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Jours tranquilles à Paris
6 septembre 2019

Brexit : la stratégie de Boris Johnson au Parlement tourne au chaos

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Les députés ont voté contre l’avis du premier ministre, mercredi, un texte demandant le report de la sortie de l’UE au 31 janvier 2020. Ils ont également rejeté sa proposition d’élections le 15 octobre.

Boris Johnson, déjà la sortie de route ? Mercredi 4 septembre, six semaines à peine après son arrivée à Downing Street, le premier ministre britannique a perdu la maîtrise de sa stratégie sur le Brexit, celle de son calendrier et même celle de son propre camp, en pleine crise interne.

La veille déjà, Boris Johnson avait encaissé coup sur coup la défection d’une vingtaine de tories de premier plan, perdu sa majorité et cédé le contrôle de l’agenda législatif à la Chambre des communes. « Il y aura des bosses sur la route », avait-il prévenu fin août, à propos d’un éventuel « no deal » ou d’une négociation commerciale avec les Etats-Unis. Avait-il prévu d’être aussi secoué, et aussi vite 

La surprise n’est pas totale, mais la claque quand même sonore. Mercredi, vers 17 heures, les députés britanniques infligent à M. Johnson son deuxième camouflet législatif en deux jours, votant à une majorité jugée confortable (28 voix) une loi l’obligeant à aller quémander un report de la date du Brexit au 31 janvier 2020. Le but ? Eviter une sortie sans accord le 31 octobre, brutale et très dommageable pour l’économie britannique.

Une « loi défaitiste »

Aux Communes, Boris Johnson a beau rouler des yeux, dénoncer une « loi défaitiste », jurer qu’il travaille toujours à un accord avec Bruxelles, l’Alliance du « non au no deal », cet attelage improbable constitué des travaillistes, des libéraux, des indépendantistes écossais, et des « rebelles » conservateurs, tient bon. C’en est presque fini du Brexit « do or die » (maintenant ou jamais) promis par le premier ministre pour Hallowen.

La deuxième défaite de la journée est encore plus cinglante pour le locataire du 10 Downing Street. M. Johnson avait prévenu : si les députés devaient l’obliger à demander un report du Brexit à Bruxelles, il réclamerait immédiatement des élections générales, le 15 octobre, via une dissolution du Parlement. Mais cette dernière ne peut advenir qu’avec les deux tiers des voix aux Communes. Or, en fin de soirée mercredi, le compte n’y est pas du tout… M. Johnson avait besoin de 434 voix, il n’en obtient que 298.

Les votes travaillistes, indispensables, manquent largement à l’appel. Pris à partie par un Boris Johnson électrique, Jeremy Corbyn explique avoir voulu éviter un « piège ». « C’est un mouvement cynique de la part d’un premier ministre cynique », ajoute le leader travailliste, dans une Chambre des communes survoltée, les yeux braqués sur son premier adversaire politique. « Notre priorité est d’éviter un “no deal”, de terminer d’adopter ce texte de loi [anti-“no deal”] », assure encore M. Corbyn.

La date du 15 octobre jugée trop risquée

« Il est devenu le premier leader de l’opposition dans l’histoire démocratique de notre parti à refuser des élections générales. Je ne peux m’empêcher de penser que la seule raison pour laquelle il refuse, c’est qu’il pense qu’il va perdre », éructe Boris Johnson. Le chef des travaillistes rêve pourtant d’élections générales depuis deux ans. Tout comme les lib-dems, les Verts, et le SNP, le parti nationaliste écossais. Mais tous refusent cette date du 15 octobre, jugée trop risquée. Si M. Johnson était réélu, ce jour-là, avec une majorité confortable, rien ne l’empêcherait de passer la loi anti-« no deal » imposée par les députés aux oubliettes et de laisser le pays sortir brutalement de l’UE le 31 octobre, sans accord avec Bruxelles… Dans les rangs de l’opposition, personne ne fait plus confiance à M. Johnson.

