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Jours tranquilles à Paris
22 août 2019

Zahia fascine dans “Une fille facile” chez Rebecca Zlotowski : rencontre

zahiaaaaa

 

A 17 ans, elle devenait un phénomène internet sulfureux suite à la révélation de sa relation tarifée avec un célèbre footballeur. Presque dix ans plus tard, elle se réinvente actrice de cinéma, quelque part entre Dombasle, Cardinale et Bardot. Elle revient pour nous sur les nombreux rebonds d'une vie aventureuse et romanesque.

Dans Une fille facile, le quatrième long métrage de Rebecca Zlotowski (Belle Epine, Grand Central, Planétarium), Zahia Dehar est Sofia, la sulfureuse cousine de Naïma, la jeune héroïne cannoise du film, jeune fille sérieuse issue d'un milieu modeste qui prépare des études dans l'hôtellerie. Sofia incarne pour sa cousine nubile un fantasme de féminité extravertie, un rêve d'ascension sociale par les appas de la séduction et de l'érotisme. Les frottements entre le parcours fictionnel de Sofia et le savoir commun du passé de Zahia Dehar auraient pu être un peu trop rusés pour convaincre, mais l'intelligence, la délicatesse, la finesse de touche du film dispersent d'emblée toute réticence.

La cinégénie magnétique de l'actrice, l'extraordinaire précision de sa diction alanguie, sa façon palpitante d'habiter chaque plan s'imposent avec une évidence confondante. On ne sait pas encore si le cinéma saura donner à la jeune femme des rôles aussi gracieux, on ignore aussi si elle le désire, mais sa prestation dans Une fille facile est d'ores et déjà l'un des événements de cinéma les plus emballants de l'année.

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Que représentait le cinéma pour toi avant que tu n’en fasses ?

Dès l’enfance, j’ai été fascinée par le cinéma. Je passais des journées entières à regarder des films, et je le fais encore aujourd’hui. Ma mère m’a transmis ce goût. On regardait à la télévision des films égyptiens. Ceux des années 1960, qui marquent l’âge d’or de ce cinéma, avec ces comédies musicales fastueuses où les comédiennes dansent de façon fascinante. J’ai commencé la danse orientale en les regardant et je refaisais devant ma télé tous leurs mouvements. Mais on regardait aussi des films américains, français… J’ai été extrêmement frappée par Lune de fiel de Roman Polanski.

C’est un film comportant pas mal de scènes de sexe. Tu ne l’as pas vu enfant, j’imagine…

A 12 ans tout de même ! Mes parents m’avaient écartée de la télévision quand il avait commencé, mais j’avais réussi à attraper une rediffusion. Le film m’a vraiment marquée, il m’a révélé la représentation que je me fais de l’amour, à savoir avant tout un rapport de force. Ce dont je reste profondément persuadée, je l’ai compris à 12 ans devant ce film.

Est-ce que, enfant, tu t’es imaginée devenir un jour actrice ?

Jamais je ne me suis dit, enfant, que ça pourrait être moi sur l’écran. Longtemps, j'ai été tellement admirative du cinéma que ça ne me permettait pas de m’y projeter. J’avais trop peur d’abîmer quelque chose de tellement important pour moi en étant médiocre. Quand Marilou Berry m’a confié un petit rôle dans Joséphine s’arrondit (2015), j’étais terrorisée. Mais cette première expérience m’a quand même donné envie d’essayer. J’ai fait des stages de comédie dans des écoles à Londres, j’ai travaillé avec un coach… Mais quand j’ai compris que j’allais interpréter Sofia dans Une fille facile, j’ai à nouveau été submergée par la peur. J’étais paniquée à l’idée de décevoir Rebecca (Zlotowski).

Qu’a-t-elle pu dire pour te détendre ?

Beaucoup de choses. Elle sentait que je tremblais à l’idée de faire le film, et elle a fini par m’en parler, par m’expliquer que je ne devais pas avoir peur car elle m’avait choisie pour ce que j’étais. Et que justement elle m’aimait telle que j’étais. Ça m’a aidée à envisager le film comme un très grand moment d’amusement, à y prendre du plaisir.

