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Jours tranquilles à Paris
20 août 2019

Analyse - Hongkong : l’échec de Xi Jinping

Par Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant

Le numéro un chinois a beau défendre officiellement l’idée « un pays deux système », dans les faits sa gestion de la crise dans l’archipel est en totale contradiction avec ce principe. Et la contestation ne cesse de grandir.

Analyse. Les manifestations organisées maintenant depuis plus de deux mois à Hongkong constituent le premier échec majeur de Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012. Difficile en effet de faire porter au président chinois la responsabilité de la guerre commerciale déclenchée, pour de multiples motifs, par Donald Trump. En revanche, Pékin est clairement responsable des événements dans le territoire semi-autonome.

Cependant, lors du dernier congrès du Parti communiste, en octobre 2017, le numéro un chinois était on ne peut plus clair. « Après le retour de Hongkong et de Macao dans le giron de la patrie, la mise en pratique du principe “un pays, deux systèmes” a été une grande réussite universellement reconnue, expliquait-il. Les faits ont prouvé que ledit principe était la meilleure solution pour régler la question, léguée par l’histoire, de Hongkong et de Macao, de même que le meilleur régime pour y maintenir la prospérité et la stabilité à long terme. Dans ce but, il faut appliquer dans leur intégralité et avec précision les principes dits “un pays, deux systèmes” “administration de Hongkong par les Hongkongais”, “administration de Macao par les Macanais”, et le principe d’un haut degré d’autonomie. »

Explosion de colère

Pourtant, moins de deux ans plus tard, c’est justement parce qu’ils ont le sentiment que ce principe n’est pas respecté que les Hongkongais se révoltent contre Pékin. Comment en est-on arrivé là ?

Manifestement, ni Xi Jinping ni ses représentants locaux n’ont été capables de percevoir les signes avant-coureurs de cette crise. En mars, Han Zheng, premier vice-premier ministre, se montre confiant : « L’atmosphère politique à Hongkong change, et pour le meilleur. » Décryptage : avec les années, le souvenir de la révolution des parapluies de 2014 s’estompe.

En fait, c’est exactement l’inverse qui se produit. La frustration et la rancœur des Hongkongais contre le pouvoir ne fait que croître. Non seulement la Chine de Xi Jinping ne leur accorde pas le suffrage universel auquel ils aspirent mais elle rogne leurs libertés dès qu’elle le peut, n’hésitant pas à utiliser des subterfuges pour invalider l’élection de députés d’opposition, à enlever à Hongkong des opposants que l’on retrouve ensuite dans les prisons chinoises, ou à expulser un journaliste britannique qui a eu le malheur de présider une conférence de presse avec un leader politique indépendantiste. Face à un pouvoir chinois liberticide et à un pouvoir exécutif local qui défend moins les intérêts de Hongkong qu’il n’exécute les ordres de Pékin, il suffit d’une étincelle pour que la colère explose.

Une erreur dans l’erreur

Ce sera le projet de loi déposé en urgence – une erreur dans l’erreur – permettant les extraditions de Hongkongais mais aussi d’étrangers vers la Chine continentale. Pour les Hongkongais, cette réforme remet en cause le fondement même de l’identité de leur ville, le respect de l’Etat de droit, le fameux « rule of law » britannique à laquelle ils sont si attachés. A leurs yeux, cette réforme est la preuve que Pékin, malgré le discours de Xi Jinping, n’entend pas attendre 2047, comme la Chine s’y est engagée lors de la rétrocession de la mégalopole par Londres en 1997, pour y imposer sa loi et mettre fin au principe « un pays, deux systèmes ».

A moins d’être cynique et d’imaginer que Xi Jinping a provoqué la crise actuelle ou entend l’exploiter pour accélérer la reprise en main de cette ville rebelle, la gestion de cette crise est un modèle de décisions absurdes. A force de ne rien obtenir malgré son évident succès populaire, le mouvement de protestation devient explicitement anti-Pékin et la revendication du suffrage universel, qui n’apparaissait pas lors des premières manifestations en juin, constitue désormais l’une des cinq demandes officielles. Résultat : un projet de loi mineur, sans doute élaboré par une poignée de bureaucrates myopes, s’est transformé en deux mois en une crise majeure pour la deuxième puissance mondiale.

La propagande met l’accent sur les violences

Et ce n’est pas fini. Après un mois de tergiversations, Pékin a présenté sa riposte la semaine du 5 août. Soutien à Carrie Lam, la présidente de l’exécutif local, appel aux hommes d’affaires, aux « patriotes » et aux politiciens locaux à rentrer dans le rang, feu vert à une répression policière accrue et à une justice expéditive, et menaces explicites à l’égard des entreprises et des Hongkongais qui participent ou qui même se contentent de soutenir les manifestations anti-Pékin.

Par ailleurs, la propagande qui jusque-là minorait la contestation l’amplifie désormais. Les médias audiovisuels chinois se mettent même à produire des « fake news » dignes de Russia Today. Il ne faut surtout pas que les Chinois puissent s’identifier aux Hongkongais. L’accent est donc mis sur les violences – en réalité mineures –, sur la prétendue volonté des Hongkongais de proclamer l’indépendance, et sur un complot occidental derrière tout cela.

Peu importe que le président américain, Donald Trump, n’ait que mépris pour ceux qu’il qualifie d’« émeutiers ». Si cette propagande semble efficace auprès de la population chinoise, elle ne fait que renforcer le ressentiment des Hongkongais à l’égard de la Chine. Non seulement le fossé n’a sans doute jamais paru aussi large entre Pékin et Hongkong, mais il n’a cessé de se creuser ces dernières semaines. Alors que Xi Jinping affirme vouloir « construire une communauté de destin pour l’humanité », la crise de Hongkong révèle au contraire un dirigeant incapable de construire une communauté de destin pour les Chinois.

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