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Jours tranquilles à Paris
17 septembre 2020

Douze Hongkongais engloutis par la justice chinoise

Par Anne-Sophie Labadie, correspondante à Hongkong — Libération

Arrêtés fin août alors qu’ils tentaient de gagner Taiwan par la mer, ces activistes sont depuis détenus pour «entrée illégale» en Chine. Sans nouvelles, démunies, leurs familles réclament leur retour à Hongkong.

«Nous avons mangé ensemble, bavardé et ri, comme d’habitude», raconte la mère de Lee Tsz-Yin. Tout avait l’air normal, ce jour-là. De son côté, Cheng Tsz-ho «m’a dit qu’il partait à la pêche», explique son père. «Il portait une canne à pêche et deux seaux. Et la dernière chose que j’ai sue à son sujet c’est qu’il avait été arrêté» le 23 août avec onze autres jeunes Hongkongais, au large des côtes de la province chinoise de Guangdong. Les douze ont alors disparu dans les limbes d’un système judiciaire chinois opaque, sans qu’aucun contact n’ait pu être établi avec leurs proches. Les autorités ont seulement indiqué qu’ils étaient désormais détenus dans le district de Yantian à Shenzhen, mégalopole frontalière de Hongkong, dans le cadre d’une enquête pour « entrée illégale» en Chine, laissant leurs familles démunies et rongées par l’inquiétude. «Je ne dors plus la nuit depuis que j’ai eu la nouvelle de l’arrestation. Je suis terriblement inquiète sur son état de santé», lâche, la voix chargée de sanglots, la mère de Tang Kai-Yin, qui ignore si son fils asthmatique a accès à son traitement vital. «J’espère que le gouvernement de Hongkong peut les ramener ici et nous laisser les voir. Pour l’instant, je ne sais même pas si mon fils est encore vivant», articule-t-elle à grand-peine.

Supplications

Comme elle, c’est les épaules rentrées et, pour certains, dissimulant le moindre millimètre de peau, que d’autres parents ont raconté samedi à la presse le calvaire pressenti de leurs enfants. Une scène ahurissante dans l’une des villes réputées les plus libres d’Asie, et qui s’enorgueillissait jusqu’à récemment de libertés inconnues en Chine. Une scène qui révèle combien les spécificités négociées entre le Royaume-Uni et la Chine avant la rétrocession de 1997 ont été balayées par la récente loi de sécurité nationale imposée par Pékin.

Peu de détails ont filtré à ce jour sur la tentative de fuite des douze Hongkongais, âgés de 16 à 33 ans. Une seule femme se trouvait à bord du petit bateau à moteur intercepté quelques heures après avoir largué les amarres. Parmi cet équipage de fortune, l’un a la nationalité portugaise, deux au moins sont détenteurs du passeport britannique d’outre-mer, sésame hérité de l’époque coloniale qui autorise l’entrée au Royaume-Uni sans visa, d’après le député Eddie Chu. Le ministre hongkongais de la Justice affirme que certains font l’objet de poursuites pour «émeute» et «port d’arme offensive». «Plusieurs autres avaient été libérés sous caution mais ils ne se sont pas soumis aux contrôles de police obligatoires», précise le député James To.

Le journal américain The Washington Post raconte que les militants ont écarté tout intermédiaire, acheté une vedette et appris les rudiments de la navigation dans l’espoir d’avaler, seuls, les quelque 410 milles nautiques qui les séparent de Taiwan. Plus de deux jours de traversée dans une mer de Chine méridionale quadrillée par les navires chinois. Un autre détail a été révélé sur Twitter : leurs préparatifs dataient d’au moins février, à en croire une ordonnance signée par un médecin hongkongais et adressée à un confrère. Il lui demandait de faciliter le renouvellement d’une prescription de sa patiente, l’une des douze détenus.

Certains détails ont été donnés par la presse, comme la présence parmi les fugitifs d’Andy Li, figure du mouvement localiste - qui défend l’identité hongkongaise et qui est favorable aux idées indépendantistes - et cofondateur du groupe «Fight for Freedom, Stand With Hong Kong». Cet informaticien a plaidé à de nombreuses reprises la cause hongkongaise à l’étranger, comme au siège genevois de l’ONU en septembre 2019 où il défendait, avec sa tignasse ébouriffée, le droit à l’autodétermination des Hongkongais et leurs libertés menacées par les «atrocités» du régime chinois. Pour avoir créé un groupe indépendant d’observateurs des élections, auquel participent des étrangers, Andy Li avait déjà été arrêté le 10 août au nom de la nouvelle loi de sécurité nationale qui criminalise, entre autres, la collusion avec des forces étrangères. Samedi, les familles des douze Hongkongais n’ont pas mentionné «l’intention» du groupe. Mais selon des militants, ils cherchaient à obtenir le statut de réfugiés politiques, à Taiwan ou ailleurs. La seule réalité que les proches ont décrite est l’isolement des leurs depuis leur arrestation.