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Quels sont tes points communs et tes différences avec le personnage de Sofia ?

Ce qui me rapproche de Sofia, c’est le goût de l’aventure. J’aime me lancer sans avoir aucune idée de ce qui peut m’arriver. Par exemple, j’ai déménagé à Londres récemment alors que je n’y connaissais personne, simplement pour voir ce qui allait arriver. Et ça, je peux le faire tout le temps ! Je pourrais déménager demain au Japon sans parler la langue et y aller seule. L’inconnu ne me fait pas peur. Je suis toujours curieuse de ce qui va se passer, je déteste la monotonie.

Qu’est-ce qui t’a donné suffisamment d’assurance pour ne pas avoir peur de ce qui peut se passer ?

J’ai su assez tôt que des choses graves peuvent arriver dans une vie. Ça m’a peut-être appris à ne pas avoir peur du danger. Etrangement, je n’ai jamais joué dans un casino, mais dans la façon de conduire ma vie, je peux avoir un côté joueur, qui mise tout sur une couleur ou un numéro au risque de perdre beaucoup.

Et qu’est-ce qui t’oppose à Sofia ?

Rebecca m’a expliqué que Sofia devait quand même être différente de moi. Elle voulait que je lui donne un côté plus sauvage, plus brutal, plus racoleuse et agressive aussi dans sa manière de séduire les hommes. Rebecca me disait souvent : “N’oublie pas que Sofia est moins polie que toi.”

Est-ce que, comme Sofia, lorsqu’elle est rejetée par le propriétaire du bateau dans Une fille facile, tu t’es déjà sentie humiliée socialement ?

Je n’ai jamais connu exactement la même situation que le personnage, mais je me suis déjà sentie rejetée. Ce qui m’a le plus blessée quand je suis venue en France, c’est de ne pas pouvoir faire de longues études. C’était mon rêve depuis toute petite, et ça reste une blessure. J’ai fait l’école primaire en Algérie. Je ne parlais pas français, contrairement à mes parents, mais j’avais une familiarité avec la langue française grâce à la télévision. Quand j’étais petite, je voulais devenir pilote d’avion. Ma mère est allée jusqu’au bac, mais elle a arrêté ses études juste après, lorsqu’elle s’est mariée. Mon père, lui, est ingénieur et a donc fait de longues études.

Durant toute ma primaire, j’étais première de ma classe – c’était une très grande fierté. Lorsque mes parents se sont séparés, mon père est resté en Algérie et ma mère a décidé de s’installer en France avec mon petit frère et moi. On devait s’installer chez ma grand-mère, mais au bout de trois mois elle a changé d’avis et nous a demandé de partir. On s’est retrouvés à squatter de maison en maison, parfois chez des étrangers. La première année, j’ai dû changer d’école six fois. Ça a tout gâché. Je me suis retrouvée en difficulté scolaire. Au bout d’un moment, ma mère a trouvé du travail au noir, a pris un petit studio et notre situation est devenue un peu plus stable. Je n’avais plus à changer d’école tout le temps.

Tu es donc passée d’une situation plutôt privilégiée, avec un père ingénieur, à une grande difficulté économique ?

Oui, mon père était contre le départ de ma mère et ne nous a pas aidés. Je n’ai jamais retrouvé mon niveau scolaire, j’ai accumulé trop de retard et je me suis peu à peu faite à l’idée que c’était irrattrapable. Je me suis sentie brisée. Comprenant que je ne serais jamais pilote, que je n’aurais pas la vie dont je rêvais, j’ai dû chercher le bonheur ailleurs.

“J’ai un peu tout capitalisé sur mon physique à partir de 14, 15 ans”

Vers où ?

J’ai commencé à avoir un corps de femme, j’ai senti que ça provoquait de l’attention. J’ai eu envie de l’exhiber, j'ai pris plaisir à porter très jeune des robes de femme. J’ai eu l’intuition que par là quelque chose pouvait arriver. J’ai un peu tout capitalisé sur mon physique à partir de 14, 15 ans. Je vivais en banlieue parisienne, à Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne. J’ai commencé à beaucoup sortir, j’ai intégré des milieux sociaux très différents du mien. Je ne vivais qu’entourée d’adultes. J’ai commencé à travailler comme escort et à gagner de l’argent.

