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Jours tranquilles à Paris
23 août 2019

« Retrouver la sève des G7 », le défi d’Emmanuel Macron

g7 photo

Par Marc Semo

Le sommet, qui doit se dérouler à Biarritz du 24 au 26 août, s’annonce délicat sur fond de menaces de récession économique, tensions internationales croissantes et dissensions internes.

Signe des temps, un communiqué commun aussi générique que généreux pour énumérer les grands défis du monde ne devrait pas conclure les trois jours du G7 de Biarritz du 24 au 26 août. Laborieusement négocié entre sherpas, un tel texte marquait comme la traditionnelle photo de famille ces réunions entre les dirigeants des principales puissances économiques démocratiques (Etats-Unis, France, Royaume-uni, Allemagne, Japon, Italie, Canada).

Mais rarement un tel sommet se sera annoncé comme aussi difficile sur fond de menaces de récession économique, de tensions internationales croissantes mais surtout de dissensions internes toujours plus vives entre membres. Club informel, cette instance, inventée en 1975 par le président français, Valéry Giscard d’Estaing, pour faire face au premier choc pétrolier et à la crise du dollar, se veut avant tout un lieu de concertation. Celle-ci risque de tourner court alors même que les chefs d’Etat ou de gouvernements présents sont tous fragilisés ou focalisés sur leurs enjeux politiques intérieurs.

« Retrouver la sève des G7 »

« Il faut retrouver la sève des G7, celle des échanges et du dialogue où l’on se dit les choses », a expliqué le président français, Emmanuel Macron, ironisant sur « ces communiqués que personne ne lit qui sont le résultat d’interminables chicayas bureaucratiques entre Etats profonds des pays membres ». Et de rappeler avec humour que lui-même, en tant que sherpa, participa à de telles interminables discussions.

Parlant le 21 août devant l’Association de la presse présidentielle, à trois jours du début du sommet et avant l’ouverture la semaine prochaine de la conférence annuelle des ambassadeurs et des ambassadrices, le chef de l’Etat qui, selon la Constitution, détermine les grandes options de la politique étrangère française a voulu en rappeler les enjeux. « Nous vivons une période historique de l’ordre international qui est le nôtre marquée par une crise très profonde des démocraties, à la fois de représentativité et d’efficacité », a-t-il insisté, soulignant leurs difficultés « à répondre aux peurs contemporaines, la peur climatique, la peur technologique, la peur des migrations ».

Risque d’une diplomatie de la posture

« La lutte contre les inégalités », le thème central choisi pour ce premier G7 organisé par la France depuis huit ans, est essentiel mais il risque d’être un peu occulté par les dossiers les plus chauds, tels l’escalade dans le golfe Persique entre Washington et Téhéran, la guerre commerciale des Etats-unis avec la Chine ou l’urgence climatique. Grand perturbateur du précédent G7 à la Malbaie, au Québec, Donald Trump avait retiré sa signature du communiqué final traitant son hôte, le premier ministre canadien Justin Trudeau, de « malhonnête ».

Désormais en campagne pour sa réélection en 2020, il ne peut surenchérir dans son cavalier seul après s’être déjà retiré de l’accord de Paris sur le climat et de l’accord sur le nucléaire iranien. Empêtré dans le Brexit, le nouveau premier ministre britannique, Boris Johnson, est tenté de se rapprocher du locataire de la Maison Blanche. La chancelière allemande, Angela Merkel, est en fin de règne et Justin Trudeau est encore plus affaibli politiquement. Le président du conseil italien, Giuseppe Conte, est démissionnaire.

« Un tel contexte ne peut que favoriser chez les participants une diplomatie de la posture et donc paralyser toute concertation », relève Bertrand Badie, professeur émérite à Science Po Paris, qui de longue date pourfend la « diplomatie de connivence » dont le G7 est l’archétype. Cette instance est en outre toujours plus en décalage avec les réalités de la globalisation. Ses membres ne pèsent plus que 40 % du PIB du monde et 12 % de sa population. « Avant même que Donald Trump n’entre en scène, il était déjà évident que le G7 devait évoluer pour retrouver toute son attractivité », explique Pierre Vimont, ancien haut diplomate français et ex-numéro deux de la diplomatie de l’Union européenne, aujourd’hui chercheur au Carnegie Europe.

Le président français est conscient du défi. « L’ordre international reposait sur l’hégémonie occidentale depuis le XVIIIe siècle, alors la France, puis au XIXe, la Grande-Bretagne, et au XXe, les Etats-Unis. Mais cette hégémonie est aujourd’hui remise en cause », a expliqué Emmanuel Macron, insistant sur la nécessité « de défendre, en le renouvelant, un multilatéralisme contemporain en ne cédant à l’ensauvagement du monde ».