Plus grave pour lui : ce mercredi, la défiance à son égard a encore monté d’un cran dans ses propres rangs. L’expulsion, la veille au soir des vingt et un élus tories « rebelles » ne passe vraiment pas chez les conservateurs. « Au nom de tout ce qui est sacré, n’y a t-il donc pas de place au sein des conservateurs pour Nicholas Soames, un officier et un gentleman ? » : c’est Ruth Davidson qui ouvre le bal, mercredi matin, en faisant référence au petit-fils de Winston Churchill, recalé des bancs conservateurs par M. Johnson la veille, après trente-six ans de mandature, pour avoir voté contre le gouvernement. La jeune femme, ex-chef de file des conservateurs écossais, a passé la main fin août, mais reste une voix très écoutée dans le parti.

Les « rebelles » tirent aussi à vue, et bruyamment sur le premier ministre. « Je suis un conservateur passionné, mais voir les principes du parti mis à la poubelle me consterne », assène le très sérieux Dominic Grieve, ex-attorney general (haut magistrat conseiller juridique du gouvernement), qui s’est échappé de la Chambre des communes, et participe à un rassemblement de militants anti-Brexit, devant les grilles du Parlement. Les manifestants approuvent en hurlant : « Oh Dominic Grieve ! Oh Jeremy Corbyn ! »

Grosse boulette

Aux Communes, Kenneth Clarke a lui aussi droit, à plusieurs reprises dans l’après-midi, aux hommages appuyés de l’opposition. Comment le « father of Parliament » a t-il pu être « sorti » des rangs conservateurs, alors qu’il siège depuis… 1970 dans la très vénérable Chambre ? M. Johnson est « maintenant premier ministre, il a une très grande responsabilité, je lui demande d’arrêter de traiter tout cela comme un jeu », lui assène M. Clarke, deux rangs derrière lui à la Chambre, en plein débat.

M. Johnson a t-il commis une grosse boulette en procédant à une telle « purge », à la veille de probables élections générales où toutes les voix tories compteront, y compris celles des modérés ? A t-il trop écouté Dominic Cummings, son principal conseiller, architecte de sa stratégie « do or die », et considéré comme un idéologue du Brexit ? « La grande Margaret Thatcher avait dit une fois que les conseillers conseillent et les dirigeants dirigent », souligne aux Communes Margot James, une des élues « rebelles » mise à l’index. Le Telegraph, bien renseigné sur M. Cummings, rapporte mercredi soir que les relations se sont brusquement tendues entre le premier ministre et l’ex-directeur de la campagne « Leave » en 2016.

Le doute gagnerait-il à Downing Street ? Il y a une semaine tout juste, le premier ministre semblait en position de force : il venait d’annoncer la suspension du Parlement pendant cinq longues semaines, à partir du 9 septembre, afin de mieux neutraliser des élus réfractaires au « no deal ». Désormais, il est à la tête d’un gouvernement sans majorité, avec un Parlement qui dit non à presque tout : les élus ont voté trois fois contre l’accord de Theresa May, ils ne veulent pas d’un « no deal », ni d’élections générales à la date avancée par M. Johnson.

Comment le premier ministre peut-il s’extraire d’un tel piège ? Il aurait intérêt désormais à laisser le texte anti-« no deal » suivre son cours et être définitivement adopté par la Chambre des lords, afin d’espérer récupérer les voix travaillistes pour sa motion de dissolution du Parlement. Puis de faire campagne en jouant au dirigeant bridé par un Parlement favorable à l’UE et sourd au vote populaire de 2016, qui a saboté sa stratégie de négociation avec Bruxelles… « Il n’a pas encore perdu, la politique britannique est devenue extrêmement volatile et les travaillistes sont très divisés », estime Anand Menon, professeur de politique européenne au King’s College.

Ironie de l’histoire : s’il joue cette option, Boris Johnson se trouve pris de court par sa propre décision de suspendre le Parlement à partir du 9 septembre au soir : il faut que d’ici là, la loi anti « no deal » et sa motion visant à provoquer les élections aient eu le temps d’être traitées. A moins que l’opposition aille au vote de défiance, qu’elle a de bonnes chances de gagner, en tout début de semaine prochaine… Qui comprend encore quelque chose à la bataille du Brexit, hors de la bulle de Westminster ?

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