L’exposition médiatique qui te tombe dessus à 17 ans lorsque le scandale Ribery éclate, tu la vis comment ?

Comme un choc et une catastrophe bien sûr. J’ai eu le sentiment que, alors que commençait à peine ma vie d’adulte, je n’avais plus d’avenir. Je me suis sentie bloquée dans une case, celle des femmes bannies, lapidées. Je me suis sentie vraiment très mal. Je pensais même à me suicider parce que je croyais qu’il n’y avait plus de vie pour moi. Je me sentais comme un monstre qu’il fallait cacher.

Tu t’es sentie soutenue par ta famille ?

Oui, par ma mère.

Elle savait que tu étais escort ?

Non, elle l’ignorait. Elle l’a appris à la télévision et a été très choquée. Les journalistes débarquaient chez moi : j’ai fui dans le sud de la France chez un ami. Mais ma mère n’a à aucun moment été agressive avec moi, elle était plutôt inquiète. De fait, j’étais très mal. Jusqu’à ce que je me dise que ce que j’avais fait n’était pas un crime. Je n’avais pas à me dire que j’étais coupable d’un penchant sexuel.

Tu vois ton activité d’escort comme un simple penchant sexuel ?

Oui, en partie. Il y avait le côté matériel bien sûr, mais ça répondait aussi à un goût. Quand j’avais 15 ans, j’ai eu le choix. J’aurais pu avoir un petit copain, être déçue, en changer tous les trois mois. Ça ne m’excitait pas. Quand je rencontrais des hommes plus âgés, c’était plus épanouissant. Je crois que j’étais plus stimulée par l’aventure que l’amour.

Le sentiment amoureux, tu l’as découvert beaucoup plus tard ? Toujours pas ?

J’ai beaucoup de mal avec la notion d’amour. C’est un sentiment très sacralisé, mais j’ai toujours perçu qu'il est rarement aussi désintéressé qu’on le dit. C’est une stimulation du plaisir, mais c’est souvent assez superficiel. J’ai déjà connu l’addiction amoureuse pourtant, l’obsession pour quelqu’un, mais ça n’a duré qu’un temps, jusqu’à ce qu’une rencontre me fasse passer à autre chose.

Tu as des croyances religieuses ?

Non, pas du tout. Mais je ne pense pas non plus que l’amour dans la religion, l’amour de Dieu, soit davantage désintéressé. On croit parce qu’on attend quelque chose en retour, la vie éternelle ou autre chose. L’amour désintéressé, je le ressens en revanche quand je vois sur Instagram des photos d’animaux en train d’agoniser. Là, je ressens une forte empathie, une envie de donner sans attendre rien en retour.

Tu es végétarienne je crois ?

Oui, pour cette raison. J’ai arrêté de manger de la viande en 2013 – ça a été une lente prise de conscience. J’ai toujours été sensible à la cause animale, l’exploitation des animaux m’a toujours semblé d’une cruauté intolérable.

Comment as-tu rebondi après la révélation de ton activité par les médias ?

J’ai d’abord pensé que j’allais vivre dans la honte toute ma vie. Et puis j’ai commencé à recevoir des signes de sympathie de gens qui me reconnaissaient. Des gens m’identifiaient dans la rue et se montraient plutôt bienveillants, ça m’a redonné confiance.

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“J’adore la nature et j’aime le corps de la femme nue”

Penses-tu que tes débuts dans le stylisme, la création de ta marque sont liés à la notoriété que tu as acquise comme escort ?

Les investisseurs avec qui je suis entrée en contact ont surtout cru à un projet. A aucun moment je n’ai pensé que mes vêtements allaient se vendre sur mon nom, sur ma notoriété. J’ai essayé de raconter une histoire, de poser un univers. J’adore la nature et j’aime le corps de la femme nue : c’est une image très forte pour moi, celle de la nymphe qui avance nue dans une végétation luxuriante. Ma première collection était construite autour de ce motif. Les vêtements devaient évoquer cette vision d’une femme qui se fait recouvrir le corps, qui est habillée, par la nature. La soie, les broderies reconstituaient des feuillages…

Mais comment devient-on chef d’entreprise à 19 ans ?