La question du retour de la Russie

Le président français veut faire évoluer le G7, qu’il critiquait à l’issue du sommet de Québec comme « un théâtre d’ombres et de divisions ». Il s’agit d’en alléger le fonctionnement et surtout de l’ouvrir toujours plus largement aux dirigeants de pays non-membres – mais aussi aux représentants de la société civile comme les ONG et les entreprises – afin de favoriser l’émergence de « coalitions de pays acteurs désireux de proposer des solutions concrètes ». Le premier ministre indien, Narendra Modi, le président chilien, Sebastian Pinera, et des dirigeants africains dont le Rwandais, Paul Kagame, mais aussi ceux des pays du G5 Sahel.

L’une des questions centrales du sommet sera celle d’un retour de la Russie, qui avait été exclue de cette instance en 2014, après l’annexion par la force de la Crimée et la déstabilisation de l’est de l’Ukraine. Le président français en a discuté, lors d’un entretien de plus d’une heure au téléphone dans la nuit du 20 au 21 août, avec son homologue américain Donald Trump, qui présidera le G7 l’année prochaine et se dit favorable à la réintégration de Moscou sans évoquer de préalables particuliers. « Il est pertinent qu’à terme la Russie revienne », a reconnu Emmanuel Macron, tout en rappelant que l’on ne peut oublier les raisons pour lesquelles elle en a été exclue et donc la nécessité de gestes significatifs du Kremlin sur l’Ukraine. « Dire “la Russie sans conditions doit demain revenir à la table”, c’est en quelque sorte acter la faiblesse du G7 », a-t-il explicité.

C’était l’une des raisons de la rencontre au fort de Brégançon cinq jours avant le G7 avec Vladimir Poutine. Le président aurait montré sa disponibilité à discuter sérieusement avec Kiev pour la mise en œuvre des accords de Minsk de février 2015 qui avaient mis fin aux combats les plus intenses mais restés jusqu’ici lettre morte. Une réunion d’un sommet à quatre de format Normandie – France, Allemagne, Russie, Ukraine – pourrait se tenir dans quelques semaines à Paris.

Les débats avec Trump s’annoncent houleux

« Il est essentiel d’arrimer la Russie à l’Europe car elle est européenne par son histoire, comme par sa géographie, et plus nous dirons qu’elle est européenne, plus elle le sera », a expliqué Emmanuel Macron qui, par cette ouverture à Moscou sans pour autant cacher les divergences, veut affirmer la France comme une « puissance d’équilibre ». « Même si nous avons des amis et des alliés, nous devons parler à tout le monde. Les ennemis de nos alliés ne sont pas nécessairement les nôtres », a-t-il insisté, reprenant des accents gaulliens et marquant sa différence vis-à-vis de Donald Trump. Les débats avec le locataire de la Maison Blanche s’annoncent pour le moins houleux. Ils vont commencer dès vendredi soir au dîner quand seront discutés les grands dossiers politiques. A commencer par la crise du Golfe.

« On doit avoir une discussion au sommet sur comment on gère le dossier iranien, on a des vrais désaccords au sein du G7 : trois puissances européennes et le Japon qui ont une position assez claire, un rapport avec l’Iran totalement assumé, et les Américains (…) qui ont décidé de changer totalement de ligne et ont dénoncé l’accord de 2015 sur le nucléaire », a expliqué le président français qui tente de se poser en médiateur entre Téhéran et Washington.

Le chef de l’Etat a précisé qu’il aurait, « avant le G7, une réunion avec les Iraniens pour essayer de proposer des choses » et il devrait rencontrer le 23 août, selon l’agence officielle iranienne Irna, le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. L’Elysée espère arriver à obtenir un allégement des sanctions rétablies par Washignton en échange d’un retour de Téhéran au respect de ses engagements. Mais Donald Trump reste intransigeant rappelant dans un tweet la semaine dernière visant clairement Emmanuel Macron que « personne ne parle pour les Etats-Unis à part les Etats-Unis eux-mêmes ».

L’hôte de la Maison Blanche se montre tout aussi inflexible à propos de la taxe française sur les géants américains du numérique pourfendant dans un tweet « la stupidité de Macron ». Le président français compte bien néanmoins défendre à Biarritz son projet dénonçant un système « fou » où « les acteurs mondiaux du numérique ne contribuent pas fiscalement au financement du bien commun, ce qui n’est pas soutenable ».

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