«Avocats assignés»

Jusqu’à présent, six avocats désignés par les familles se sont déplacés à Shenzhen. Tous se sont vu refuser l’accès à leurs clients. «Les autorités ont affirmé que les détenus avaient "mandaté" d’autres avocats», relatent les proches, selon qui ces avocats sont en fait «assignés par le gouvernement», ce qui signifie que «les autorités ont bloqué toute information». L’avocat chinois choisi par la mère de Lee Tsz-Yin n’a ainsi pu voir son fils, alors même qu’il était en possession des documents officiels exigés par les autorités chinoises. «Mon fils aurait soi-disant désigné deux autres avocats. Mais nous n’avons aucune connexion avec la Chine continentale. Je ne comprends pas pourquoi ça se passe comme ça, mon fils ne ferait certainement pas ça de son plein gré», poursuit la mère, en larmes. «Les parents sont terriblement inquiets par la possibilité que les droits légaux de leurs proches soient bafoués», résume le député James To, et ils réclament donc le retour des leurs à Hongkong où «nous avons un système judiciaire indépendant, bien qu’il ait été affaibli ces derniers mois, et nous gardons nos standards, alors qu’en Chine, le système est totalement différent et truffé de difficultés».

Pour l’instant, les supplications des familles des douze ne trouvent guère d’écho. Même les autorités locales, pourtant «habilitées» dans ce genre de cas selon James To, font preuve d’une grande passivité. La cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, «a dit un jour qu’elle était la "mère des Hongkongais"», a rappelé samedi la mère de Tang Kai-yin, l’un des détenus. «Si vous étiez un parent, vous seriez devenue folle et auriez fait tout ce qui est en votre possible pour retrouver votre enfant qui est perdu… Mais il semble que Carrie Lam ne jette même pas un œil au dossier.»

Armada

Il semble surtout que Pékin soit désormais seul capitaine à bord. A ce jour, seuls les Etats-Unis, par la voix du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, samedi, ont exprimé leur «inquiétude» sur le sort des douze détenus hongkongais. Le consulat du Portugal pour Hongkong et Macao n’a pas répondu aux sollicitations de Libération, pas plus que les élus britanniques ou canadiens membres du groupe d’observation formé par Andy Li. Même silence du côté des autorités taïwanaises. L’île, dont Pékin réclame toujours la souveraineté, se retrouve en effet dans une situation délicate, elle qui montre une solidarité certaine à l’égard des contestataires de Hongkong. Taiwan a en effet facilité la délivrance de visas pour les étudiants hongkongais et ouvert le 1er juillet un bureau dédié à l’«assistance humanitaire» pour ceux dont «la sécurité et la liberté sont menacées de manière imminente pour des raisons politiques».

Depuis l’intensification des violences lors des manifestations en novembre 2019, et les milliers d’arrestations qui ont suivi, des centaines de jeunes Hongkongais ont pris la poudre d’escampette, choisissant Taiwan pour au moins 200 d’entre eux. Certains ont fui légalement avec des visas de touristes ou d’étudiants. Ceux poursuivis notamment pour «émeutes», crime passible de dix ans de prison, et dont le passeport avait été confisqué en vue de leur procès, ont opté pour des routes clandestines en mer. L’armée populaire chinoise s’est pourtant faite menaçante, avertissant lors de l’entrée en vigueur le 30 juin de la loi de sécurité nationale avoir déployé une armada pour «traquer les fugitifs».

Mais les candidats à l’exil tentent malgré tout leur chance. Fin août, la presse taïwanaise a rapporté l’histoire de cinq Hongkongais interceptés par les gardes-côtes fin juillet après que leur bateau en panne d’essence a dérivé vers les îles Pratas. Les autorités taïwanaises font profil bas sur cette affaire, se sachant dans le viseur de la Chine et déjà accusées par la presse pro-Pékin d’avoir participé à l’évasion de jeunes Hongkongais avec la complicité d’hommes d’église. Lundi, les autorités hongkongaises ont «exhorté Taiwan à prendre ses responsabilités contre les crimes transfrontaliers» et exigé le renvoi des cinq fugitifs à Hongkong.

«La situation est désespérée», commente Lee Cheuk-yan, président de l’Alliance de Hongkong en soutien des mouvements démocratiques patriotiques en Chine, association née en réaction aux évènements du printemps de Pékin en 1989 pour accueillir les dissidents. «Après le massacre de Tiananmen, des centaines de personnes ont fui le régime par la mer» pour atteindre Hongkong et gagner un autre pays, rappelle l’homme politique. «Aujourd’hui, ce sont les Hongkongais qui fuient le régime chinois.» Mais à la différence de 1989 où les réfugiés «avaient des portes de secours, le soutien de gouvernements coopératifs et des relais en Chine, aujourd’hui, nous n’avons aucune issue, si ce n’est celle, très périlleuse, de la mer».

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