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Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2019

HIER : A Paris, une Marche pour le climat dans la confusion

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Par Rémi Barroux, Raphaëlle Besse Desmoulières, Pierre Bouvier, Aline Leclerc

Le cortège, qu’ont rejoint des « gilets jaunes » et des black blocs, s’était élancé samedi dans une ambiance bon enfant qui a vite laissé la place aux affrontements.

Difficile de tirer un bilan des manifestations du 21 septembre, tant pour les « gilets jaunes » qui marchaient dans Paris pour un 45e samedi de mobilisation, que pour les nombreuses organisations et associations à l’origine de la Marche pour le climat, un rendez-vous important à deux jours d’un sommet de l’action pour le climat organisé à New York par António Guterres, secrétaire général des Nations unies (ONU).

Les « gilets jaunes » qui voulaient faire de ce samedi une journée « historique » qui marque les esprits et remette le mouvement sur le devant de la scène, avec le mot d’ordre « toute la France à Paris », n’auront guère pu structurer de cortège indépendant, empêché notamment de rejoindre les Champs-Elysées par un imposant dispositif policier.

Frustration donc mais ils ont néanmoins pu défiler avec les marcheurs pour le climat, et auront, en divers endroits, déclenché le scénario connu d’affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre et de très nombreux tirs de grenades lacrymogènes et de désencerclement.

De leur côté, les ONG engagées dans la lutte climatique et la défense de l’environnement ont failli, elles, ne pas pouvoir manifester du tout, bloquées dès le départ, à quelques centaines de mètres de la place du Luxembourg, par des tirs nourris de lacrymogènes. Mais bien que leur cortège ait été en grande partie, au moins au début, parasité par la constitution d’un black bloc et la présence de centaines de « gilets jaunes » qui voulaient en découdre, les militants pour le climat ont fini par atteindre leur point d’arrivée prévu, à Bercy.

Forte mobilisation policière

Au final, ce sont 38 000 personnes qui ont défilé à Paris contre « l’inaction climatique du gouvernement », selon les organisateurs – et 15 200 selon le comptage indépendant du cabinet Occurrence. Au total, toujours selon les organisateurs, « plus de 150 000 » manifestants sont descendus dans la rue samedi, dont 15 000 à Lyon (5 000 selon la police), 10 000 à Grenoble, 5 000 à Strasbourg (3 600), et des milliers d’autres dans de nombreuses villes (Lille, Nantes, Bordeaux, Metz, Rouen, Nancy, Marseille, etc.).

Les regards étaient surtout braqués sur Paris où la convergence entre manifestation sociale et mobilisation pour le climat était annoncée, redoutée aussi par la préfecture de police qui a annoncé avoir mobilisé 7 500 membres des forces de l’ordre.

La journée de mobilisation parisienne a débuté dès 9 heures du matin, par le rendez-vous de « gilets jaunes », place de la Madeleine, où une déclaration de manifestation avait été déposée par le syndicat Solidaires et l’association altermondialiste Attac. Mais le rassemblement n’avait pas été autorisé par la préfecture. Pas plus que les parcours proposés par les « gilets jaunes » du collectif Décla Ta manif, qui depuis janvier, met un point d’honneur à défiler sur des parcours autorisés.

Les « gilets jaunes » venus de toute la France qui ont convergé place de la Madeleine à 9 heures se sont immédiatement fait refouler par la police : même une pancarte « Fin du monde, Fin du mois, agissons » n’a pas été tolérée une minute. « Ils nous refusent tous les parcours, alors comment je peux manifester ma colère moi ? », s’indignait Mickaël Jourdain, 39 ans, ambulancier venu de Troyes, résumant le sentiment collectif.

Les « gilets » ne portent plus leur gilet

Privés de lieu de rassemblement autorisé, les « gilets jaunes » sont donc partis en petites grappes à travers les rues de Paris, entravant la circulation, renouant, en ça, avec leurs habitudes de l’hiver et du printemps.

A la différence près qu’ils ne portent désormais plus leur gilet. Pour moins attirer l’attention des policiers. « Et aussi parce qu’on n’a plus besoin de se différencier des autres, on est tous ensemble, on est le peuple », expliquait un manifestant.