Je ne me suis pas vraiment dit que je devenais chef d’entreprise, ce n’était pas le but. Ce qui m’intéressait, c’était la création. Je voulais surtout être dans une bulle et rêver. Je n’avais pas envie de gérer tout le reste, mais j’ai su m’entourer d’une équipe de confiance.

Très vite, des artistes reconnus sont venus vers toi, comme Pierre et Gilles…

Oui, ils m’ont contactée parce qu’ils pensaient que nos univers étaient très proches : cette importance de la nature, la nudité dans un contexte à la fois sauvage et un peu magique… Dans tous les tableaux que j’ai faits avec eux, c’est moi qui ai conçu ce que je porte. On réfléchissait à la composition ensemble, c’était une vraie collaboration.

A part la nature, quelles ont été tes sources d’inspiration pour tes collections de lingerie haute couture ?

La pâtisserie. J’ai une passion pour la pâtisserie sophistiquée, la façon dont ces petites pièces sont sculptées pour provoquer le désir. Même si on n’a pas faim du tout, lorsqu’on passe devant une vitrine de pâtisserie, on ne peut pas s’empêcher de regarder, c’est irrésistible. J’ai eu envie de vêtements qui mettaient en scène les femmes comme des pâtisseries. Comme des trésors dans leur vitrine de salon de thé.

Est-ce que cette mise en scène de la femme comme pâtisserie n’entre pas en contradiction avec ta sensibilité à la parole féministe ?

Ça peut sembler paradoxal, mais je ne crois pas qu’il y ait de contradiction. Il ne s’agit pas de considérer les femmes comme des objets, ça n’a rien à voir. Je reproduis l’esthétique du gâteau, les ornements de la pâtisserie. Quand je passe devant une pâtisserie, j’ai l’impression que c’est elle qui a un pouvoir sur moi. Celle qui bave, qui en demande, c’est moi, ce n’est pas la pâtisserie. C’est elle qui me domine (rires). L’idée, c’était d’imaginer une mise en scène qui donne ce pouvoir-là aux femmes, mais le temps d’un jeu un peu coquin. C’est un rôle, un amusement.

C’est le choix d’une femme de vouloir être perçue comme une pâtisserie le temps d’une nuit. Ça fait partie de la liberté sexuelle de faire le choix d’être considéré dans un rapport sexuel comme un objet, mais de ne plus l’être dès qu’on le souhaite. J’ai parfois eu l’impression que c’était plus simple pour une femme de se faire respecter en effaçant tous les signes de sa féminité. Moi, je suis en lutte avec ça. Je veux être prise au sérieux même en étant habillée de façon hypersexy.

Etre hypersexy donne de toute évidence aussi une forme de pouvoir. Mais n’y a-t-il pas en effet un danger à trop se reposer dessus ?

Oui, susciter du désir sexuel donne du pouvoir dans certaines circonstances, c’est sûr. On peut faire le choix d’en jouer. Il faut aussi s’en méfier. J’ai l’impression d’avoir toujours été attentive à faire la part des choses, à ne pas croire les promesses de ceux qui me disaient que mes idées étaient formidables alors qu’ils pensaient surtout à mon physique. Mais je n’ai jamais pensé que je devais dissimuler mes jambes, mes seins pour obtenir un respect au-delà de mon physique.

Ce pouvoir du désir provoqué, tu en as, dans un premier temps de ta vie, très fortement usé, puisqu’il t’a projetée dans des sphères sociales très éloignées de ton milieu d’origine, t’a permis de gagner beaucoup plus d’argent que les filles de ton âge. Est-ce que tu as le sentiment de te reposer toujours dessus ou de t’en être libérée ?

