’icône de la jeunesse rebelle de Hongkong, a de longue date revendiqué sa foi protestante comme moteur de son engagement politique. Le leader politique Edward Leung, condamné à six ans de prison ferme en 2018 pour son rôle dans une « émeute » en 2016, a, lui, publié de sa cellule il y a quelques jours une « Lettre à Hongkong » sur Facebook appelant ses concitoyens « non pas à s’opposer [au gouvernement] avec nos précieuses vies mais, par nos sacrifices, à pratiquer la persévérance et l’espoir », une citation presque littérale de la Lettre de saint Paul apôtre aux Romains.

Plusieurs ecclésiastiques sont de longue date en première ligne de la lutte pour la démocratie à Hongkong. Les deux plus célèbres sont le cardinal Zen, 87 ans, ancien évêque de Hongkong et anticommuniste invétéré, et le pasteur anglican, Chu Yiu-ming, 75 ans, condamné à seize mois de prison en avril, avec deux ans de suspension, pour son rôle dans le « mouvement des parapluies »  de l’automne 2014. C’est en partie grâce au réseau éducatif (environ 250 institutions) que l’Eglise catholique a un tel impact sur la société hongkongaise. Alors que les écoles jésuites, notamment le très élitiste Wah Yan collège, ont beaucoup formé les « gouvernants », les écoles protestantes produisent des travailleurs sociaux.

Du coup, bon nombre de personnalités de la vie politique hongkongaise catholiques ou sympathisantes appartiennent au camp prodémocratie. A l’exception de Carrie Lam, la chef de l’exécutif dont les manifestants exigent la démission : cette catholique fervente et pratiquante est d’une loyauté sans faille à Pékin. Elle fit sa scolarité chez les Canossiennes, congrégation d’origine italienne. Persuadée, selon ses propres dires, que sa mission politique est un appel de Dieu, elle avait souhaité, après son élection, recevoir la bénédiction du cardinal Tong, alors évêque de Hongkong, avant même d’aller à Pékin. Ce qui ne l’a pas empêchée d’ignorer les appels à abandonner le projet de loi controversé que lui lancèrent tant sa propre école que le diocèse catholique de Hongkong.

Les convulsions actuelles interviennent à un moment délicat pour l’Eglise catholique à Hongkong, sans évêque depuis janvier : l’engagement du diocèse aux côtés des manifestants pourrait coûter sa promotion à l’évêque auxiliaire, Mgr Ha, en lice pour porter la mitre de l’évêque de Hongkong. Bien que Hongkong soit techniquement exclu, en raison de son statut spécial, des accords secrets passés entre le Vatican et Pékin en 2018 sur la nomination des évêques en Chine, les proches du dossier sont persuadés que « quelqu’un de plus conciliant » sera choisi.

Il faut dire que l’entente entre Rome et les autorités communistes sur les évêques chinois a dressé contre elle toute une partie du diocèse de Hongkong, derrière son critique le plus virulent, le cardinal Zen. « Les Eglises chrétiennes ont de bonnes raisons de se sentir concernées par le mouvement actuel car elles savent comment les chrétiens chinois sont traités par le gouvernement chinois en Chine. C’est pour cela qu’elles soutiennent aussi activement les participants au mouvement », estime Paul Yip. A Hongkong se joue ainsi une autre bataille d’influence, entre Pékin et le Vatican.

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