Mais cette précaution les rend désormais beaucoup moins visibles et identifiables et donne de fait moins de portée à leur présence éparse dans les rues de Paris. Les passants ne les reconnaissaient qu’à leur chant « On est là, même si Macron ne veut pas nous, on est là ». Mais ces quelques notes entraînaient immédiatement l’arrivée des forces de l’ordre, dont les interventions musclées, à grand renfort de gaz lacrymogènes, sont parvenues à éviter toute la matinée, la formation d’un cortège conséquent.

Si bien que de guerre lasse, vers midi, tous ont pris le chemin de la Marche pour le climat dont le départ était prévu devant le jardin du Luxembourg. Certains avec de vraies convictions écologistes, d’autres avec avant tout le souci de trouver un endroit où s’exprimer. Beaucoup d’appels à la convergence avaient été lancés, par des « gilets jaunes » comme par des écologistes ces dernières semaines.

Sur le terrain, elle s’était déjà traduite dans la rue par des actions communes, des banderoles jaunes et vertes, dans de nombreuses villes en France, et ce dès l’hiver 2018. Mais, ce 21 septembre, forcée en partie par les circonstances, cette convergence ne faisait pas que des heureux. « On nous interdit de manifester, ils ne nous laissent même pas déclarer de manifestation, alors on est venu là et on va quand même manifester », expliquait Patrick et Olivier, respectivement retraité de 67 ans et cuisiner de 57 ans, de la région parisienne.

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L’ambiance bon enfant s’est envolée en quelques secondes

Et quand, vers 13 heures 30, les organisateurs ont donné la parole à plusieurs représentants d’associations, les cris des très nombreux « gilets jaunes » présents, « Et tout le monde, déteste la police », recouvraient les interventions. Au point qu’un responsable de la marche a pris la parole pour expliquer que « si tous les “gilets jaunes” étaient les bienvenus, il fallait respecter le pacte de non-violence accepté par tous les participants ».

De fait, quelques dizaines de minutes plus tard, des affrontements se déroulaient sur le boulevard Saint-Michel, à quelques centaines de mètres à peine du point de départ.

Des tirs nourris de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement ont visé la tête de manifestation occupée par plusieurs centaines de black blocs et de « gilets jaunes » plus enclins à en découdre qu’à marcher pacifiquement jusqu’au point d’arrivée prévu, à Bercy dans le 12e arrondissement de Paris.

Comme des milliers de participants à cette marche voulue familiale et bon enfant, sous un gai soleil estival, Emilie Noel, 17 ans, était pourtant venue, brandissant de grands bambous cueillis dans le jardin de la maison familiale à Morsang-sur-Orge (Essonne) manifester « pour que ça bouge vraiment, pour que le gouvernement agisse concrètement face à l’urgence climatique ». Et comme l’ensemble de la manifestation, elle s’est retrouvée prise au piège, ne pouvant plus avancer ni reculer, tant le cortège était compact, ne pouvant pas non plus dégager par les rues latérales totalement bloquées par les forces de l’ordre.

Alors que quelques minutes plus tôt, on dansait au son des batucadas, derrière des pandas ou des abeilles géantes, en agitant sa pancarte au slogan percutant et souvent drôle « les calottes sont cuites », « moins de riches, plus de ruches », l’ambiance bon enfant s’est envolée en quelques secondes. Les nuages de lacrymogènes jusqu’ici réservés à la tête de cortège, sont arrivés sur la foule, prenant tout le monde par surprise. Et notamment les parents, qui s’enfuyaient rapidement dans une rue adjacente pour tenter de protéger leur progéniture.

« Un sentiment de gâchis »

« Des violences – pas du fait des manifestants pour le climat – ont éclaté en début de cortège. Des envois de grenades lacrymogènes par les forces de l’ordre ont suivi, stoppant la marche. Le cortège est scindé en deux, le bas marche vers Saint-Michel. Les CRS empêchent les manifestants pacifistes, en présence d’enfants, de quitter le cortège, expliquait alors au Monde, Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France, organisation qui appelait alors dans un tweet à quitter les lieux. J’éprouve un sentiment de gâchis au moment où on avait envie et besoin de relancer la mobilisation. Visiblement le gouvernement est plus fort pour agir contre les militants du climat que contre son dérèglement. »

Après une demi-heure d’incertitude et de toussotements dus aux gaz, la manifestation, ou ce qu’il en restait, a finalement repris sa marche, emmenée notamment par les militants d’ANV-COP21 et leur sono qui scandait « Plus chaud, plus chaud, on est plus chaud que le climat », le speaker demandant d’applaudir la présence de « gilets jaunes ».