Les deux. Personne ne se libère vraiment de l’envie de provoquer le désir, ne serait-ce que dans sa vie privée. On s’habille, on se prépare, par envie de plaire, de rencontrer quelqu’un… J’ai dû conquérir dans la mode un espace où je devais me faire respecter par mon travail, mes idées, ma capacité à porter un projet. Mais ce travail est aussi intimement connecté à ma féminité et mon rapport au désir. C’est séparé et ça communique. C’est épanouissant de diriger une équipe, de se réaliser dans son travail. Mais on peut trouver aussi une autre forme d’épanouissement dans la pire séduction, dans l’activité d’escort : se sentir choisie, dirigée par le désir de l’autre, c’est une expérience forte aussi. Ça a un temps apporté une vraie légèreté à ma vie.

Ta vie en avait besoin ? Tu as de la pesanteur en toi ?

Oh oui. Surtout quand j’étais adolescente. J’avais beaucoup de gravité en moi.

Quand tu parles de ta vie aujourd’hui, tu le fais de façon assez positive pourtant…

C’est vrai, mais en faisant cela, je me conforme à une injonction assez banale qui est de se montrer sous un jour flatteur et positif. C’est une dictature de notre société : se montrer sous son meilleur jour. Mais, évidemment, il y a aussi beaucoup de douleur dans mon parcours.

Tu as déjà consulté un analyste ?

Pas encore. J’y pense souvent. Il y a des choses de ma vie sur lesquelles j’aimerais réfléchir avec quelqu’un. Mais, pour l’instant, je n’en suis pas sûre.

Tu préférerais que ton analyste soit un homme ou une femme ?

Son genre m’est indifférent.

A Cannes, tu m’avais dit que tu avais eu un coup de foudre pour Rebecca Zlotowski en l’entendant parler à la télévision. Tu l’avais ajoutée dans la foulée sur Instagram. Qu’est-ce qui te séduit chez elle ?

Tout me séduit chez elle. Dès que je la vois, j’ai envie de passer des heures avec elle. Rebecca, on n’a jamais envie de la quitter, j’adore sa compagnie. Et, au-delà, je me suis attachée à elle. Elle est très touchante, elle m’émeut comme personne. Et puis j’aime beaucoup son travail, et aussi sa façon très brillante d’en parler. Dans les films de Rebecca, comme dans tous les grands films, même quand il ne se passe rien, c’est extrêmement important. Les plans les plus anodins, les choses qui paraissent sans importance sont extrêmement chargés. Comme chez Buñuel par exemple. Cette valeur accordée aux détails, c’est ce qui me touche le plus au cinéma. C’est quelque chose que Rebecca a.

Quelle est la scène du film qui comportait pour toi le plus fort enjeu ? Celle que tu redoutais ?

Peut-être ma dernière scène du film, quand je pars en étant triste. J’avais peur de ne pas trouver ces émotions en moi. D’autant plus que j’étais portée par l’atmosphère très joyeuse du tournage. J’étais heureuse et il fallait réussir à trouver du négatif en moi, mais j’y suis parvenue.

Parce que tu as malgré tout de grosses réserves de négatif en toi dans lesquelles tu peux toujours puiser ?

Oui c’est sûr ! (rires) Je ne devrais pas m’en faire pour ça.

As-tu l’impression d’être le symbole de quelque chose ? Que tu portes des choses plus grandes que toi, comme le statut des travailleurs.ses sexuel.le.s ou celui des Français.es issu.e.s de l’immigration ?

Si c’était le cas, ce serait un honneur. Durant des mois, lorsque mon activité a été révélée par la presse, j’ai été dans une souffrance folle, désespérée. Si, après ça, je pouvais être une sorte de porte-drapeau qui a une quelconque utilité pour aider les travailleurs.es sexuel.le.s, j’en serais fière. Je pense que la première chose qu’on doit faire, c’est de leur tendre la main plutôt que de les bannir.

Tu es davantage pour la légalisation et l’encadrement de la prostitution que son abolition ?

Oui. On ne lutte pas contre l’exploitation en disqualifiant une activité, mais en améliorant les conditions de son travail. Il y a des couturières au Bangladesh qui se font exploiter, et on ne méprise pas pour autant leur activité. Le problème, ce n’est pas l’activité, mais les conditions dans lesquelles elles l’exercent. Je suis contre la pénalisation de la prostitution et celle des clients. C’est contre-productif. Il faut protéger ceux et celles qui font le choix de cet exercice.

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Tu n’as jamais ressenti une honte sociale à exercer cette activité ?

Ben oui, pendant le scandale ! C’est le moins qu’on puisse dire… (rires)

Non, mais même avant… J’imagine que tu cachais cette activité…

Oui, je le cachais à mon entourage. Ça ne se voyait pas. Je n’avais pas honte de ce que je faisais, mais je savais qu’il valait mieux que ça reste secret.

Tu n’avais pas peur ? Mineure, entourée d’adultes inconnus ? C’est une activité dangereuse, non ?

C’est très paradoxal. Car depuis toujours, et encore aujourd’hui, je suis terrorisée par l’éventualité d’une rencontre avec un serial killer. J’y pense vraiment très souvent. Je ne peux pas marcher la nuit dans une ruelle et voir une camionnette avancer doucement sans avoir très peur – j'accélère ma marche. Quand je suis seule chez moi, j’ai peur. Je pense toujours à un psychopathe qui pourrait me tuer. Mais, étrangement, quand j’étais escort, ça ne me faisait pas plus peur que n’importe quelle situation de la vie banale. On peut aussi bien croiser un psychopathe sur le chemin de la bibliothèque.

Que font tes deux frères aujourd’hui ?

Mon petit frère est en réflexion. Il a 18 ans et ne sait pas encore ce qu’il veut faire. Mon grand frère est en Algérie et a un restaurant.

Tu as un rapport pacifié avec eux ?

Oui, avec les deux.

Considères-tu aujourd’hui que tu es heureuse ?

Oui, quand même… Je me sens plutôt bien.

Qu’est-ce que tu te souhaites dans les dix prochaines années ?

Moi, ce que je souhaite avant tout, c’est d’être perçue comme n’importe quel être humain. Ne plus être vue comme une bête curieuse. Etre jugée par rapport à ce que je fais, par rapport à mon travail.

Tu ne donnes pas l’impression d’avoir souffert du racisme. Tu parles beaucoup du jugement qu’on a porté sur ton activité d’escort, mais pas tellement de la difficulté d’être d’origine arabe en France…

Pour être honnête, je ne me suis pas sentie exclue pour cette raison. En arrivant en France, enfant, je n’ai jamais subi de réflexions racistes. Pourtant, mon petit frère et moi ne parlions pas bien le français, nous étions vraiment des immigrés qui débarquent. J’ai même des souvenirs de grande solidarité quand nous étions dans la plus grande difficulté. Je me souviens d’une dame française d’un certain âge qui nous avait recueillis à Noël… (elle éclate subitement en sanglots) Pardon, je suis comme ça… Je peux me mettre à pleurer très facilement… (elle essuie ses larmes et tâche de reprendre son récit)

Donc, notre grand-mère ne voulait plus nous voir. Mon petit frère et moi fantasmions sur notre premier Noël en France : le froid, la neige, le sapin… Mais après la brouille avec ma grand-mère, nous sentions que nous n’aurions pas d’endroit pour fêter Noël. Cette dame, qui était une connaissance de ma grand-mère, nous a recueillis. On n'avait que nos vêtements d’été en plein hiver, on lui faisait de la peine. Pour Noël, elle nous a invités et nous a donné autant de cadeaux qu’à son petit-fils !

C’est une belle histoire. Et aujourd’hui à Londres, qu’est-ce qui remplit tes journées à part le travail ?

A la base, j’ai déménagé à Londres pour apprendre l’anglais. Donc, dès que j’ai du temps, je prends des cours. J’aime beaucoup nager, je fais pas mal de natation. J’ai quelques amis que je vois et avec qui je sors. Et puis j’écoute de la musique.

Laquelle ?

Des choses assez variées, mais ce que je préfère, c’est quand même la chanson française des années 1960 : France Gall, Françoise Hardy, Brigitte Bardot.

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