La plupart des manifestants écologistes s’en félicitaient et plaidaient pour la convergence. « J’ai la chance d’être à l’abri financièrement, mais je pense comme eux qu’il faudrait changer le système économique pour un partage des richesses plus équitable, expliquait ainsi Olivier Daurces-Felsenburg, 62 ans. Que les black blocs viennent, ça me déplaît, bien que je comprenne bien ce qui peut mettre en colère. Je suis plutôt de ceux qui préfèrent des solutions tranquilles, où l’on se met d’accord autour d’une table. Pour ça, il faudrait que les gens se mettent en grève par millions ! Mais j’ai l’impression que les esprits ne sont pas mûrs. »

Après avoir manifesté en début d’après-midi contre la réforme des retraites, dans une manifestation convoquée par Force ouvrière (FO) et qui aurait rassemblé 15 000 personnes selon les organisateurs, Alain, agent territorial et « gilet jaune » depuis le 17 novembre 2018 avait rejoint la Marche pour le climat avec sa chasuble rouge aux couleurs de son syndicat. « Bien sûr qu’il faut la convergence ! Je ne sais pas ce qu’ils foutent en haut, ceux qui dirigent nos syndicats, on dirait qu’ils veulent pas que ça bouge. Ils sont bien installés dans leur petit confort eux aussi », pestait-il.

« La convergence commence doucement »

La Marche pour le climat a finalement rejoint Bercy, non sans quelques tirs de gaz lacrymogènes sur le parcours, à Gobelins ou Place d’Italie. Toutes les rues adjacentes, sur le trajet, étaient verrouillées par les forces de l’ordre, plongeant dans l’expectative les centaines de « gilets jaunes », forcés de suivre le mouvement. La tentation des Champs-Elysées était vive et nombreux lançaient la consigne de s’y rendre sans pouvoir toutefois la concrétiser.

En fin d’après-midi, vers 17 heures, les militants d’Action Climat Paris soutenus par Greenpeace 350.org, Il est encore temps et Attac ont bloqué le pont de Tolbiac et occupé la passerelle Simone de Beauvoir, déroulant trois grandes banderoles, « Macron, polluter of the Earth », « Pollueurs, irresponsables, il est temps de payer », « Climat, social, mêmes responsables, même combat ». Bloquant le pont durant deux heures, quelque 2 000 militants, auxquels s’étaient joints des « gilets jaunes », entendaient donner rendez-vous au gouvernement dans un mois, à la veille du vote de la première partie du projet de loi de finances, pour que celui-ci soit à la hauteur de l’urgence sociale et climatique. « Nous serons là pour leur rappeler leurs priorités », expliquait Cécile Marchand d’Action Climat Paris.

Plus bas, sur la voie express qui passe sous le ministère des finances de Bercy, les voitures slalomaient entre les grenades lacrymogènes tirées par les forces de l’ordre. Ultimes affrontements de la Marche pour le climat, pendant que, sur les quais, des dizaines de jeunes, loin des préoccupations écologistes du jour, dégustaient bières et spritz au son d’une musique techno sur la terrasse ensoleillée du Cargo Bar.

Vers 19 heures, tout était fini, ou presque. Un ultime cortège prenait alors la direction de la place de la Bastille, pour une manifestation non déclarée. Quelque 2 000 manifestants rappelaient alors dans l’obscurité du début de soirée l’urgence climatique. Avec son tee-shirt jaune ANV-COP21, une retraitée glissait, d’un ton apaisé : « la convergence commence doucement. Il faudra aussi qu’ils arrivent à comprendre que la non-violence est aussi une stratégie qui a fait ses preuves ».

Sur les Champs-Elysées, un dernier round d’affrontement mettait aux prises les forces de l’ordre et les quelques « gilets jaunes » parvenus jusque-là. A 18 heures, 395 personnes avaient fait l’objet d’une verbalisation pour avoir manifesté dans l’un des périmètres interdits et 163 avaient été interpellées selon la préfecture de police de Paris. A 20 heures, 120 personnes avaient été placées en garde à vue a indiqué au Monde le parquet de Paris.

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